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Le vent dans les voiles, la Rascasse prit finalement le cap vers le Nord Nord-Ouest. Les premières heures sans danger me permirent de rejoindre ma cabine, en laissant un matelot garder la barre dans la direction choisie. Eliwin sur les talons, je ne pus que constater que la pièce n'avait de prestige que dans le nom. Meubles vieillots, couchage qui avait du être plus propre, un carnet de bord grignoté ça et là par des rongeurs me firent plisser le regard. Heureusement que j'avais acquis de quoi garder des traces pour le vaisseau. Entre les coups de lames, les tâches âcres sentant le vinaigre et les rongeurs, impossible de trouver des informations sur les précédents capitaines. Sur le mur de droite, une très grande ardoise où des dessins stylisés et grossiers prenaient toute la place. La seule chose positive avait été de trouver des cartes maritimes soigneusement apposées dans un immense tiroir.
Je passai le premier quart à mettre de l'ordre dans tout ceci, et fus surprise quand Nahöriel passa m'annoncer le changement d'équipage. Quatre heures à peine vues. Quand je sentis qu'Elivan commençait à fatiguer, je le laissai aller. Nous avions tracé ensemble le meilleur itinéraire possible. La seule contrainte allait venir des caprices du vent, qui pour le moment était avec nous. Le deuxième quart allait se poursuivre dans la même direction, les deux suivants vers l'Ouest pour prendre des courants favorables.
Je devais déjà être dans le bon état d'esprit, car mon rythme de repos s'adaptait étrangement à cette vie. Pas d'urgence à déplorer, pas de bagarre notable non plus. Le jour suivant se déroula avec un peu plus d'animation. Lydia, quand elle prenait son repos de son poste de vigie, taquinait Nahöriel et sa façon d'entretenir les bottes des autres. Choses qu'on lui avait apparemment raconté. Et Snori n'étant pas loin, des éclats de voix entre agacement et amusement fusèrent à bord.
Puisque les postes n'étaient pas encore attribués, les repas restèrent basiques avec des biscuits salés et de la viande fumée. Mais personne ne vint s'en plaindre à moi.
Notre cap nous amena à apercevoir d'autres navires en flotte, navigant dans les eaux côtières. Kendrans en manoeuvre sans doute, mais qui ne s'intéressèrent nullement au passage de notre vaisseau. Rien de remarquable à bord lors des quarts du reste de la journée, sauf la perception d'un détail. Le géant à crocs avancés, quand il n'entretenait pas ses lames, scrutait la mer parfois un peu agitée sans bouger. Comme figé. Occupée, je n'avais pas encore eu le temps de faire le point avec lui. Cela viendrait en temps voulu.
Le reste de ce premier jour se passa sans accident ou autre, mais j'étais parfois si prise dans l'apprentissage rapide des termes, manœuvres et lecture de cartes qu'il était possible que quelque chose m'eût échappé.
L'aube du second jour de voyage finit par poindre alors que je relevai le matelot tenant la barre. Les côtes de Bouhen puis les ynoriennes furent proches, mais il allait nous falloir encore de nombreuses heures pour parvenir à destination. Et cela me rendait tendue, quand bien même j'avais quelque peu retrouvé de sensation dans ma main meurtrie. Et surtout, des patrouilles semblaient croitre en nombre à mesure que nous approchions de ce côté de Nirtim. Que se passait-il donc sur ce continent ?
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Le vent nous arrive presque de front. Il va falloir louvoyer pour progresser. )
Enfonçant mon tricorne, je donnai mes ordres pour les prochaines manœuvres à effectuer. Cela risquait d'être un peu plus fatiguant que le trajet de la veille. Mais c'était nécessaire pour avancer. Les serpentins sur la barre, nez au vent, je regardai droit devant, comptant sur la vigie pour prévenir d'un éventuel danger. Les cartes, surtout parfois pas récentes, ne disaient jamais tout.
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