Le soldat n'avait eu le temps de faire qu'une première sommation avant d'entamer sa poursuite. Et Goont ne s'en rendit compte que quelques minutes plus tard, mais sa démarche était complètement suicidaire. La seule chose qui le séparait du chevalier, c'était les vingt mètres d'avance qu'il avait entre eux deux dès le départ et le poids de son armure. Mais lui-même était vieux et fatigué. Si les fluides qu'il avait ingérés avaient débloqué ses pouvoirs et offert une bien meilleure forme, ce n'était pas pour produire des efforts physiques.
Heureusement (d'une certaine manière...), il fut très vite repéré par l'ensemble des soldats. Car en fuyant son premier poursuivant, il avait fait un véritable brouhaha : il était passé par la grande place. Trois d'entre eux s'étaient joints au mouvement. Mais encore une fois, leurs armures étaient trop encombrantes pour qu'ils puissent passer aussi facilement qu'Hivann à travers la foule. Et un formidable évènement arriva au sein de l'immense marché. La population naine de Mertar vint en aide au mage sans s'en rendre compte. Car irrités par l'impudence de soldats, certains ne s'étaient pas gênés pour les bousculer violemment, les faisant tomber à la renverse. Mais aucune bagarre n'éclata : les hommes d'Oaxaca semblaient n'avoir que leur cible principale en tête. Et sans doute se disaient-ils que quitte à tuer un nain, ils pouvaient toujours aller le chercher plus tard, dans une taverne. Ainsi, le mage réussit à faire ralentir ses ennemis, lui permettant de reprendre une course plus régulée et une meilleure respiration. Mais cela ne dura pas longtemps, puisque les deux derniers soldats arrivèrent pour engager de nouveau la poursuite. Fort heureusement, il y avait une légère pente qui menait à un endroit bien isolé de la place. Le puits n'était donc plus très loin. Il n'aurait plus qu'à compter sur ses compagnons pour qu'ils puissent le rejoindre à temps et l'assister dans sa bataille...
"Au nom d'Oaxaca ! Arrêtez-vous !" hurlait l'un d'entre eux, alors qu'ils entraient tous dans la gueule du loup.
Et Goont s'arrêta. Il se trouva juste en face du puits vers lequel il voulait les mener. Maintenant qu'il y était, il commençait à douter de la manière dont il réussirait à se débarrasser d'eux. Une chute suffirait à les tuer, il n'y avait pas de doute. Mais si ses mercenaires arrivaient trop tard, il risquait sa vie autant que ses assaillants. Il les voyait très bien tenter de l'y jeter. Alors sa magie ne servirait plus à grand chose... Il se retourna. Les six soldats d'Oaxaca lui faisaient face. Une lueur meurtrière brillait dans leurs yeux, alors qu'ils reprenaient bruyamment leur souffle. Le géomancien s'en félicita d'ailleurs, car en ayant réussi à les fatiguer autant, il augmentait ses chances de réussir à esquiver leurs coups lents et affaiblis. Et quand Karl, Lür et Porick arriveraient, ils seraient d'autant plus en danger.
"Il ne sert à rien de lutter, Ynorien ! Vous n'avez plus que la mort comme échappatoire. Venez à Darhàm et vous aurez quelques jours à vivre en plus !" déclara l'orque du groupe. Il était d'ailleurs étrange de voir une telle race en tête d'un groupe humain.
"J'aurai bien plus de "quelques jours", garzok. Si tu crois que je vais simplement m'offrir à toi, tu dois être en plein fantasme."
La créature dégaina alors son épée et chargea trois de ses sous-fifres d'aller attraper le vieux mage. Ce dernier ne fit que bouger un peu. Il avait besoin qu'un maximum de ces fanatiques soient proches de lui pour commencer à attaquer... L'orque pointa alors l'une des jambes du géomancien avec l’extrémité de son arme.
"On nous a demandé de te ramener vivant. Mais tu n'auras pas besoin de tes jambes."
Ils étaient déjà quatre autour de lui. L'orque, un soldat derrière lui, et deux autre pour le saisir à partir des bras. Mais ils furent trop lents. Avant qu'ils ne puissent poser clairement la main sur lui, Goont sortit le parchemin qu'il avait acheté au bazar magique. En voyant le contenu du document, il lui sembla alors absorber une tonne d'informations en seulement une fraction de seconde. Sans pouvoir l'expliquer, (car c'était un phénomène surnaturel qu'il avait oublié depuis l'installation de sa Pierre d'Oubli) il lui sembla connaître ce sort depuis toujours. Sa pierre d'oubli brilla d'une lueur pourpre. Il sembla même à Hivann qu'elle se mettait à vibrer, laissant passer un flux de fluides de manière bien plus brusque et violente. Car si ses précédents sorts lui avaient demandé une longue concentration, la puissance terrestre, elle, avait simplement surgi. Cela ne fut que l'affaire de quelques secondes, mais les étapes de la construction de ce sort semblaient avoir ralenti le temps, alors qu'il prenait conscience de ce qu'il produisait. Un faible tourbillon de sable avait d'abord tourné autour de lui, à ses pieds. Plus il était monté pour s'épaissir de plus en plus. Quand il eut atteint deux mètres de hauteur, c'était comme si de grosses pierres étaient apparues pour le protéger. La seule chose que l'on pouvait voir de lui, à travers cette tornade de pierre, c'était la lumière pourpre de sa Pierre d'Oubli qui n'avait jamais autant brillé qu'à cet instant. Puis le sort prit fin dans une explosion terrestre. Les soldats eurent juste le temps de mettre la main sur leur garde alors que leur chef orque eut brandi vainement sa lame. Le sort fut suffisamment fort pour projeter la terre sur les ennemis qui étaient autour de lui, en blessant quelques uns. Seul l'un des quatre assaillants ne fut pas altéré par cette magie : celui qui était derrière Ser Goont. Il avait tout simplement trop reculé et avait chuté dans le puits. Au moins, sa mort aurait été plus rapide. Il n'en restait donc que cinq, dont trois qui étaient bien déjà blessés...
"Les arbalètes ! hurla l'orque. Attaquez-le à distance !"
Les deux soldats restants s'exécutèrent et prirent leurs armes rangées dans leur dos. Hivann eut alors tout juste le temps de concentrer ses fluides pour élever un mur de terre. Mais cette fois-ci, en plus d'une préparation plus brève, il lui sembla que la matière avait émané partiellement de sa tunique. Il semblait clairement que le pouvoir de ce vêtement, offert par sa fille, avait effectivement une utilité non négligeable pour un terramancien. Le premier carreau frôla la hanche du mage, mais le deuxième fut arrêté avec succès par le bouclier terrestre, qui semblait déjà bien plus résistant que celui qu'il avait créé une semaine plus tôt dans les égouts, pour se protéger de l'explosion des feux d'artifices, face à Lamin. Même si certains de ses assaillants étaient blessés, il en restait beaucoup pour qu'il puisse se permettre de les attaquer un par un. Goont avait encore besoin d'un sort de zone. Mais la puissance terrestre, aussi mortelle pouvait-elle être, ne pouvait pas agir dans un rayon suffisamment important... Il improvisa alors en déchaînant ses fluides à partir du sol lui-même. Pendant que les arbalétriers rechargeaient leurs armes et que les autres soldats se relevaient, il avait progressivement déchargé sa magie à partir de ses pieds. Il se visualisa alors comme un pilier de roche, dans la base serait reliée à des racines de pierre. Ces racines étaient en fait ses fluides, qu'il commença à faire balancer de gauche à droite, tout autour de lui. En quelques secondes, les petits tremblements devinrent de grosses secousses qui firent inévitablement chuter les deux arbalétriers tandis que les autres soldats se voyaient rouler autour du mage sans réussir à se relever. L'un d'entre eux finit d'ailleurs par tomber dans le puits, ne pouvant absolument plus maîtriser son équilibre.
Mais trop concentré sur la production de son sort et obligé de rester au centre de son champ d'action pour ne pas se blesser lui-même, il ne vit que trop tard l'une des arbalètes qui était désormais chargée et pointée vers lui. Cette fois-ci, il n'allait pas pouvoir créer de bouclier et le carreau viendrait le transpercer et le coucher directement au sol, c'était certain. La seule chose qui empêchait l'homme de tirer, c'était justement les secousses qui l'empêchaient de viser correctement. Puis un coup partit... Mais pas le sien. Le soldat chuta en avant, ne devenant plus qu'un tas de chair et de métal remuant à cause du sol mouvement. Quand son dos fut découvert, le vieil ynorien put voir une lame plantée au sommet de sa colonne vertébrale. En aventurant ses yeux plus loin, il put voir Lür, suivi de Karl et de Porick. Le voleur se jeta alors sur le second arbalétrier pour lui trancher la gorge sans réfléchir. Tout semblait se dérouler selon le plan... Mais c'était sans compter sur la colère de l'orque.
Goont avait été trop dissipé en ne se concentrant que trop sur son sort. Il n'avait pas vu venir le poignard du garzok qui vint se planter profondément dans sa cuisse gauche. La douleur lui fit immédiatement cesser de manipuler ses fluides et il tomba lourdement en arrière, tout juste à quelques centimètres du vide. Les deux soldats d'Oaxaca restant se relevèrent alors très vite et prirent leurs armes. Le garzok, lui, avait même ramassé l'épée d'un de ses défunts compagnons, dévoilant sans doute un talent pour l'ambidextrie. Les deux soldats se jetèrent alors sur les mercenaires, ne laissant Goont que spectateur du combat. Incapable d'agir. De nombreux coups furent échangés, démontrant la formation très avancée du chef d'escouade qui n'avait absolument aucun peine à se battre contre Porick et Karl en même temps. Lür, quant à lui, s'occupait du deuxième adversaire, qui se débrouillait presque aussi bien que son supérieur. Ces échanges semblaient s'éterniser. Il y avait une répétition dérangeante dans le bruit de ces lames qui s'entrechoquaient. A chaque fois, Goont avait l'impression qu'il risquait de perdre l'un de ses employés, tant ce combat s'annonçait difficile. Puis quelque chose d'inattendu arriva.
Un cri avait été poussé, à quelques dizaines de mètres d'eux. Un cri féminin, mais pas de détresse. Presque un cri de guerre que l'on aurait pu attribuer à un enfant. La silhouette d'une jeune fille aux cheveux courts s'approchait alors, dans une course complètement irréfléchie. Le mage n'eut aucune peine à reconnaître Sujima, sa plus jeune fille.
"Arrête-toi ! Idiote !"
Elle n'était même pas armée. Elle avait simplement son apparence habituelle de souillon. Elle chargeait comme une folle. Et les sommations de son père ne l'arrêtaient pas. Quand elle fut suffisamment proche, elle fit un bond gigantesque, démonstratif de ses compétences d'acrobate, et atterrit sur le buste de l'orque. Ce dernier n'avait tout simplement pas pris compte de la présence de la jeune fille et s'était retrouvé déséquilibré par le choc et le poids de sa propre armure. Les mercenaires en profitèrent alors pour porter les derniers coups, tandis que Lür concluait son propre combat presque au même moment. Seul Hivann avait été blessé dans cet affrontement, au final. Cela ne l'empêcha pas de sermonner sa fille pour autant, alors qu'elle s'agenouillait à ses côtés.
"Tu es vraiment inconsciente ! Cette histoire ne te concernait pas !"
"Bien sûr que si ! rétorqua Sujima, pleine de vivacité. On ne touche pas aux Goont, c'est toi-même qui le dit. Et puis si tu ne voulais pas m'y mêler, tu n'avais qu'à être plus discret. Tu as fait du remue ménage sur la Grande Place. Tu as de la chance que cet endroit soit isolé."
Elle sortit une fiole d'une petite sacoche crasseuse qu'elle portait à sa ceinture. Il s'agissait de la même boisson que Tôhko lui avait donnée plus tôt et qui avait refermé ses blessures. Encore une fois, il la but, sans en être vraiment enchanté. Pendant ce temps, les mercenaires étaient en train de déplacer les corps. Un à un, les représentants de la déesse du mal tombaient dans le vide. D'ordinaire, il ne se serait pas gêné pour les gifler pour cette maladresse : faire de telles choses devant sa fille. Mais il ne le fit pas. En l'ayant vue se jeter sur ce garzok, Goont s'était rendu compte qu'elle avait perdu son innocence depuis déjà bien longtemps...
"Désolé de t'avoir infligé ça... Toi... Lùthian, Taé, Tôhko... Même Ethian pour qui je n'existe plus... Vous ne méritez pas ça. Vous devriez avoir une vie bien plus belle."
"On l'aura. C'est juste que ça prendra du temps. Et toi aussi."
Un petit silence passa. Puis Sujima le brisa pour dire une chose des plus inattendues.
"Je suis rentré à la maison juste quand tu es parti. Tôhko m'a dit que tu allais partir pour étudier la poudre noire et la magie. Mais après avoir vu ce qui s'est passé ici, je sais que ce n'est pas la seule raison."
Goont était estomaqué. Il ne s'en était pas rendu compte à l'instant, mais il était vrai qu'en ayant mêlé sa fille à cette histoire avec Oaxaca, il avait mis au courant sa famille quant à la menace qui pesait sur lui.
"Vous êtes en sécurité, Sujima..."
"Je sais. On le sera, mais pas toi. C'est pour ça que tu vas partir."
"Oui..." répondit-il avec regret, après un long silence.
"Il ne faut pas en être triste. On réussira à se voir. Tôhko arrive bien à berner la république pour nous voir en secret, alors je m'inquiète encore moins pour toi. Mais si tu pars, je ne veux pas que ce soit uniquement par contrainte. Tu vas t'en aller pour utiliser la poudre noire ou la magie avant tout."
"Ma fille, tu..."
"Ne t'inquiète pas. Je ne dirai rien à Lûthian ou à Taé. Il n'y aura que Tôhko et moi qui sauront pour tes objectifs. Et je garderai l'histoire d'Oaxaca pour moi. Tu sauras les semer de toute façon. Un ange passa, moment pendant lequel Goont ne put qu'acquiescer faiblement de la tête. Pour en revenir à ce que je disais : j'ai déjà une piste sur la manière dont tu peux utiliser la poudre..."
Goont retint son souffle. Ce n'était pas tant la nouvelle que sa fille sache tout de ce qui planait sur sa famille, ou même sur son caractère étonnamment mature qu'elle ne montrait que maintenant. Il se rendait surtout compte que les mots qui allaient suivre risquaient de marquer une frontière définitive entre lui et ses enfants. Bientôt, il partirait pour fuir, mais surtout pour l'aventure. Et pendant longtemps, il devrait s'écarter de sa famille. Quand il reviendrait, il ne serait certainement plus qu'un étranger. Et il y avait surtout une peur qui était bien présente : celle de voir son esprit gouverné par la soif de pouvoir. Au point de délaisser ce qu'il restait de sa lignée. Ce qui était vraiment effrayant, en fait, c'était qu'il avait conscience de ce qu'il abandonnait... Mais qu'au final, il n'avait pas envie de faire fi de cette force qui coulait en lui. Il pensa même pendant un moment que la menace d'Oaxaca était une manière de lui donner bonne conscience quant à son départ. Il devenait de plus en plus mauvais et égoïste. Il s'en rendait compte maintenant.
"Il y a une histoire qui est très souvent racontée à Mertar, lui dit sa fille. Celle d'un fusil, qui viendrait de la technologie des elfes gris. Et il y a un nain qui est très renseigné sur le sujet..."
Le simple mot "fusil" résonna en Goont comme l'annonce d'un pouvoir à venir. La frontière était déjà tracée.
-------------------------------------- Apprentissage de sort:
Secousse : La terre tremble et choque les personnes autour du lanceur, leur infligeant des dégâts (mag+1/lvl sur lvl/2 mètres)
_________________ Multi de Ziresh et Jôs.
Ser Hivann Goont, Archer-Mage niveau 10.
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