Ziresh ne s'était pas attendu à ce que son adversaire lui accorde suffisamment d'intérêt pour lui parler. En tout cas, alors que son destin semblait être tracé, il n'imaginait pas que Vallel aille jusqu'à lui confier sérieusement ce pourquoi il agissait ainsi. Pourquoi il avait décidé d'attaquer Esseroth.
Et l'histoire, contre toute attente, eut tout pour toucher le loup d'argent. On l'avait banni, parce qu'il ne possédait aucun talent magique. Ses parents s'étaient sacrifiés pour lui permettre de vivre une vie normale, dans un endroit où on allait lui permettre d'être "normal". Quand il conclut en disant qu'il n'y avait pas de "clan du bien et du mal", le bratien eut du mal à le croire, mais il le croyait profondément. Lui même l'avait pensé plus d'une fois, en voyant le sacrifice d'un peuple entier qui fut nécessaire pour en finir avec le Dieu-Pieuvre. Il l'avait pensé aussi, en voyant à quel point les liykors noirs avaient dû attaquer son clan, non pas par haine, mais pour survivre.
Aussi, quand Vallel baissa les yeux au sol, Ziresh n'attaque pas immédiatement. Il aurait eu du mal à l'admettre, mais ces mots avaient effectivement semé la graine du doute en lui. Et pendant un instant, il se demanda réellement si ce qu'il faisait valait davantage la peine.
Mais cela ne fut qu'un instant. Le souvenir de Kâhra lui vint en mémoire. Et avec elle, son clan, la Citadelle endormie, tous les amis qu'il avait eus et qu'il voulait revoir. Laisser Vallel en vie, c'était avoir de la pitié et de l'empathie, oui... Mais c'était aussi dire permettre à Oaxaca d'étendre son règne et de risquer la vie de tous ceux qu'il aimait. Alors, puisqu'il n'avait plus le choix, il attaqua. La lame jaillit littéralement de son fourreau pour trancher l'air jusqu'à la gorge du sergent. Mais au lieu de voir un rouge envahir sa vue, il ne vit que sa lame, bloquée dans les airs. Et au moment même où il réalisa que son corps entier était paralysé, Ziresh poussa un jappement de douleur. Il avait le sentiment que chacun de ses membres était froissé. A travers sa patte, même, d'où il s'était entaillé pour offrir le tribut au Dieu-Pieuvre, il vit que le sang ne coulait plus de la même manière. Comme si tous ses muscles avaient cessé d'être alimentés par son propre fluide vital.
Il comprit alors, en voyant la main de Vallel tendue vers lui, qu'il venait de commettre son dernier acte sur cette planète. Il secoua la tête, comme s'il était sincèrement déçu, peut-être même triste. Il exprima toute sa déception, puis il s'approcha une dernière fois de lui. "Au moins aurait-il essayé."
Ziresh n'eut pas le temps de prendre sa respiration pour répondre quand le métal froid vint le transpercer à la gorge. Outre l'indescriptible douleur qui traversa son corps à ce moment là, les dernières pensées du pauvre loup furent essentiellement du regret. Celui d'avoir agi aussi vite, de manière aussi impulsive et précipiter sa propre mort, déjà. Puis il y avait tout le reste. Le fait qu'il ne pourrait plus protéger son clan, ni étendre la Citadelle endormie. Aussi celui de n'avoir pu emmener Kâhra "là-haut". Et même encore, il avait celui d'avoir été si étrangement attiré par la fiancée du gouverneur, à Fan Ming, ayant presque oublié son propre premier amour. Toutes ces idées qui, désormais, ne valaient plus rien, à l'heure où son âme quittait son corps.
Son exécution semblait durer des heures, alors que la lame sortait peu à peu de son corps, bien qu'en vérité cela n'ait duré qu'à peine une seconde. Quand elle jaillit de sa gorge, son autre regret des plus absurdes fut d'avoir vu son corps être manipulé d'une telle manière qu'il ne pouvait pas même planter la Masamune dans le sol pour s'appuyer sur elle. Il n'allait même pas pouvoir tenir sa promesse selon laquelle il allait mourir littéralement debout.
Il resta un instant sur ses deux pattes, pourtant. Le sang avait jailli en une quantité qui lui donnait l'impression d'en être totalement vidé. Il essaya de parler un moment, mais rien ne vint. Il ne put que sentir la chaleur de son propre fluide, puis le froid de la mort qui l'envahissait.
Seulement une seconde avait de chuter en arrière, toutefois, il eut un éclair de lucidité. Il lâcha son arme, juste pour caresser une dernière fois la fiole de Pinga. Il aurait voulu entendre les chants des fujoniens qui avait fait écho sur la montagne, aux funérailles de son aimée. Mais comme il s'en allait, rien ne vint. A la place, un gargouillis sortit de sa gueule alors que le sang avait fini par l'envahir. Et enfin, il tomba. Sa vue ne s'était réduite qu'à un minuscule cercle de lumière, jusqu'au moment où ses paupières se fermèrent.
Il était mort.
***
Puis Ziresh ouvrit les yeux.
Tout avait changé autour de lui. Il avait bien conscience de ce qu'il venait de se passer, aussi, sa première fut de se demander... "Était-ce bien là l'enfer ?" Ce qu'il n'avait pu voir alors, n'était qu'un monde d'ombre et des silhouettes laissant des traînées sombres, comme du sang noir dans une eau trouble. Mais après un moment à regarder tout ce qu'il y avait autour de lui, il comprit seulement qu'il était encore dans ce monde qu'il ne connait pas. Aliaénon. Et qu'en plus d'être ici, il était comme dans un plan parallèle à la réalité qu'il avait vécue.
Vallel se tenait là, devant son propre corps, essuyant sa lame à même son cadavre. Il voulut grogner, mais il n'y eut qu'un écho qui ne sembla pas même transparaître à travers la réalité. Le sergent s'était seulement adressé une dernière fois à lui, comprenant qu'il l'entendrait.
Les morts étaient donc différentes ici. Il devait être désormais le maître de son âme, capable de se mouvoir jusqu'après la fin. Désormais, il avait encore des chances de s'en sortir. Si la mort n'était pas si définitive, il avait encore une chance de rester en vie. C'était encore une opportunité, pour lui, de tenir ses promesses. Si seulement il pouvait donner l'opportunité à son corps de retrouver sa vitalité, peut-être pourrait-il alors l'intégrer à nouveau.
"Ce n'est pas la fin... répéta-t-il infiniment pour lui-même. 
Ce n'est pas la fin, ce n'est pas la fin, ce n'est pas la fin..."Mais avant toute chose, il devait comprendre comment il pouvait se mouvoir ici. Était-il vulnérable ? Probablement pas, sinon Vallel en aurait fini directement avec lui. Était-il davantage une "âme" ou un "fantôme" ? Il y avait tant d'histoires autour de ces morts qui prennent possession des vivants : peut-être pouvait-il faire cela ? Peut-être pouvait-il posséder le corps d'un orc pour porter son corps et son matériel et lui donner la chance de peut-être ressusciter dans un temple où les dieux lui accorderaient une telle bénédiction ? Cela dit, pouvait-on bénir un loup qui était allé jusqu'à renier les dieux et supposer leur mort ?
Trop de questions, il ne pouvait pas répondre à toutes. Un instant, il pensa tout de même à investir le corps de Vallel. Mais la logique lui vint en tête. Il y avait eu des centaines de morts ici bas. Et aucun n'aurait pensé à posséder le Sergent responsable de cette attaque pour ordonner la retraite des orcs ? Celui-ci devait bien être protégé... Ou alors était-il même capable de détruire une âme ?
Cette pensée l'aurait fait frissonner s'il avait eu encore une échine. Mais alors une nouvelle idée le traversa. Il y avait eu des centaines de morts, peut-être des milliers... Parmi elles, peut-être y en avait-elle une dans le "plan" que lui ? Peut-être aurait-il des réponses et comprendrait-il comment se sauver lui-même ? Et alors, comme une évidence lui vint un nom.
"Armelle !"En plus d'être morte, elle partageait plus d'un point commun avec lui. Elle défendait Yuimen, se battait contre le même ennemi et elle lui avait accordé une confiance qu'il l'avait marqué. S'il la trouvait, ils seraient au moins deux fantômes à trouver comment s'en sortir. Il fallait seulement qu'il ne perde pas son propre corps matériel en vue, ainsi que son équipement.
Il avait donc plusieurs possibilités. Voir Armelle pouvait lui permettre peut-être de se préparer à plusieurs alternatives. Mais il pouvait aussi éventuellement investir un des corps d'orcs autour de lui pour garder un œil sur lui-même. Une pensée égoïste lui dit qu'il s'agissait probablement de la meilleure alternative, mais avant qu'un bûcher soit construit et que son corps soit brûlé, il devait y avoir au moins une heure ou deux. Prenant de l'avance alors sur les garzoks, il décida de sortir de la salle pour se rendre directement sur la place où se trouvait justement la bouche d'égout où flottait encore le corps inerte d'Armelle. Avec un peu de chance, il croiserait peut-être d'autres citoyens. Rien n'était perdu en tout cas. Il lui restait seulement à comprendre comment utiliser cette nouvelle enveloppe.