Si je compte correctement, cela fait 3 jours maintenant, que je suis dans la forêt. Je n’arrive pas à mettre mon plan initial à exécution. Rejoindre la ville m’effraye. Et si les Shaakts que j’ai rencontrés – ô joie – s’y trouvaient ? Et si les hommes étaient aussi terribles qu’eux ? Après tout, je ne les connais pas. La ville, le monde, l’inconnu. De toute ma courte vie, je n’ai jamais vu plus de 6 personnes réunies. Alors en croiser des dizaines ! Je n’arrive même pas à le concevoir. Et puis, à quoi ça ressemble, une ville ? Mon père m’a bien montré quelques dessins, mais la notion reste très floue dans mon esprit.
Non, vraiment, je suis bien, dans la forêt profonde. Je n’ai encore rencontré personne, et c’est tant mieux ! Avec quelques branchages et feuillages, je me suis construit un abri dont je suis assez satisfaite. Toutes ces années de construction de cabane avec mon frère n’auront pas été vaines. Grâce à mon entraînement intensif à l’escalade de ces derniers jours pour cueillir les fruits, j’ai pu bâtir mon abri dans les arbres, pour me protéger des bêtes sauvages aux éventuelles intentions meurtrières. En plus, ma cabane est assez discrète et me camoufle correctement aux yeux des intrus.
Seul bémol à ma nouvelle vie : les fruits. Je ne mange que ça, et il faut l’avouer, les conséquences de ce nouveau régime sur mes intestins ne sont pas réjouissantes. Il faut que je m’exerce à la chasse pour varier mon alimentation. Il est temps ! Le régime frugivore m’affaiblit trop fortement. Je me damnerais pour un bon morceau de viande grillée ! Bon, c’est vrai, le feu risquerait de donner ma position aux voyageurs. Mais je suis éloignée des chemins courants. La tortille la plus proche doit se situer à deux-cents mètres au moins.
Bon allez, il est temps que je quitte ma couche de feuilles mortes ! C’est décidé, aujourd’hui je m’entraîne au tir à l’arc sur les p’tites bestioles de cette forêt, histoire d’avoir quelque chose à me mettre sous la dent au déjeuner.
En quelques bonds, carquois sur le dos, je rejoins le sol.
(Heurk ! Ma vieille, tu ne fleures pas le printemps ! Un passage à la rivière s’impose, il me semble !)
La veille, j’ai repéré un petit ruisseau non loin de mon nouvel habitat. Jusqu’alors, j’étais obligée de laper les quelques gouttes de rosée du matin pour étancher ma soif. C’est plus facile, désormais. Même si je regrette de ne pas avoir eu le temps d’emporter une gourde.
Arrivée à au bord de l’eau, j’enlève délicatement mes vêtements. Mon haut de feuilles est trop abîmé de toute façon. Nue, je me plonge dans l’eau fraîche du ruisseau, masquant les jolies courbes de mon corps et ne laissant apparaître que ma tête, depuis ma nuque. Mes longs cheveux flottent autour de moi. J’aurais dû les attacher… Après quelques brasses, je prends le temps de frictionner mon corps. Ca ne vaut pas un bain savonneux comme on avait à la maison, mais c’est toujours ça de pris.
Une fois ce petit rafraichissement terminé, je me reconfectionne une tenue de fortune. Ce n’est vraiment pas pratique. Je vais finir par être obligée de me rendre en ville un de ces jours… Mais je me connais, je vais retarder cette corvée au maximum.
Bien. La chasse maintenant. Je peut-être m’entraîner sur un tronc d’arbre, avant, non ? Je n’y connais vraiment pas grand-chose… J’ai observé mon père et mon frère durant la chasse. Leur carquois, ils le portaient à la jambe, pas dans le dos. J’imagine qu’il y a à cela une bonne raison. Après un haussement d’épaules, moyennement convaincue, je m’exécute.
Voyons voir maintenant. Je vais essayer de toucher la petite trace verte là, sur l’arbre. J’ai souvent entendu mon père dire que le bras d’arc est celui opposé à notre bras préférentiel. Donc, je tiens l’arc du bras gauche. Je dois prendre la flèche avec la main droite et bander l’arc. Essayons…
Armée de ma plus grande concentration, je place ma flèche sous tension et bande mon arc… Je décoche la flèche trop rapidement. Ma flèche fait un minuscule bond en avant.
(Pfff… Misérable… Pourtant, le frérot m’avait appris à viser les points faibles d’une armure d’un attaquant. Il disait que c’était en prévention. Tu parles ! Regarde où j’me trouve aujourd’hui…)
Je prends une grande inspiration, comme pour redonner force et courage.
(Réessayons. Souviens-toi de ce que disait ton frère… Je dois écarter mes pieds à largeur d’épaules et les positionner parallèlement à la cible. Par contre, mes épaules doivent être perpendiculaires à mon objectif. D’accord, comme ça… Ensuite…)
Je place mon bras de tir bien horizontal au niveau du coude et je baisse un peu l’épaule tandis que le reste de mon corps est stable et droit par rapport au sol.
(Si je me rappelle bien, pour viser, je dois tenir la carde à environ trois doigts en dessous de la flèche. Ma main doit être en contact avec l’avant de ma joue et la flèche à hauteur de mon œil. Parfait. Attention…)
D’un geste précis, je lâche ma flèche qui vient se planter au centre de la cible. Fière de mes bons souvenirs concernant les conseils prodigués par mon frère, je file décrocher la flèche de l’arbre. Mais ce n’est jamais qu’une unique flèche tirée correctement. Il m’a fallu du temps et beaucoup de concentration pour y parvenir. Il va falloir que je m’entraine sérieusement si je veux parvenir à chasser de façon efficace.
Après plusieurs heures d’entraînement, je me sens prête à passer aux cibles vivantes. Il faudra jouer la carte de la discrétion pour les approcher.
Planquée derrière un taillis, je guette, concentrée comme jamais. Soudain, non loin de moi, un lièvre sort de son terrier, le museau remuant sans cesse. Depuis le nombre de jours passés dans la forêt, il ne devrait pas détecter mon odeur de mi-elfe. Lentement, je me redresse, attrapant déjà au passage une flèche dans mon carquois. Les hommes de la famille avaient raison, elles sont bien plus simples à prendre quand il est sur la cuisse plutôt que dans le dos ! J’arme mon arc et… je marche sur une branche. Le craquement retentit dans le silence comme un coup de tonnerre, le lièvre détale sous mes yeux, aussi vite qu’apparait je juron que je hurle.
- « Merde ! J’ai faim !»
Cette séance de tir à l’arc m’aura occupée toute la journée. Dépitée, je retourne dans mon abri, vouée à manger, un jour de plus, des fruits.
Le lendemain, ma motivation est à nouveau bien présente. Je n’ai pas le choix ! Si je veux m’en sortir, je DOIS apprendre à tirer. Quitte à y passer des semaines.
Je passe donc quelques jours à viser des cibles variées, à distances et angles de vue diversifiés. JE constate par la même occasion que je me suis beaucoup trop surestimée le jour où j’ai voulu tuer le lièvre. Je dois m’entraîner beaucoup, plusieurs heures par jour, et le résultat commence à être encourageant. Certes, je ne suis pas une archère hors pair et j’ai encore énormément de choses à apprendre. Mais à force d’exercice, ma technique s’affine, et mon rythme de tir s’intensifie peu à peu.
Ça y est. Je me sens prête cette fois. Je vais m’attaquer au gibier. En faisant quelques rondes dans la forêt, j’ai repéré un endroit, près du ruisseau, où viennent souvent s’abreuver des chevreuils. Je me souviens exactement de l’endroit vital qu’il faut viser sur ces animaux : c’est la zone circulaire de neuf pouces de diamètre environ, située juste derrière l’épaule, qui regroupe des organes essentiels comme les poumons et le foie.
Armée, je mets peu de temps avant d’arriver au point cible. Et de fait, deux chevreuils s’y trouvent, gambadant innocemment, ignorant que la vie de l’un d’eux va certainement se terminer d’ici quelques minutes.
(Le ruisseau n’est pas large, ma flèche pourra aisément passer outre si je me dissimule derrière cet épinier.)
Concentrée comme jamais je ne l’ai été jusqu’à présent, emplie de confiance en mes nouvelles capacités, je décoche une flèche. Rapide, précise. La zone vitale est touchée tandis que la bête s’effondre, faisant détaler l’autre à grands bonds.
- "Ouais !! "
Je ne peux cacher ma joie, accompagnant mon cri de victoire d’un petit saut réjoui. Reste à dépecer la bête et à ramener les vivres au foyer. La soirée promet d’être bonne !
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