La douleur reflue, elle ne cesse pas mais devient plus douce. Je suis toujours incapable de bouger. La bête tourne comme un lion en cage, m'invite à tenter ma chance, à lui sauter au cou... Complètement con ouais. Enfin je n'vais pas nier que cette haine indomptable m'a été d'une aide précieuse, m'empêchant de sombrer tout à fait dans une folie meurtrière. Le spectre reprend la parole, me demande qui de nous deux est réellement hypocrite. J'trouve rien à lui répondre, optant pour le silence. J'essaie d'apaiser le monstre qui s'insurge en moi. Je prends une grande respiration, tente de me calmer. Elle se contente de renâcler. Je l'ignore finalement, préférant me concentrer sur les paroles du cavalier.
Il continue donc, m'expliquant que cette douleur, si brève fut-elle pour moi, lui il devait l'endurer au jour le jour. J'en ai mal pour lui, comment ne pas se briser sous ce poids. Comment pouvait-il continuer d'errer alors qu'une si terrible affliction pèse sur ses épaules, sans qu'un seul espoir de rédemption soit envisageable. Il semble pensif. Je n'ose pas l'interrompre, il poursuit donc sa diatribe. Me fait réfléchir aussi. Ce serait grâce à lui, à ce preux damné, que le cycle éternel mais néanmoins fragile de la vie puisse subsister sans interférence.
Lui qui retient les mauvais esprits de saccager les enfers. Lui encore qui endossait toute cette douleur. Lui pour finir qui acceptait cette tâche sans qu'aucun remord ne vienne entacher sa foi inébranlable. Il se savait être en accord avec lui-même, avec Phaïtos également. Il se savait inestimable pour préserver l'équilibre précaire du monde, grâce à lui les peuples de Yuimen jouissaient tous d'une vie plus ou moins agréable. Que se passerait-il s'il n'était pas là... Si les enfers se voyaient perturbés par des choses innommables, boursouflés de haines...
Sa voix devient alors glaciale, de moi il n'attends rien. Ni pitié, ni reconnaissance. Il cherche à me faire me remettre en question, et il a raison... Qu'est-ce que je fais moi ? Moi le pauvre nain qui hurle, se plaint et se bourre la gueule ? Qu'ai-je fait quand ma mère m'a quitté, qu'ai-je fait quand ce fut le cas pour ma sœur ?
Des éclats me reviennent en mémoire, je revois ma sœur souffrir, pleurer et gémir. Moi à côté, la laissant crier, les bras croisés. Elle venait de me défier après une grave dispute, j'y étais allé trop fort et mon dernier coup avait cassé certaines de ses côtes, lui perforant l'un des poumons. Bien sûr je n'en avais aucune idée... Bien entendu je ne m'imaginais pas à ce moment là qu'elle ne simulait pas, qu'elle avait vraiment mal. Alors je me souviens encore de ma réaction, je me suis moqué d'elle malgré les larmes qui perlaient le long de son visage, malgré ses sanglots. Au final je me suis esquissé, me rendant compte qu'elle avait vraiment mal. Le soir, lors du souper, aucune trace d'elle.
Effrayé par sa disparition, j'étais retourné sur le lieu de l'affrontement. Elle était allongée sur le sol, ne bougeait plus. J'étais aussitôt allé auprès d'elle, lui secouant les épaules, la sommant de se réveiller. Mais rien ne vint altérer son expression figée. Un fin filet de sang s'écoulait de sa bouche, il était dorénavant sec. C'est là que j'ai compris, j'avais tué ma jeune sœur, l'avait même laissé agonisé... Pris de panique je me souviens encore de ma cavalcade effréné pour m'enfuir, m'éloigner du cadavre. Cette nuit là et les suivantes je ne pensais plus qu'à elle, jamais je n'avais autant pleurer, jamais je n'étais allé aussi mal. J'étais coupable d'un crime qui me poussa même à essayer de me suicider. C'était mon père qui m'avait retrouvé en train de me pendre dans la cave. Je fus muet quant aux raisons qui me poussèrent à de telles extrémités. Je ne voulais pas avouer que j'avais provoqué la mort d'Inold, ma sœur... Ce poids pesait sur mes épaules, mais je dus faire face, la vie ne s'arrêtait pas pour autant. Je savais, ou étais presque sûr que ma mère le savait, ou du moins s'en doutait. Mais jamais elle ne m'accusa, jamais elle ne chercha à tirer de moi un quelconque aveu. Sans doute savait-elle que la plus terrible punition que je pouvais endurer venait de moi, se nourrissait de ma propre culpabilité... Les choses ne furent plus jamais comme avant. J'étais devenu un autre nain, j'avais conscience de plus de choses. Mais quelle leçon amer malgré tout...
Je reviens peu à peu à moi, le regard embué de larmes chaudes. Je jette un regard en direction du sombre cavalier et m'adresse à lui :
"Je vous prie de m'excuser, j'ai été trop... Impulsif, trop borné aussi il faut l'avouer. Ce que vous faite est admirable et même si vous ne voulez de ma gratitude, je ne puis que vous rendre un hommage, vous qui êtes un véritable disciple. J'ai également une question... Vous avez en charge les esprits souffrants si j'ai bien assimilé. Je voudrais savoir... Même si cela semble peu probable... Pouvez-vous par un quelconque miracle retrouver quelqu'un ? Ne serait-ce qu'un court instant, me permettre de lui parler..."
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J'suis tête en l'air... Merci à Dame Itsvara pour c'te superbe signature !
Korben's Song.
Dernière édition par Korben Bière Brisée le Jeu 17 Déc 2015 13:35, édité 2 fois.
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