Après mes dernières paroles envers Arak et notre jeune interlocuteur, Arak sortit sa hache et cracha dans ses mains. Tout cela ne présageait rien de bon.

"Heu, moi c'est... jeune inconnu. Heuu, non. Josh. Josh Moondorck. Ravie de vous rencontrez aussi. Excusez moi c'est heu... Le vol. Je n'ai pas l'habitude des voyages aériens."

Ce Josh n’arrêtait pas de me regarder en rougissant ! Mais qu’avais-je pu lui faire pour qu’il se comporte ainsi envers moi ? Je lui plaisais peut-être mais de toute façon mon cœur était déjà pris. Je serais curieuse de savoir la raison d’un tel comportement envers moi. Je lui poserais la question plus tard en espérant que cela ne le mette pas mal à l’aise. Alors que je m’apprêtais à lui répondre, un mouvement sur le côté attira mon regard.

D’un seul coup, sans crier garde, Arak leva sa hache et commença à donner de grands dans la rambarde. Mais il était complètement malade. Si Eliss entendait le vacarme, elle allait certainement lui faire passer un mauvais quart d’heure. Pourquoi voulait-il tellement descendre le niveau de la rambarde alors que celle-ci était pleine de trous en contrebas ? Il y avait des jours ou la subtilité du la culture naine m’échappait encore et ce jour en faisait parti.

"S'pas une rambarde qui va empêcher un nain de voir l'décor quand même ! Une fois un oncle à moi était parti à la pêche... il voulait pêcher sur une berge en pente douce ... et devinez quoi quand il est arrivé ... je vous le donne dans le mille .. Des falaises !! Qu'a cela ne tienne il a parlé du problème avec quelques amis et y sont revenus le lendemain pour dynamiter la falaise. Bien sur certains "bien pensant" vous dirons que deux cent mètres plus loin il y avait une plage de galet. Mais vous comprenez si on commence à passer là-dessus après et bien ... tout fout le camp, la jeunesse, tout ca."

J’essayais d’imaginer la scène qu’il venait de décrire. Un sourire fit son apparition sur mon visage alors qu’Arak continuait de frapper la rambarde, encore et encore. Quand un nain avait une idée en tête, il ne l’avait pas ailleurs, il ne fallait pas aller contre sa volonté.

Mon sourire fut de courte durée. Eliss, notre hôtesse, approchait derrière Arak. La situation allait s’envenimer si on ne faisait quelque chose pour calmer Arak tout de suite mais elle fut plus rapide que moi. Eliss leva simplement les bras en direction d’Arak et sa hache qui resta en l’air, en lévitation. Pas si fragile que cela notre hôtesse ! Elle nous avait bien caché ses dons magiques, encore une chose à garder en mémoire pour Pulinn. L’aynore était quand même protégé.

Tout en gardant les mains en l’air, Eliss s’approcha de notre petit groupe. Arak allait se prendre des remontrances maison, nous sommes tout aussi fautifs, nous aurions du faire quelque chose pour arrêter Arak. Mais la situation était tellement comique qu’elle détendait l’atmosphère. Pensant que la situation allait mal finir, Eliss afficha un petit sourire avant de s’adresser au nain. Aral ne devait pas voir notre charmante hôtesse.

"T'va me rendre ma hache oui ?? C'est ma hache !"

« Je suis désolée, mais je ne peux pas vous laisser détruire la propriété de la Compagnie Air Gris. Si vous voulez admirer le paysage, je vous conseille par contre de prendre un de ces escabeaux prévus spécialement pour personnes de petite taille, ou de vous rendre sur la proue du vaisseau, où la rambarde est percée de trous permettant une bonne vision de ce que nous survolons, et qui déjà maintenant est superbe : le pays kendran s’éloignant avec au centre la Cité Blanche prestigieuse… »

La messe était dite. Elle prit soin de poser la hache sur le sol. Finalement, la situation n’était pas si dramatique, elle l’avait plutôt bien pris. En considérant son petit laïus, je me pris à croire que les dégâts allaient être rapidement réparé. Laissons le temps au temps avant de spéculer sur une hypothétique réparation de la rambarde. Notre hôtesse nous fit remarquer, à juste titre, que nous nous éloignions de Kendra Kâr. Elle rappela ce que j’avais pu remarquer à Arak, la présence de trou pour que les gens de sa taille puissent voir mais aussi la présence d’escabeaux. S’il ne tenait pas debout, cela allait être difficile.

"Moui, bon j'imagine qu'j'peux éventuellement prendre l'escabeau pour cette fois. Mais il s'ra pas dit que je ne suis pas quelqu'un d'arrangeant ! Et ne touchez plus à mes haches !"

Arak ravala sa fierté et pris un escabeau pour admirer le paysage. Pendant qu’il montait les quelques marches, je pris le soin de nous excuser auprès de notre hôtesse.

- « Excusez-nous Eliss, mais la situation était tellement risible qu’elle nous a totalement échappé à moi et Josh. Après les chamboulements du décollage, cette petite scène de la part de notre ami Arak nous a fait sourire. Endommager le matériel n’est pas une solution en soi, nous en sommes conscients. Veuillez nous excuser pour notre manque de réaction. »

Il faut temporiser pour éviter de s’en prendre plein la vue plus tard. Elle pouvait s’avérer utile durant la suite de notre voyage. Arak avait un visage de gamin émerveillé.

"Foutre dieu ... c'est aussi beau qu'un tonneau de "brasseur longue-barbe" après une journée de travail ..."

Comparer une telle vue à un tonneau de bière relevait du compliment pour un nain. Cela était fort encourageant de sa part. Je me rapprochais de lui histoire de le surveiller au cas où il passerait par-dessus la rambarde. Nous n’étions pas à l’abri d’une bourrasque de vent. Je me pris une nouvelle fois à admirer le paysage de la Cité blanche qui s’éloignait un peu plus chaque seconde.

Alors que mes yeux scrutaient le paysage, j’avais entendu un rire lointain venant certainement de notre ami Josh. Je m’étais discrètement rapproché de notre compère nain pour surveiller son équilibre. Apparemment, il avait déjà bu une chope de bière sur l’aynore, je préférais garder un œil sur lui.

J’avais presque oublié que notre hôtesse se trouvait toujours avec nous sur le pont supérieur. Elle n’avait pas relevé mes paroles et je jugeai bon de ne pas chercher à en faire plus. De toute façon, elle avait tourné les talons pour rentrer. Je n’allais donc pas épiloguer sur la situation plus longtemps vu qu’elle était à peu près sous contrôle. Je n’allais pas passer mon temps à surveiller les faits et gestes d’Arak non plus ! Ce n’était pas ma mission !

Je tournai la tête pour héler Josh mais je vis que son regard était perdu dans l’immensité des nuages. Il avait détourné le regard, son comportement m’étonnait, je n’arrivais pas à discerner ce qui n’allait pas chez lui. Certes, il était timide, n’ayant aligné que trois mots, cette déduction était évidente. Mais il fallait qu’il se mélange avec les autres participants de cette croisière.

Tout en gardant un œil sur Arak, je fis quelques pas dans sa direction pour essayer de briser la glace. Il ne me vit pas approcher et je profitai de mon avantage pour l’observer quelques secondes avant de repartir à l’ouvrage.

Il avait un léger voile de tristesse devant les yeux comme si, comme si des souvenirs lointains de son passé refaisaient surface. Probablement des souvenirs douloureux. Je ne savais pas trop si je devais lui changer les idées ou le laisser seul à broyer du noir. Nous étions sur cet aynore pour profiter un peu de la vie, alors pourquoi se pencher sur son passé dans un moment pareil.

- « Excusez-moi Josh, mais j’ai remarqué que vous n’étiez pas très loquace. Ne soyez pas timide, je vous le répète, je ne mords pas. »

Il me faisait quand même un peu de peine avec son regarde de chien battu. Je détestais voir les gens dans cet état émotionnel, mon empathie à leur égard me perdra.

- « J’ai remarqué que vous étiez perdus dans des pensées douloureuses, qu’est-ce qui a pu les faire revenir à la surface ? J’espère que la démonstration de notre ami Arak n’en est pas la cause ! »

Ou alors, j’en étais la cause, et là, la situation deviendrait épineuse comme une rose qui bourgeonne un matin de printemps.

Vous... Tu as raison. Et encore désolée... Je suppose que je suis trop sur mes gardes, je devrais juste me relaxer et profiter du voyage..."

C'est alors que Sirat et moi regardons le nain s'en prendre à la rambarde avec sa hache. Ô Dieux qu'il est bête... S'il faisait quelques pas sur le côté, il pourrait admirer la vue. Sirat me fait remarquer que l'on devrait l'en empêcher mais je lui montre du doigt l'hôtesse automatisée qui s'en charge. Cette dernière semble pouvoir déplacer les objets par la force de sa magie, je suppose donc qu'elle doit être expérimentée. Je ne suis pas très douée dans les connaissances occultes mais je ne pense pas que la télékinésie soit un art des plus faciles à maîtriser. Un woran vient alors vers nous et s'excuse de nous déranger.

"Je vous en prie, se présenter à ses compagnons de voyage n'est certainement pas un manque de civisme, au contraire. Lilotëa, enchantée ! Et voici Sirat, nous faisions justement connaissance..."

Sirat l'interpelle alors en ce qui semble être leur langage maternel. Je ne sais pas trop ce qu'ils se racontent et comme je n'ai pas envie de faire remarquer que je ne comprends rien, je regarde le spectacle de clowns qui est devant moi. L'équilibriste nain sur son escabeau et ses deux assistants. Avec la distance, le vent qui siffle et le bruit des machines, je ne les entends pas. De toute façon, je n'ai pas très envie de savoir ce que peut raconter ce nain et un rayon de soleil vient taper sur mon verre avant de ricocher sur mes yeux pour me rappeler qu'il est seul et qu'il voudrait bien qu'on le boit. Je sirote donc mon cocktail et je regarde le paysage. Perdue dans la contemplation d'un nuage qui me rappelle étrangement une des mes peluches d'enfance, je m'aperçois soudain que je n'ai vu ni jeux ni instruments de musique à bord. Cette croisière fabuleuse me parait tout à coup assez pauvre. Qu'allons-nous pouvoir bien faire à part prendre des bains de soleil et des verres au bar ? L'hôtesse nous réserve-t-elle des animations quelconques ?

"Je vous prie de m'excuser si je ne parle que brièvement, je n'ai pas l'habitude de voir des gens, ni même de naviguer sur un bateau volant."

Il n’avait pas rechigné à me répondre, ce qui prouvait qu’il y avait de l’espoir pour lui. Un solitaire, participer à un voyage me semblait bien étrange pour ce genre de personne. La vue du monde déclenchait parfois chez ces personnes des crises. Je ne devrais peut-être pas trop sympathiser avec lui. Le fil de mes pensées m’échappa lorsque j’entendis son rire, clair et faux.

"Non, ce n'est pas notre amis à crête qui ma ravivé ces souvenirs... Juste un petit moment de solitude qui me rappel ce passé douloureux, qui n'est pas si loin d'ailleurs. C'est une longue histoire, qui ne vous intéressera pas je pense."

Il essayait de masquer quelque chose mais j’étais incapable de dire quoi. La perte d’un être cher pourrait donner ce genre de résultat sur une personne tel que lui. Sa blessure béante devait encore saigner abondamment pour qu’il ne veuille pas en parler.

"Vous remarquez à quel point le paysage vous parait beau, vu d'aussi haut ?"

Il détourna volontairement la conversation. Il n’aimait pas parler de lui, je pouvais le deviner. Mieux valait ne pas remuer le couteau dans la plaie, je n’étais pas folle non plus. Une douleur pareille, si c’était bien ce que je pensais, mettait du temps à cicatriser, j’en savais quelque chose.

Ce fut à mon tour de me perdre dans mes souvenirs. Ce paysage me rappela ce que mon père et moi adorions faire lorsque j’étais plus jeune : grimper aux arbres. Mon père était d’une souplesse incroyable, je devais tenir cela de lui. Il avait pour habitude de me venir dans ma chambre en fin de journée pour qu’on aille admirer le coucher de soleil au sommet du plus haut des arbres du jardin de notre propriété. Que ce spectacle pouvait me manquer maintenant ! Je serais incapable de dire si j’arriverais à remettre un jour les pieds sur la propriété familiale. J’étais partie comme une voleuse, je n’avais même pas pris le temps d’enterrer mes parents. Les amis de mes parents avaient du s’en occuper à ma place, du moins je l’espérais. Une larme coula subrepticement sur ma joue. D’un mouvement rapide, je l’essuyai.

- « Veuillez m’excuser mais ce paysage me rappelle mon enfance. Tout comme vous, je me suis perdue dans mes souvenirs… »

Tout comme lui, je n’avais pas très envie d’épiloguer sur le sujet.