Sur le bruit passablement tolérable d'une trentaine de pas de l'elfe verdâtre vers les tréfonds, la suite de ce caveau monumental prend place. Partout autour, un plafond décoré d'étoiles, des murs peints dont je n'ai que faire. Les gribouillages du passé qui ne concernent pas mes problèmes présents n'ont aucune valeur. Je laisse ça aux abrutis qui passent leur temps à étudier des restes et se rendent compte trop tard qu'ils ont gaspillé leur vie avec ces crétineries. Je suis là pour trouver des réponses concernant les aurores, mettre un terme à ce phénomène et aller débusquer la grosse moche barricadée dans son antre, rien de plus. Grimace. C'est quand même foutrement ironique que la clé du mystère d'un événement céleste se trouve sous terre. Si j'avais la moindre once de crédulité ou de stupidité aveugle, j'aurais pu y voir la tentative désespérée d'une quelconque volonté pour me mettre de mauvais poil ou juste me casser les pieds.
Je relève la tête au moment où je constate un autre croisement, encore. Deux directions : en face ou sur la gauche. La première possibilité est barrée par un panneau brillant duquel mon attention est détournée par le mouvement du géant. Visiblement, comprendre qu'il sert de chair sacrifiable pour permettre aux autres imbéciles de venir se servir en or, entre autre sur cette porte qui nous fait face, ne lui plait pas. J'en esquisse un sourire en coin. Il a beau s'en défendre, il
est un éclaireur pour leur compte, comme nous. Et mettre des paroles sur ce fait ravive mon amertume. J'en ai ras-les-ailes qu'on se serve de moi. Un jour prochain, quelqu'un paiera au centuple pour tout ceci.
Grommelant, j'avise la porte dorée vers laquelle Dae'ron s'est un peu avancé.
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Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, de toute façon.", fait-il en désignant quelque chose. "
Nous risquerions juste de nous faire casser les spirales, parce que nous devrions briser ce sceau pour passer."
Deux battements d'ailes plus tard, je me tiens auprès du Protecteur et examine la paroi. Une porte visiblement faire d'or, à deux battants, chacun avec une poignée et toutes deux reliées par des cordes. Un sceau dans une matière rigide et claire les maintient en place, sauf qu'il n'a pas l'air des plus résistant. On dirait un bout de poterie qu'on aurait collé là parce que quelqu'un n'a pas été foutu de faire un nœud.
Mon regard remonte. Je découvre un détail qui me hérisse et ravive, comme un coup de lame, la douleur liée à un brutal renouveau de haine. Mes dents se dévoilent en une grimace hostile, animale. Sur un battant, un homme est agenouillé en prière. Et sur l'autre... Une femelle, presque de profil et déployant de grandes ailes, le scrute. Et tout ça, sous un beau soleil sommital, aussi doté d'ailes ! Cette porte, datant de je ne sais combien de siècles, dépeint une scène ignoble ! Humiliante ! Un mâle sans ailes prosterné devant une femelle géante à plumes ! Non seulement ces enflures à déformations pectorales se permettent de disposer des autres comme de bétail, mais en prime elles se glorifient en montrant un mâle
libre de toute entrave le faire de son plein gré ! Comme si elles n'avaient rien à se reprocher !
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Raaaah !", vociféré-je en ajustant violemment un carreau d'arbalète dans la rainure de l'arme. "
Par mes ailes ! Même dans une ruine perdue depuis des siècles, il faut que je découvre ça ! Juste pour me l'envoyer en pleine face. À croire qu'on redoute que je puisse oublier ! Comme si l'éclat de ce métal pouvait améliorer cette scène de quelque façon que ce soit !"
Dae'ron fait entendre sa voix, mais je ne lui prête aucune attention. Pas cette fois. Après avoir été contraint de m'embarquer à la recherche de réponses, avoir passé un temps absolument éreintant à cause de l'amulette sans parvenir à en tirer le moindre indice, avoir du me joindre à un vol d'aldrydes, du encore m'abaisser à avoir recours à l'aide d'un vieux croulant gigantesque, voilà que cette bâtisse puante de poussière et évidemment souterraine m'envoie sa glorification de la femelle ailée en plein dans la face ! C'en est trop !
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Encore une saloperie de grognasse immonde qui se croit supérieure ! Et l'autre abruti sans la moindre once de courage qui se courbe à ses pieds ! C'est pitoyable !", éclaté-je sans la moindre retenue avant d'ajuster posément mon arme vers sa sale gueule, bien décidé à arracher à cette bouche sculptée son esquisse de sourire. Elle ne criera pas, ce qui est fort dommage, mais cela aura au moins le mérite de me libérer d'un poids !
Et encore une fois, alors qu'une puissante voix intérieure m'affirme que j'ai toute légitimité pour le faire, le carreau ne part pas. Parce que Dae'ron a jugé logique de se placer entre ma cible et moi. J'ai beau tenter de me décaler, le Protecteur suit mon mouvement sans dire un mot. Il m'énerve. Il m'énerve, par mes ailes ! C'est une porte ! Juste une foutue porte ! Il ne va quand même pas risquer de recevoir un carreau pour protéger un objet !
"
Justement !", s'insurge le brun, me faisant réaliser que je me suis exprimé à voix haute. "
Ce n'est qu'un bout de métal arrangé et peint pour ressembler à quelque chose. Ne gaspille pas tes munitions là-dessus, cela n'en vaut pas la peine.", insiste-t-il.
"
Mais par mes ailes, Dae'ron ! Comment tu peux accepter cette représentation ? Regarde encore ! ", dis-je avec rage. "
Tout ce que je hais, résumé en un dessin !"
"
Je sais. Je sais, Nessou... Ssandro. Mais ce n'est pas exactement ce que tu crois.", dit-il en se tournant à demi, sans pour autant s'écarter de ma ligne de tir. "
Cela ne ressemble pas à un mâle aux ailes brisées, mais à un humain. Celui de l'énigme, peut-être. Et tu vois bien que la femme n'a ni nos oreilles ni notre peau. Ce n'est pas une aldryde.", explique-t-il posément en rivant son regard au mien. "
Tu en conviens ?"
Je bouillonne de colère et d'une soif de destruction certaines, et me mue dans un silence lourd. Refus d'observer cette porte. Ma mâchoire se serre avec force et je finis par pousser un râle énervé. J'ai à peine abaissé mon arme que le Protecteur laisse échapper un souffle soulagé. Ce n'est qu'à ce moment que je perçois qu'il tremble un peu. Toute ma hargne s'atténue d'une traite, se changeant en un soupir agacé. Il a de la chance que je le respecte, que je tienne à son existence et que l'arbalète ne soit pas trop sensible.
Un lot incroyable de piques amères s'amasse derrière la paroi de mes dents. Si j'ouvre la bouche, je sais que je vais le blesser. Et je le ferai. Oh oui, je le ferai. Mais pas devant un géant. Nous l'aurons cette conversation que nous ne cessons de nous promettre, et ce ne sera pas joli à voir. Il faut que je tienne encore un peu, que j'intériorise encore une toute petite fois...
Après m'être efforcé de respirer lentement l'air vicié des lieux, je me contente de faire un signe brutal de tête pour l'inciter à reprendre l'exploration vers le gros couloir sombre. J'espère de tout cœur qu'il y a encore une créature en vie dans les environs, que je pourrai massacrer sans que le Protecteur m'en empêche encore une fois ! Par mes ailes, j'accumule une frustration de plus en plus importante. J'ai rarement du me retenir aussi longtemps de laisser libre court à ma violence. Cela commence à me ronger, je le sens. Un jour, je sais que je ne serai pas en mesure de retenir mon geste parce que je ne voudrai pas le faire. J'espère qu'être à l'origine d'une mise à mort prochaine ou être la cause de longues souffrances chez un être honni aidera à l'évacuer. Et si cela ne suffit pas...
Je jette un regard appuyé à mon congénère, détaillant sa puissante et pourtant humble silhouette.
(
Je te mettrai à contribution pour m'en défaire, que cela te plaise ou pas, mâle. J'ai hâte de voir si tu auras autant de répartie ou d'idées face à ma furie.)
Sourire mesquin tandis que je reprends mon vol, avertissant l'elfe du regard de garder ses commentaires pour lui. Je peux prendre sur moi pour épargner Dae'ron, mais c'est le seul ici à bénéficier d'un tel traitement de faveur.
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Je passe devant.", annonce Dae'ron en brandissant la torche.
Il s'apprête à donner encore des conseils de prudence, mais un échange vif de regards suffit à l'en dissuader. Il commence à comprendre. Enfin !
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