Vedd a écrit:
Je hochai la tête. Sortir ? Et puis quoi encore, cette maison est ce que je peux rêver de mieux ! Je retrouvai avec plaisir ma grande chambre calme et le lit frais. Je trouvai un verrou à la porte, que je tournai, puis entrepris de me dévêtir. Mes vêtements furent entassés sur la table et j'entrai dans la salle de bain. Cette fois, ce fut mon reflet nu comme un vers qui se perpétua dans les glaces. Je restai à le contempler un long moment, m'examinant sous tous les angles, inventant des mimiques et tentant de me trouver bel homme. La pièce était très agréablement tiédie par un minuscule âtre dans une niche du mur de la chambre. Je tournai le robinet d'eau chaude, prudemment... Depuis combien de temps n'avais-je pas pris de bain ? L'eau se déversait en tourbillonnant dans la cuve. Je mis en place la bonde d'argent et attendis que la baignoire soit remplie à ras-bord. Pendant ce temps, j'inspectai la pièce. Il y avait, devant l'un des murs-miroirs, une petite commode de bois laqué en or, dont les portes s'ouvraient sur des piles de linge de toilette odorant. Des serviettes, ses sorties-de-bain, des espadrilles, des gants, des éponges à corps... Tout était doux et parfumé. Puis, je tombai sur ce qui ressemblait à des instruments de torture: grattoirs, pierres-ponces épineuses, ustensiles à pointes ou orifices, en métal ou en bois, peignes gigantesques... Je choisis une serviette, un peignoir et des babouches assortis d'un blanc aussi éclatant que celui de ma chambre et une petite pierre-ponce lisse. Sur le dessus de la commode, je trouvai un gros pavé de savon qui sentait fort le miel, et enfin, je complétai ma tenue par une généreuse poignée de sels que je jetai dans l'eau fumante. Je pliai soigneusement mon linge de bain et le posai sur le meuble, puis, armé du savon et de la pierre ponce, je m'enfonçai dans le bain brûlant qui venait de toucher les bords de la bassine. D'ailleurs, alors que j'y entrai, une vague d'eau fit un raz-de-marrée. Je l'oubliai bien vite et disparus avec délice dans les vapeurs du bain. L'eau s'infiltrait dans tous les recoins de ma peau, chaude à merveille — je suai déjà. La fragrance des sels de bain me rendit euphorique, et je sentais un sourire béat naître au coin de ma bouche. Je ne sais combien de temps s'écoula dans ce paradis brûlant où je restai paresseusement, amorphe, sans lever le petit doigt. Je finis par rouvrir les yeux et la fraîcheur de l'air me sortit de mon état fiévreux. Alors, flâneusement, je m'amusai à créer des petits remous dans l'eau — dont la pureté en avait pris un coup — et je me mis à observer mon corps à travers sa transparence. Je me plaisais mieux, sous l'eau: j'étais moins fin. Je battis des jambes, envoyant encore une jolie dose de liquide hors de la baignoire. Je m'étirai, m'étendis, coulai sous la surface, fis des bulles... Puis, très très mollement, je tendis un bras languissant et tentai d'attraper le savon; il tomba lourdement sur le fond émaillé de la cuve, et ce fut une véritable chasse que de le rattraper. Quand je le tins enfin dans mes mains, je m'en enduis tout ce que je pouvais — bien que l'eau enlevât tout instantanément — et, saisissant la pierre-ponce, j'entrepris d'ôter la crasse accumulée au cours des mois. A présent, l'eau était turbulente. Dans des remous gris, je frottais activement chaque pouce carré de peau qui ne me semblait pas assez propre. Avec un soupir, je lâchai tout et m'affalai à nouveau dans la baignoire. Mais l'eau n'avait plus rien de propre, et même la chaleur la quittait peu à peu. A regret, très lentement, je me mis accroupi. Puis, je me levai et enfin, sortis péniblement une jambe et l'autre de la baignoire. Je me précipitai alors que la serviette, car l'air paraissait froid à présent sur ma peau échauffée; je m'enroulai dedans, des pieds à la tête, et me frictionnai dans sa chaleur sèche. Je secouai la tête à la manière des chiens, envoyant des centaines de gouttes d'eau sur les miroirs. Puis, je laissai là la serviette et, avec des manières de prince, je revêtis la sortie de bain. Je pris un air très digne, enfilai les babouches de soie blanche — si douce ! — et rehaussait le col du peignoir. Mes cheveux parfumés au miel tombait en mèches humides devant mes yeux. Je les rabattis sur le côté, et après un rangement rapide et approximatif de la pièce d'eau, je sortis, fier de mon image et propre comme un sou neuf.
C'est avec dédain que je regardai mes affaires sales. Qu'allais-je en faire ? J'eus une idée: je retournai dans la salle de bain complètement embuée, et plongeai sans pitié ma veste et mon haut dans l'eau savonneuse. Après avoir vidé ses poches, je fis de même avec mon pantalon. Après quelques minutes de surveillance, je sortis la veste et l'accrochai au balcon: je ne pouvais pas me séparer de cette jaquette. Par contre, je laissai à tremper mes vêtements de corps. Au besoin, la famille de Maylee m'en fournirait d'autres... Plus beaux, plus propres, plus riches...
Je fis une pile très soigneuse de mes effets personnels sur la table ronde. Cela me perturbait un peu, de les laisser ainsi. La gourmette et la pierre dorée tenaient dans ma bourse. Suspicieux, je laissai la fiole à côté et posai mon poignard sur la table de nuit. Enfin, je mis mes bottines cirées côte à côte, sous la table. Je contemplai la chambre, toute bien rangée... Et brusquement, je ressentis très lourdement le poids du sommeil dans mes os. Alors, sans hésiter, je quittai mon peignoir et mes babouches et me glissai entre les draps, toujours frais, toujours doux... Incroyablement doux sur ma peau... Sur tout mon corps... Partout, uniquement du moelleux et du doux... J'enfonçai mon nez dans les oreilles, me délassai en étirant tous mes membres dans ce lit immense... On ne pouvait que faire des rêves merveilleux dans un pareil lit...
Toute pensée étrangère m'avait abandonné: les comploteurs, les victimes, le cynore... Une grande euphorie s'emparait de moi alors que je me prélassais dans les édredons satinés. Je me tournai et me retournai, adorant cette caresse, et ne souhaitant qu'une chose: passer ma vie ainsi dans la douceur, la propreté et le luxe.
La senteur des tissus me monta à la tête, mes yeux se fermèrent et je sombrai très rapidement dans un profond sommeil.