Quand Hero vit Rosie ralentir tandis qu’il avançait toujours à reculons, il eut encore plus honte. Oui, c’était ça ce qu’il ressentait : de la honte. Parce qu’il s’était permis d’émettre un jugement, et cela n’était pas juste. Keya était une shaakt, elle le lui avoua elle-même avec pas mal de détails en plus – de cela, le hafiz n’en revenait toujours pas, elle qui avait l’air d’être si discrète, voire secrète… Elle était une shaakt, mais était-elle comme tous les shaakts ? Pour lui-même, en guise de réponse, il haussa les épaules et l’écouta religieusement raconter son histoire personnelle : elle avait vécu tant d’épreuves si jeune ! C’était ça, certainement, qui faisait son caractère : fuite, cachette, meurtre, autant de choses qu’il n’aurait jamais à subir dans sa famille, choyée parmi les merveilles de Kers.
- Je comprends ce que tu dis, fit-il simplement en esquissant toujours un sourire qui signifiait tout ce qu’il pensait d’elle : admiration et tristesse à la fois.
Il posa gentiment la main sur son épaule pour ponctuer sa phrase toute bête. Et puis, finalement, il se dit que ce n’était pas suffisant, alors il l’étreignit rapidement, ne sachant pas qu’elle réaction elle aurait. Mais voilà, il avait soudain une envie de la protéger qui le submergeait. « On n’est pas obligé de le savoir, si tu ne veux pas le dire. Fais-toi passer pour hafiz, si tu en as envie. Tu m’as berné moi-même, un hafiz pure souche ! » Il reprit son air taquin, comme si sa tendresse n’avait duré qu’une seconde : cela suffisait amplement, autant de tristesse d’un coup, non ? Retour à la marrade, que diantre ! Alors il la rudoya un petit coup, comme ça, histoire de dire, et puis : « A part si tu avais honte d'être comparée à moi ! » s’exclama-t-il dans un grand sourire avant de se retourner vers la salle d’armes.
Vaste et peu meublée, hormis d’armes et d’armures contre les murs, elle faisait honneur aux deux hommes debout sur les tatamis centraux. Au vieil homme à longue barbe blanche appartenait la voix qui résonnait depuis tout à l’heure, de cela il était désormais certain. C’était une belle voix, remplie de sagesse et de pondération. Tehero n’eut pas plus tôt fait de le comparer à Qi-Zhuwen : même âge sans doute et même profession peut-être, mais alors le caractère ! Grandes déesses, jamais Qi-sama ne parlerait aussi calmement ! Le vieux maître en attira d’autant plus l’attention du jeune hafiz lorsqu’il expliqua quelques principes en vigueur sur Aliaénon : il comprit que le sosie de Wiz, qui tenait la place de l’apprenti face à son maître, avait réussi un tir et qu’en cas contraire s’en serait suivi un désastre. Il en serait ainsi, sur ce monde : tout serait amplifié.
Hero rit en son for intérieur, parce que décidément, il était partagé entre pure excitation et horrible accès d’angoisse. En gros ? Il était heureux.
Une jeune femme vint confirmer les dires du vieil ynorien. De chevelure noire et longue et d’œil bleu intense, elle disait tenir ses informations d’un conseiller nommé Tsukiko, ce qui apportait un lourd crédit à sa longue, longue, longue diatribe – si Hero en croyait les souvenirs qu’il avait de l’organisation politique ynorienne. Et puis elle produit une carte d’Aliaénon, ce qui n’était pas rien. Si elle n’avait pas autant envie de se la raconter, Tehero aurait tout tenté pour s’en faire une solide alliée. (M’enfin… Keya en sait peut-être moins, mais elle est bien plus sympathique !) Car il était clair que la jeune femme, quand elle proposa de désigner un chef, se visait personnellement…
- Je ne suis pas sûr que ce soit l’idéal, commença-t-il en ne perdant pas son visage débonnaire. Pardonnez-moi : Tehero Hone. Pas que je sois fier ou quoi, mais ça m’étonnerait qu’une chefferie mette tout le monde d’accord. Le temps de procéder à une quelconque élection, dans ce contexte où personne ne connaît personne, ce sera encore du temps de perdu. Mais après, je ne sais pas ce qu’en pensent nos camarades ici présents. C’est que je ne voudrais pas… imposer mon point de vue.
Ce disant, il abondait – qui l’eût cru – dans le sens de monsieur je-fais-la-cour-aux-dames. Celui-ci quitta le tatami avec de jolies perles bien de son cru, à n’en pas douter ! Il n’était pas à prendre avec des pincettes, celui-là. Ni sans, en fait. Pas du tout, tout bien réfléchi. Il se tourna plutôt vers Sirop qui faisait encore des siennes : lui au moins il était mignon ! Le hobbit se pavanait un peu, mais c’était sans orgueil, pour sa part – d’ailleurs, Hero remarqua qu’il tremblait un tantinet. Il l’attrapa contre lui et lui fourragea dans les cheveux avec un air fraternel : « Ah bah, Sirop, jusqu’aux dernières nouvelles, "sans aide" voulait dire "sans aide" ! D’ailleurs, la nénette du portail avait l’air bien décidée à camper devant le fluide, Aliaénon tout entière dût-elle tomber en miettes. Hé ? Mais t’inquiète ! On est déjà tout ça, c’est pas mal. Et du chevronné comme tu as l’air, ça vaut pas mal, hein ? »
Il relâcha le sinari et lui sourit de toutes ses dents. Il l’aimait franchement bien.
- Mais c’est clair, ça soulève des problèmes. La guerre de front, hors de question. Des contingents de reconnaissance, ce serait déjà pas mal, non ? Divisons-nous, partons ! Le plus vite possible, histoire d’en apprendre au plus vite ! Et…, il se tourna vers l’aimable trou-du-cul qui s’était vautré dans le couloir, pourquoi t’étais à l’entraînement, toi ?