La patte grinçante s'abat mais avec tant de lourdeur que, même avec les deux jambes brisées, jamais elle n'aurait pu m'atteindre. Un son vif, un grondement familier et soudain mon attention est attirée par un objet coloris feu chutant non loin. Un signal que mon corps interprète avant mon esprit. Un bond appuyé par mes ailes, j'attrape mon arbalète gisant au sol. Deuxième bond en arrière pendant qu'un ensemble de sons, ressemblant presque au cri d'un être vivant, retentit. Dernier coup de talon, battement d'ailes qui m'aide à regagner ma place dans les airs.
Lorsque mon regard se pose sur la chose, c'est pour la voir littéralement mise en pièces. Le métal choit comme des morceaux de coque de noix, révélant... Un corps. Mais un corps étrange. Humanoïde de grande taille, évidemment, mort depuis longtemps si j'en juge au peu de chair qui lui reste. Mais avec encore de la peau sur les os. On dirait presque une statuette rachitique façonnée dans un vieux bout de cuir. Ma langue claque et j'effectue un mouvement vers l'arrière lorsque le cadavre debout se met à suinter quelque chose d'orange. Dès que la chose a achevé de se vider, elle tombe dans la ferraille, causant un écho désagréable.
J'avise froidement la gemme teinte feu reposant au sol. J'avais raison. Ce coeur animait la créature, et sans cet imprévu, j'aurais pu le lui arracher moi-même. Haletant, Dae'ron arrive à ma hauteur, mais je chasse son inquiétude d'un revers de main silencieux. La chose a beau gésir au sol, je ne me sens absolument pas satisfait pour autant. Elle n'a vraiment pas assez souffert, mais difficile de causer de la douleur à un objet de métal. Pourtant, ces cris...
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Du feu. Encore et toujours du feu. Il y en a un à qui cela plait.", fais-je en tendant légèrement le bras droit, avisant comme le Protecteur la main qui s'est autrefois posée sur l'orbe.
Mes spirales perçoivent un son dubitatif de mon congénère, qui s'en va survoler la gemme.
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Quel... Mélange incroyable.", fait-il avant de se tourner vers l'elfe resté dans son coin. "
Rien de cassé, Adar ?"
Et le voilà encore à se préoccuper des autres plutôt qu'à pousser son enquête plus loin ! J'émets un souffle réprobateur puis avise le tas de ferraille. Dae'ron a raison sur un point : je n'ai pas souvenir d'avoir auparavant croisé une telle fusion entre le mécanique, le magique et le vivant. Façon de parler pour le dernier point. Est-ce que ce truc était un garde ? Condamné à poursuivre son devoir même après son trépas ? Ou est-ce quelque chose de plus sordide, du genre d'avoir été enfermé là-dedans de son vivant ? Vu le poids de l'armature, je doute que même le plus solide des géants soit à même de tenir debout sans aide, une fois pris au piège.
J'effleure mon casque du pouce en fronçant les sourcils. Est-ce que l'esprit de la chose était maintenu dedans par magie ? Cela signifie que les autres portes sont peut-être pourvues des même défenses.
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Tch !", fais-je en grimaçant. "
C'est frustrant !"
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Parce qu'il est tombé trop vite ?", plaisante le brun sans me regarder.
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Aussi. Mais non. Parce que si les concepteurs de cette chose étaient capables d'allier autant de facettes de savoirs en une création, alors... ", grondé-je avant de lui jeter un coup d’œil.
Pas question d'évoquer mon sentiment d'infériorité vis-à-vis de ces inconnus. Mais si des armes aussi avancées que le garde se trouvent quelque part dans la construction, j'aurai l'air d'un arriéré si je dois en affronter le porteur avec ma pauvre arbalète ! Foutues ruines !
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Il faudra s'attendre à surprises plus létales."
Le Protecteur pèse mes paroles un instant et acquiesce, rajustant la torche même si les bougies présentes suffisent à y voir. Encore une autre énigme d'ailleurs, que ces mèches encore vives malgré le temps passé.
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Cette gemme faisait tenir les morceaux ensemble, on dirait. Peut-être pourrait-on...", déclare le Protecteur en avisant la boule teinte feu.
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N'ajoute rien.", le coupé-je abruptement. "
Tu veux qu'on l'embarque. Au cas où elle pourrait servir de source d'énergie, quelque part dans cette bâtisse."
L'amusement que je perçois chez le Protecteur m'interloque un bref instant. Quoi ? Ce n'est pas la première fois que nous concordons, si ? Qu'il fasse comme bon lui semble avec cette sphère, mais hors de question que j'y touche. C'est un coup à ce que le Crapaud s'en fasse un gueuleton abominable et s'amuse encore à mes dépends.
C'est donc contraint et forcé que je reporte mon attention vers le verdâtre. Reste à espérer qu'il aura un minimum suivi mon fil de pensées, s'il ne décide pas de partir la queue entre les jambes à cause d'une petite frayeur de rien du tout.
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