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En laissant ses nouveaux compagnons parler, l'évocation d'élire un chef (ou du moins un représentant du groupe) revint dans la discussion. Certes, l'archer n'était pas vraiment pour cette idée là, mais Armelle se montra convaincante. D'ordinaire, Ziresh aurait très certainement eu une tendance à préférer une "démocratie". Mais dans son souvenir de la quête des mines de Lebher, celle-ci n'avait pas eu lieu. Simplement, les plus forts s'étaient imposés naturellement. Le loup eut une pensée inévitable pour Selen qui s'était montré indéniablement plus fort, mais un peu trop taciturne à son goût, et peu ouvert aux propositions d'autrui. Au final, élire un représentant du groupe était une idée valable. Mais c'était sans compter sur les propositions d'une shaakt qui ne s'était alors pas présentée.
L'inconnue avait, comme Karz, montré un caractère manifestement fort, en jugeant l'incompétence de ses compagnons si ceux-ci voulaient éviter la guerre. Elle admettait la nécessité de sacrifier des troupes pour frapper l'ennemi. Ziresh comprenait ses dires, mais il ne partageait certainement pas ses pensées. En fait, suite à ce qu'il avait vécu avec son clan, celui-là même qui avait sacrifié presque la moitié de ses membres pour permettre aux autres de fuir, il ne pouvait pas admettre que l'on puisse utiliser des vies pour en atteindre des objectifs. Il ne pouvait pas laisser passer cela. Et étrangement, c'était ce qui lui faisait se rendre compte qu'il était plus placé que jamais pour être le représentant de ce groupe. Mais trop humble de nature, il n'en dirait rien. De toute façon, le débat semblait tourner en la défaveur de cette idée.
Quand Rosie répliqua face aux paroles de la shaakt, le loup d'argent vit immédiatement en elle une alliée de confiance. Car il ne s'agissait pas seulement pour elle d'éviter la guerre. Elle jugeait cet acte par un déshonneur. Inversement, l'archer se montra particulièrement véhément, agressif même vis à vis des propositions d'Armelle. Décidément, il confirmait de plus en plus l'idée du loup, selon laquelle il ne pouvait pas être quelqu'un de bien. Les bratiens, et plus précisément le clan de Liykkendra, était d'ordinaire pacifiques. Si Ziresh arborait maintenant la Masamune de l'Imperturbable et la Hallebarde Protectrice, ce n'était que parce qu'il avait dû protéger son clan. Mais même s'il avait pris la vie de trois êtres dotés de conscience humaine, il avait toujours fait en sorte d'éviter le meurtre. Empêcher cette guerre, tuer le monstre dans l'œuf, c'était la meilleure manière qu'il avait de poursuivre ses principes. Et puisqu'il y avait au moins Rosie (et son ours) pour partager cette philosophie, il se permit de prendre son courage à deux pattes et de présenter son avis.
"Je ne peux qu'acquiescer ce que soutient Rosie, admit-il en se mettant aux côtés de la coureuse des plaines. Nous ne pouvons pas faire la guerre. Et sans vouloir paraître discourtois, Armelle, je ne pense pas qu'il faille faire une guérilla. Ce serait risquer nos vies de manière répétitive, sans certitudes que cela affecte vraiment l'ennemi. Au contraire, si leur stratégie est de passer par un autre monde pour envahir le nôtre, cela signifie qu'ils ont des ressources suffisamment grandes pour envoyer davantage de leurs troupes."
Ziresh signait calmement avec ses pattes, comme le voulait la coutume des liykors. Cela lui permettait de peser plus clairement ses mots et de ne pas s'enflammer dans ses propos. Il s'était déjà montré plusieurs fois trop sensible. Et il s'agissait ici d'être le représentant d'un groupe susceptible de sauver Yuimen. S'il se montrait plus nerveux que la shaakt ou que l'archer, sa démonstration n'aura servi à rien. Se rendant compte qu'il exposait ses avis sans même s'être présenté, il se reprit immédiatement.
"Excusez-moi, je ne me suis pas présenté à la totalité d'entre vous. Je m'appelle Ziresh, du clan de Liykkendra. Je suis le maître d'armes et Porteur de Lumière de la Citadelle endormie, située dans les Duchés des montagnes. Toutefois, je me dois d'être franc : je n'ai pas d'expérience de la guerre. Mais j'ai déjà combattu le mal à l'état pur."
Il en avait gardé les cicatrices. Il avait tué le Dieu-Pieuvre des mines de Lebher et s'il avait toujours essayé de résoudre ses problèmes sans passer par le meurtre, il avait été manipulé pour décimer le peuple troglodyte qui le vénérait. Lui et tous ses compagnons avaient gardé la marque de ce même dieu, les tuant à petit feu pour leur conférer une autre source de puissance. La difficulté, c'était qu'il ne pouvait pas prouver ses dires. Tout paraissait trop grand, même pour lui. Mais il allait devoir les convaincre de ses compétences. Il ne s'agissait pas de s'imposer en tant que représentant ou chef, mais de les pousser à enrayer cette évasion comme il le fallait.
"Il y a de cela plusieurs mois, j'ai été convoqué sur le continent de Nosvéris, dans les mines de Lebher. Des mineurs y avaient été assassinés. Je vais vous passer l'enquête et en venir au principal. Ces hommes-là étaient morts éviscérés, comme si une créature était simplement sortie de leurs corps. Il s'est avéré plus tard qu'il s'agissait de créatures arachnoïdes qui se développaient dans leurs victimes avant de sortir. Dans ces mines, nous avons découvert aussi un peuple. Un peuple souterrain qui vénérait un dieu maléfique. Ce dernier était représenté par une pieuvre. Or, la pieuvre était justement l'ancien emblème de Thimoros. En enquêtant davantage, nous avons réussi à nous défaire d'une invasion imminente en tuant le Dieu-Pieuvre. Bien sûr, il ne s'agissait pas de Thimoros lui-même, mais il était indéniable qu'il y avait un rapport entre ce peuple ancien et ce dieu."
Ziresh marqua une certaine pause. Ses souvenirs de la mort de Milyah, Warren et surtout de tous ces gens (dont des innocents) l'avaient marqué de manière indélébile. C'était aussi cela, la malédiction du Dieu-Pieuvre.
"C'est en cela que je pense qu'il faut vaincre la menace à partir de sa source. Et dans ce monde, pour l'instant, nous n'avons qu'une certitude. C'est qu'il nous faut atteindre le fluide spatial dont "ils" se servent. Je dois admettre que je n'ai que trop peu de connaissances à ce sujet, mais si la magie est instable, je pense qu'il y a une possibilité pour que nos compagnons doués de magie soient capables de trouver un moyen de détruire ces fluides. Ou au moins de les bloquer. Nous ne pouvons pas faire la guerre, mais nous pouvons l'enrayer. Mais il me semble nécessaire de trouver un moyen d'interroger les autochtones de cette planète. Ou alors de passer directement dans la lande noire et rencontrer ce Thensoor Val’Crooh."
Ziresh avait bien des choses à dire, mais il ne voulait pas paraître trop ostensible. Aussi, il passa ensuite à son point de vue quant à la nécessité d'un chef.
"En ce qui concerne cette idée d'instaurer un chef, ou un représentant du groupe, par expérience, je ne la trouve pas si mauvaise. Mais sur ce monde, nous sommes tous inexpérimentés. Si nous devons élire un chef, il lui faudrait connaître ce monde, afin de nous guider comme il convient. Sur Yuimen, cela aurait davantage convenu à la situation, mais ici..."
En ce qui concernait la réaction exacerbée du vétéran à la scolopendre, Ziresh ne put simplement se taire. S'il voulait rester dans le groupe, cela ne servait à rien s'il restait aussi agressif envers ses coéquipiers. Il n'en ferait qu'à sa tête, et aux vues de ses menaces, il était dangereux et n'hésiterait pas à tuer l'un de ses alliés pour un mot de trop.
"Quant à cette réaction puérile et exacerbée, ainsi que toutes ces menaces, je pense que tu ferais bien de les garder pour toi. Tout le monde ne partagera pas tes pensées, et ici, tu ne voudras certainement pas te faire davantage d'ennemis."
Il n'avait rien d'autre à dire à ce sujet. Et même si le débat devait encore être entretenu, de nouveaux arrivants avaient débarqué dans la salle d'entraînement. Trois hommes et une femme, accompagnés de Mathis. Leurs physiques étaient bien différents, tous d'une beauté vraiment particulière. Ziresh reconnut à travers l'homme à la peau noire et aux yeux rouges un shaakt. Ce qui était encore d'autant plus étonnant quand l'on voyait à quels ennemis devrait faire face l'assemblée. Mais il ne fit pas dans la dentelle. Il mentionna le nom d'une ville, manifestement de ce monde. Elle était attaquée. Le maître d'armes connaissait les renseignements qui avaient été donnés, aussi, il ne sembla pas étonné que cela soit arrivé. Mais cela semblait tout à fait l'affecter. Et toute la théorie de Ziresh, selon laquelle il fallait tuer le monstre dans l'œuf, venait de s'effondrer.
"Bon sang, il va nous falloir trouver un autre moyen de frapper fort... Quoiqu'il arrive, nous ne pourrons pas simplement faire la guerre avec un si petit nombre. Il nous faut trouver la source et l'anéantir, ou au pire, la contenir. Mais au moins, maintenant, nous avons apparemment les quatre guides dont nous avions besoin..."
Le Porteur de Lumière ne pouvait pas apporter d'autres idées. Et surtout, il n'avait plus d'autres choses à dire sans que cela ne paraisse obsolète. Mais il semblait que d'autres personnes importantes allaient venir pour les guider. Les ynoriens étaient des hommes intelligents. Ils sauraient bien mieux guider la troupe qu'en les laissant émettre des suppositions sur une planète inconnue.
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