Un instant, le jeune moine regarda, avec une béatitude insolente, le champ de bataille. Tout le monde y allait de bon coeur contre ces équidés tout droit sortis de l'imagination pervertie de l'un des vassaux de la terrible Oaxaca. Et plus il regardait, et plus il se demandait si ces monstres n'étaient pas plutôt des fourmis géantes. Bien loin de penser qu'il était juste simplement tout petit, Ringo se releva et constata que rêveries ne rimait pas avec boucherie. Face à lui, une superbe fourmi, dressée sur ses pattes arrières, était prête à l'occire sans plus de procès. Au soleil couchant, la carapace en chitine de cette redoutable guerrière aux éperons acérés brillait de mille feux, comme une promesse ardente de cesser toute vie autour d'elle. Presque hypnotisé par cette vision funeste, Ringo resta un petit moment immobile, temps qui suffit pour qu'un certain projectile vînt à se poser dans ses mains, comme pour signifier une réponse divine à ce moment d'incertitude. Bats-toi, lui disait cet augure sans vie.
Alors sans vraiment attendre que le destin ne le fauchât au printemps de sa courte vie, le jeune moine orchestra sa riposte comme il put, avec la patte de fourmi que lui avait lancé par mégarde la vieille orque. Et là, alors qu'il parait avec agilité les pattes avant dévastatrices de son ennemi hymenoptère, un éclair de génie lui vint. Ces pattes articulées se comportaient exactement comme un sansetsukon, instrument privilégié de l'un de ses anciens maîtres du monastère de Khan. Rapide, souple et terriblement technique, cette arme lui allait à merveille et Ringo s'étonna alors d'avoir un petit sourire de satisfaction...
"Tu vas moins faire ta maline dans deux secondes, toi..."
Et effectivement, deux éperons plantés dans les yeux plus tard, la fourmi morte ne faisait pas la maline. Fier de son nouveau jouet, Ringo le fit virevolter autour de ses mains, ses avant-bras et son cou avant de prendre une pose digne des plus grands maîtres de kung-fu, son sourire ravageur se posant droit sur le regard blême et inexpressif de la petite Elris. Avec sa superbe position de "grue au soleil couchant", le jeune moine qui faisait clairement son mariole, le fit nettement moins à son tour lorsqu'une autre fourmi vint le percuter sans s'annoncer. Allez savoir comment le jeune moine se retrouva ainsi, à califourchon sur sa monture myrmécéenne ! Même Ringo aurait bien voulu savoir comment il avait fait à ce moment-là, les réflexes sans doute, mais il était alors trop occupé à rester stabilisé sur la bête qui se mit à ruer dans le centre villageois, sans vraiment savoir où elle allait. Ringo, lui, tenta tant bien que mal de trouver une solution pour ce nouvel événement mais bientôt, alors que la fourmi galopait comme une furie à six pattes vers l'énorme masse impolie qui répondait au nom de Gurth, une seule s'offrit à lui. Loin de vouloir faire un tête à tête avec ce boucher ni même de rester trop longtemps à ses côtés, le jeune moine sauta de sa monture, pieds joints et effectua à nouveau un super saut avant de se reposer au sol, regardant, incrédule, le spectacle sanglant qui allait certainement se dérouler devant ses yeux chastes.
( Pauvre bête... )
((( Il y avait 15 fourmis: 8 fourmis vivantes | 3 engagées (dont 1 en ruade vers Gurth) | 1 fourmi cuite, 1 tranchée en deux, 1 décapitée, 1 le crâne fendu, 1 agonisante une fourche dans la colonne, 1 démembrée, 1 aux yeux crevés.)))