Condamné à mortL'exécution ordonnée par Merilian hantait les rêves de Daemon, les hurlements déchirants de Korben tiré de force vers les cachots persistaient. Il se roulait, s'enroulait dans ses draps en gémissant des complaintes informulées. Une ombre l'observait à travers les soieries du baldaquin, immobile et lugubre. Un bras squelettique, littéralement parlant, se glissa au-dessus de ses agitations oniriques.
L'os entra en contact avec sa peau nue, le semi-elfe émit un murmure de mécontentement avant d'ouvrir les yeux, s'écarquiller, et hurler à plein poumons. Dans la panique, il se débattit pour chavirer hors du lit.
« Daemon, dame Merilian vous attend dans le boudoir. »Gauwin, l'invocation de la nécromancienne, quittait déjà la pièce dans un sinistre cliquetis. À bout de souffle, complètement paniqué, le fanatique s’étendit sur la pierre fraiche du sol et canalisa sa respiration.
(Décidément, chaque réveil est une source de frayeur à Endor...)Soudain une ombre jaillit de dessous le lit pour fondre sur lui, l'esquiver au dernier moment et s'élever dans les airs en un tourbillon évanescent. Une effluve de nuit prit enfin la forme d'un jeune chat au regard d'un blanc immaculé.
« Bonjour Morgoth, tu aurais pu me prévenir que la chose était là... »« Je le peux, mais les vivants sont rarement réceptifs quand ils rêvent. »« Euh... C'était toi la voix qui se foutait de moi dans le rêve où... euh... Non rien. » rougit-il.
La faera émit un son, qui n'était pas un son, mais une pensée lointaine se transmutant en un imbroglio de railleries et de miaulements.
Daemon grogna et ouvrit la fenêtre. Les premières lueurs pointaient à peine à l'horizon en de timides reflets colorant les nuages, les oiseaux piaillaient, le fond de l'air était frais. Il se demandait bien ce que voulait Merilian à une heure aussi matinale. Après un long bâillement, il sauta dans son pantalon et enfila le reste de ses affaires.
Les cheveux tout ébouriffés, il dévala l'escalier en colimaçon et découvrit la nécromancienne confortablement installée dans un fauteuil, une tasse brûlante à la main. Asad lui tenait compagnie et salua Daemon avec bienveillance. Le visage de Merilian était à moitié dissimulé par son capuchon aux coutures écarlates, ne laissant distinguer que ses lèvres maquillées d'un rouge pulpeux. Le souvenir de la veille raidit le semi-elfe, se remémorant que ces deux-là ont tout de même réclamés la mise à mort de Korben, son ancien compagnon de voyage...
« Vous êtes ravissante dame Merilian. » susurra Daemon, pâteux.
« Ah... Notre nouveau balayeur. » répliqua-t-elle sans lui adresser un regard.
Le rire intérieur de Morgoth dissimulé dans son pendentif acheva d'irriter le fanatique.
« Ta gueule le chat ! »L'aura maléfique de la nécromancienne engloutit le boudoir en une seconde, Asad fut si surpris par la réplique de son compagnon qu'il en laissa choir sa tasse en un tintement de porcelaine brisée.
« Excuse-le ! Ces derniers temps il voit des... chats fantômes ! Hum... Surement une prédisposition à la nécromancie... »« C'est étrange, je suis nécromancienne et je ne distingue aucun esprit errant dans le coin. » dégaina-t-elle d'un ton tranchant.
Daemon occulta sa maladresse, saisit une grappe de raisin et entreprit de la manger sur un fauteuil au rembourrage rouge, couleur dominante de la pièce.
« Pourquoi tant de fastes ? »C'était en effet la première fois qu'il voyait Merilian vêtu d'un corsage élégant sous un manteau noir aux broderies écarlates, un bijou sertit d'un imposant grenat ornait même son cou.
« Comme tu le dis si bien, aujourd'hui est un jour faste. Nous honorons Phaïtos d'un nouveau serviteur. »( L'exécution de Korben quoi. )« Du moins, si cette saleté de Lyikor ne s'est pas trop activée cette nuit... »Un méprit impérieux se lisait dans son regard, elle ne semblait vraiment pas porter Sine sans son cœur, dût-elle en avoir un. Le semi-elfe mâchouillait avec insolence, la toisant de côté.
« Cette condamnation est disproportionnée. Trop... définitive à mon goût. »« Le nain a profané le temple de Phaïtos, il doit mourir, ce sont les règles. » confirma le basané avec un regard dur envers son homologue.
Merilian semblait hautement agacée. Daemon comprit que trop insister était inutile, il serait plus simple de massacrer Oaxaca à coup de pendule plutôt que de convaincre cette folle. Il se servit donc à nouveau tandis que sa faera, amusée par la situation, lui souffrait de nouvelles répliques afin d'envenimer davantage la discussion.
« Ainsi le gamin commence à se rebeller. Fier de sa relique, n'est ce pas ? As-tu au moins consciences que ce gantelet appartenait à Thimoros ? Il s'agissait de son outil de torture de prédilection, il n'existe pas plus répugnant objet au monde... »Son expression trahissait un véritable dégoût.
« Ne laisse pas son influence t'étreindre, sinon... »Asad adressa un regard concerné à Daemon, sous-entendant le dérapage de la veille, quand la relique prit possession de lui sous l’excitation du combat. Honteux, il n'osa même plus affronter leurs regards.
Un long silence s'installa jusqu'à ce que Merilian pose enfin sa tasse. Elle se releva et observa l'état de l'appartement tout juste réhabilité.
« C'est du bon travail. À présent, que diriez-vous de quelque chose de plus intéressant ? »Ils restèrent tout ouïs tandis que la nécromancienne arpentait le salon en caressant les meubles.
« J'aurais besoin de deux individus discrets pour faire un petit tour dans les duchés. D'abord, j'aimerais que vous vous procuriez du matériel magique, puisque vous devenez de véritables messagers. La caverne des affaires est un endroit parfait. Ensuite, vous irez au village d'Alkil, dans le duché d'Amarante. Il y a là-bas un nécromancien qui pourra vous procurer du matériel pour exorcisme de spectre. Vous n'aurez pas d'argent donc offrez lui vos services en échange, il a l'habitude, il a déjà travaillé avec nous. »« Vous pouvez compter sur nous. » affirma Asad d'un ton plein de ferveur, aussi attentif qu'un petit chien envers son maître.
« Ah et il y a un groupe de chevaux sauvages, pas loin. Asad, tu t'y connais pour dompter alors ramène-nous ce que tu peux. Si vous menez ces missions à bien, vous aurez définitivement prouvé votre allégeance aux messagers. »Elle s'arrêta devant la porte afin d'ajouter :
« Surtout toi, Daemon. »(Bon sang, qu'est-ce que j’aimerais lui arracher la carotide avec les dents à celle-là.)Fleurs sauvages