Lorsqu'elle rouvrit les yeux, Azazel posait une main gantée sur son cou. Bien que toujours fatiguée par la soudaine perte de ses forces vitales et mentalement épuisée par les assauts psychologiques de Zekiel, Anastasie eut la force de dévier sa main avant d'envoyer un puissant coup de talon dans le torse de la créature. Celle-ci tomba au sol à son tour et les deux adversaires se redressèrent finalement d'un même mouvement. 
« Je vois que Zekiel a échoué, » commenta-t-il.
Sa voix, d'ordinaire neutre, trahissait une certaine appréhension qui fit grandement sourire la jeune femme.
« Cela fait trois fois qu'il s'y essaie, » répondit-elle. « Je ne vois pas ce qu'il y a de si surprenant à cela. »
Le disciple de Tal'Raban laissa échapper un soupir.
« Comment t'es-tu libérée de son emprise ? » demanda-t-il.
Mais la Comtesse secoua la tête pour signifier son refus de répondre et se mit en garde.
« Tu ne m'auras plus de cette manière, Gentâme, » éluda-t-elle.
« Je vois. Tu as compris. »
Aussitôt, Azazel leva un bras et lança une attaque magique que la jeune femme évita d'un pas sur le côté. Elle était, malheureusement, pratiquement à court de mana et n'avait pas la possibilité de boire une gourde sous les assauts ennemis. Alors que le disciple de Tal'Raban, lui, semblait en pleine forme de ce point de vue, ce qui lui donnait un avantage énorme dans un endroit si exigu. Comme pour souligner cette pensée, le Gentâme envoya trois nouveaux traits sombres dans sa direction, couvrant tout l'espace et empêchant toute esquive. Alors Anastasie se cacha derrière son bouclier, encaissant de front un sort ; l'attaque s'infiltra néanmoins dans la protection pour continuer jusqu'à son torse. Bien que diminué, le coup n'en resta pas moins douloureux pour la Comtesse, qui sentit son ventre se tordre de douleur alors que la manifestation fluidique s'insinuait dans les pores de sa peau. Elle ignora cependant la douleur pour foncer sur son adversaire, Perçombre en avant, et le viser d'une puissante estocade. Mais la silhouette disparut alors que la lame s'apprêtait à la pénétrer, laissant l'arme percer l'air. Sentant l'air bouger derrière elle, Anastasie se retourna à temps pour éviter une nouvelle attaque magique d'un pas sur le côté avant de repartir à l'assaut de son ennemi. Faisant cette fois face, le Gentâme sortit de nulle part un marteau météore qu'il envoya prestement dans sa direction, forçant la jeune femme à arrêter sa course pour se défendre de la violente attaque. Manquant cependant d'élan à cause de l'étroitesse des lieux, la boule frappa cependant le bouclier avec peu de force et la Comtesse reprit rapidement son chemin pour asséner un coup de taille plongeant à son opposant. Mais celui-ci disparut une fois de plus. Automatiquement, la théurgiste se retourna, mais il n'était pas visible. Elle comprit rapidement de quoi il en retournait : il voulait combattre dans un environnement favorable. Son marteau n'était pas fait pour les endroits exigus, comparé à la rapière d'Anastasie qui pouvait en plus aisément parer toutes ses attaques.
Lorsqu'elle fut de retour dans l'arène, Azazel l'attendait, faisant tournoyer son arme d'un air menaçant. La jeune femme esquissa une course vers l'avant mais, dès qu'elle vit le marteau partir, elle recula précipitamment. La boule ne rencontra que du vide et retourna rapidement vers son propriétaire, mais la jeune femme avait néanmoins pu voir ce qui l'intéressait : la portée maximale du fléau. L'obscurité ambiante, que son sort lumineux ne parvenait presque pas à combattre, ne lui permettait pas d'avoir une visibilité optimale, mais c'était suffisant pour discerner les gestes de son adversaire et remarquer que son coup ne pouvait aller plus loin sans que l'extrémité de sa chaîne ne lui échappe. Ayant évalué un rayon d'un peu plus de deux mètres, la jeune femme tourna rapidement autour du Gentâme sans dépasser la distance de sécurité, le forçant à tourner sur lui-même. Voyant qu'elle ne se décidait pas à venir à sa portée, le disciple de Tal'Raban envoya des traits sombres dans sa direction, anticipant sa position une seconde plus tard pour la toucher. Mais la Comtesse roulait au sol, ralentissait, accélérait, forçant la créature à dépenser ses réserves de mana sans parvenir à la toucher. Elle était trop mobile pour lui et, ainsi sous l'emprise de son sort de vigueur, ne donnait aucun signe de fatigue, si ce n'était ceux causés par le drain de ses forces vitales un peu plus tôt. Alors, Azazel fut contraint de passer lui-même à l'offensive. Il disparut en une seconde, emportant sa chaîne avec lui.
( Un, deux, ) compta Anastasie.
Et elle se baissa, exécutant une roulade vers le centre de la pièce alors que la boule passait à quelques centimètres de sa tête. Lorsqu'elle se redressa, elle était de nouveau hors de portée du Gentâme, qui faisait tourner son marteau météore dans le vide vers l'extérieur de l'arène. Elle avait remarqué plus tôt que ses disparitions ne duraient jamais moins de deux secondes, sûrement le temps pour lui de se dématérialiser et se rematérialiser. Il ne se téléportait pas : il changeait de plan. Ce qui était tout à fait logique pour un Gentâme, qui devait utiliser l'énergie vitale de ses interlocuteurs pour rester sur Yuimen, leur lieu de vie se trouvant en réalité en enfer. Evidemment, toutes les règles ne s'appliquaient pas dans le cas d'Azazel : il avait lui-même répondu à certaines questions de la jeune femme sans qu'elle ne ressente la moindre langueur mais avait volé son énergie lorsqu'elle-même avait répondu à ses questions, ce qui était l'inverse de ces créatures de Phaïtos. Mais celui-ci ne servait pas le Dieu des Morts mais le Lord Nécromant, pour une étrange raison que ne comprenait pas la Comtesse. Autrement dit, la plupart des règles devaient être vérifiées avant d'être considérées comme pertinentes ou non. Mais une chose était certaine : Anastasie n'avait jamais entendu parler de Gentâmes capables de lancer des sorts d'Ombre en plein milieu du plan physique de Yuimen. Et cela tombait bien, car ils étaient, selon les légendes, absolument intangibles et intuables. Ne restait plus qu'à espérer que cela soit faux dans le cas de celui-ci.
Après cette esquive, les deux adversaires se regardèrent quelques secondes sans bouger, si l'on omettait le mouvement régulier du marteau météore battant l'air à la droite d'Azazel. Puis il disparut de nouveau. Anastasie compta de nouveau jusqu'à deux avant de sauter sur le côté, évitant de justesse un violent coup plongeant. La boule frappa le sol, créant un impact terrifiant dans la pierre, puis disparut de nouveau, obligeant la jeune femme à s'écarter de quelques pas de plus. Cette fois le coup fut de nouveau circulaire, tentant de la faucher aux jambes, mais elle sauta sur place juste à temps. Puis le Gentâme s'immobilisa de nouveau, continuant de faire tournoyer son arme dans le vide alors que la Comtesse s'écartait de sa portée. Puis, finalement, il fit ce qu'elle attendait qu'il fasse depuis le début : il commença une attaque et, au lieu de disparaître, s'avança rapidement pour être certain de la toucher. Mais elle ne fit pas ce que lui avait prévu ; au lieu de reculer pour tenter de lui échapper, elle se précipita aussi rapidement que possible dans sa direction, Perçombre en avant, lâchant même le bouclier pour gagner de la vitesse. Avant qu'il n'ait le temps de comprendre ce qui se passait, la jeune femme plongea sous la chaîne, effectua une roulade et se retrouva juste devant lui. Emportée par son élan, elle ficha alors sa rapière dans l'abdomen d'Azazel en une puissante estocade qui le traversa de part en part, lui tirant un râle de souffrance. Utilisant ses deux mains pour appuyer de toutes ses forces sur son arme, elle se laissa tomber sur lui pour donner tout son poids dans l'attaque ; le Gentâme lâcha son arme sous le choc, et la boule gicla à plusieurs mètres de là avec force, emportée dans sa course. La créature, elle, n'eut pas le temps de disparaître et fut entraînée au sol ; Anastasie se rattrapa des genoux, enfourchant le disciple de Tal'Raban, modifia la trajectoire de Perçombre en appuyant sur son pommeau et poussa de toutes ses forces pour percer tout son thorax de l'intérieur. Azazel poussait des cris de douleur alors que l'épée lui lacérait les entrailles, répondant à une question fondamentale de ce duel : il était bel et bien tangible, et si elle en jugeait par les dégâts occasionnés par son attaque meurtrière, craignait la douleur.
Anastasie n'eut cependant pas le temps de l'achever, car le Gentâme trouva rapidement la force de sortir de ce plan, disparaissant de sous ses jambes. Elle se redressa vite pour scruter la salle de fond en comble, mais aucun signe de la créature n'était visible. Quelque chose attira cependant son attention : un vrombissement au-dessus de sa tête. Lorsqu'elle leva les yeux, elle aperçut, caché dans les ombres, une silhouette se mouvoir depuis le balcon qui surplombait l'arène. La seconde d'après, une attaque magique la prenait pour cible. Elle n'eut aucun mal à l'esquiver et prit immédiatement la direction des escaliers, mais lorsqu'elle arriva en haut de ceux-ci une rune apparut, lui barrant le chemin. L'apparition fut cependant ponctuée d'une hurlement de douleur de la part d'Azazel, prouvant que ses paroles en la matière n'étaient pas des mensonges : il utilisait bien une part de son âme pour faire apparaître et disparaître les runes. Immédiatement, la jeune femme descendit les marches quatre à quatre et, arrivant de nouveau dans la salle circulaire, se précipita vers le balcon, s'aidant du mur pour atteindre la balustrade, à deux mètres du sol. Mais la créature lança une nouvelle décharge magique, particulièrement faiblarde et lente mais qui obligea la Comtesse à lâcher sa prise. Contrôlant sa boule lumineuse, elle envoya la lumière derrière le Gentâme, qui avait un trou béant à la place de l'estomac. De celui-ci s'échappait des volutes de fumée noire qu'il semblait vouloir garder en lui en couvrant la plaie. Le plan de la jeune femme était tout trouvé. Elle prit de l'élan avant de foncer de nouveau sur le mur pour escalader la rambarde ; la seconde d'après, un trait ténébreux la prenait pour cible et elle lâchait prise. Elle recommença une seconde fois, puis une troisième, forçant Azazel à lâcher son énorme plaie à chaque nouvelle tentative. Bientôt, la créature posa un genou au sol, incapable de se tenir debout. Alors la jeune femme parvint à atteindre l'étage sans qu'il n'ait le temps de l'attaquer. Mais lorsqu'elle se tint devant lui, Perçombre en main, il disparut de nouveau de ce plan. Elle envoya la lumière, qui gagnait en vigueur à mesure que le Gentâme s'affaiblissait, au centre de la pièce pour en observer les alentours, mais il était introuvable. Pour autant, il ne devait être loin car la boule lumineuse n'était pas tout à fait à sa pleine puissance.
Lorsqu'elle se laissa glisser de nouveau dans l'arène, un bruit attira son attention juste derrière elle. Elle eut tout juste le temps de se retourner pour voir une épée courte se diriger vers son cœur. D'un coup de main, elle dévia la lame, qui se planta profondément dans son ventre, à gauche de son estomac. L'acier glacé mordit sa chair avec violence, lui tirant un cri de douleur alors que le Gentâme affaiblit mettait toutes ses forces sur le manche de son arme pour la dévier à l'intérieur même de son corps comme elle l'avait fait un peu plus tôt. Sous la souffrance, elle lâcha Perçombre, se mettant à la merci de son adversaire, incapable de riposter. Elle posa ses mains sur les gants de son ennemi pour tenter de le repousser, mais sa prise, malgré sa faiblesse, était puissante. La lutte dura quelques secondes supplémentaires et fut extrêmement douloureuse pour la jeune femme, qui sentait l'acier se déplaçait légèrement dans sa chair, perforant les tissus et faisant couler abondamment son sang au sol. Mais elle tint bon, tâchant de gagner du temps alors que des volutes de fumée continuaient de s'échapper du corps d'Azazel. Et c'est en voyant ce spectacle qu'elle eut une idée. Gentâmes et Ombres avaient une chose en commun : ils étaient plus ou moins des âmes bruts, sans réelle enveloppe charnelle. Si celui-ci semblait souffrir de l'échappement de cette sombre vapeur, c'était certainement là la forme que prenait son être, qui se volatilisait petit à petit, l'affaiblissant grandement. Et elle avait vaincu, quelques jours plus tôt, Zekiel en le privant d'enveloppe. Alors, lâchant les mains de son adversaire, elle attrapa son casque par les deux cornes qui ne ceignaient et tira de toutes ses forces. Ce laps de temps permis au disciple de Tal'Raban d'agrandir l'ouverture béante qu'elle avait au ventre, mais quand enfin le heaume lâcha, toute l'âme d'Azazel s'évapora dans un long et lugubre râle.