|
Je ne peux pas dire que ma nuit a été aussi paisible que je l’ai espéré. Reposante, oui, car tout fourbu et épuisé que j’étais, je me suis endormi comme une masse, malgré la douleur de mes blessures heureusement soignées par la magie de l’elfe grise, et celle de Lillith. Mais si elle a été reposante, elle n’en était pas moins parcourue de rêves étranges et troublants. J’y ai vu chacun des amants qui m’accompagnaient, leur visage ensanglantés, tués par Rewolf Grantier, une silhouette sombre au visage flou. Tous s’étaient vaillamment battus, mais tous étaient morts autour de moi, sous les coups de notre ennemi. Et je les avais rapidement suivis dans la tombe, percé de part en part par les lames de ce guerrier expérimenté. Tous. Duncan, Oryash, Lillith, Halkmir, l’elfe grise et… même Salymïa, qui était pourtant déjà morte.
Et le souvenir de ces rêves, le petit matin, me donne la nausée, alors que je me réveille, plus en forme que la veille au soir, mais toujours pas au mieux de mes capacités. Pourtant, je fais face, et je balaie ces mauvais présages nocturnes, les remettant sur le compte du décès de Salymïa. Je dois me persuader que c’est la victoire qui nous attend, au bout de ce périple. Et seule la victoire. Si chacun des amants me reste fidèle, cela ne peut en être autrement. Car fort de l’expérience d’hier, je sais maintenant que je dois non seulement veiller sur moi, mais aussi sur eux… Ils sont sous ma garde, autant que je suis sous la leur, je leur ai promis.
(Et depuis quand tiens-tu tes promesses, Cromax ? Il est inutile de les préserver. Ils sont juste là pour t’épauler. Prendre les coups à ta place. Il n’y a que toi qui comptes.)
(Plus longtemps ils vivront, plus ils pourront m’être utiles. Et puis… ils sont attachants, tous. Chacun peut m’apporter quelque chose, une richesse supplémentaire, de par son expérience du monde… C’est ça aussi, la richesse de la vie, des rencontres.)
(D’autant que tu n’es pas encore passé sur le corps de toutes et tous, ici…)
Je lève les yeux au ciel avec un sourire ironique. Comme si ça devait être une obligation charnelle, pour m’assurer leur fidélité.
Assis, désormais, je fouille mon sac pour en sortir un morceau de viande séchée, dure et peu goûteuse. Les réserves de nourriture commencent à baisser. Il est temps que nous arrivions. Je mâche mon petit-déjeuner tout en regardant le campement autour de moi. Les autres se réveillent petit à petit, alors que les rayons du soleil frappent l’entrée de la grotte, devant laquelle le feu immense du campement des gobelins finit de se consumer. Le sang des miens, et celui des peaux-vertes a rougi la terre, et la pierre. Le combat de la veille était un vrai carnage. Une hécatombe. Et c’est non sans regret que j’y repense, ainsi qu’à toutes ses conséquences. Une morte, de nombreux blessés. Nous ne sommes pas en notre meilleure forme pour voyager, et encore moins pour nous en prendre à Rewolf. Alors que je mastique, mes pensées dérivent vers Salymïa, sans que je comprenne pourquoi… Lysis m’apporte bien vite la réponse, cependant.
(Elle vit. La grâce de Gaïa lui a été accordée, et son corps lui a été rendu.)
(Quoi ? Mais… c’est impossible !)
(Les voies des Dieux sont impénétrables. Elle est prête à nous rejoindre, plus tard. Je lui ai indiqué la voie.)
Ebahi, je regarde autour de moi, comme pour m’attendre à la retrouver. Mais Lysis a bien précisé que ça ne sera que plus tard. Curieusement, mon cœur s’allège, et cette nouvelle me donne le courage de me redresser, alors que je constate l’éveil de tous mes coéquipiers.
« Allons, nous devons partir, maintenant. Nous ne forcerons pas l’allure, aujourd’hui. Nous avons tous à nous remettre de rudes blessures… Et avant notre départ je tenais à… à vous remercier, pour le combat d’hier. Vous vous êtes bien battus, tous. Vous avez été vaillants et courageux. »
Je ne suis pas très doué pour les discours publics, ça n’est pas une nouveauté. Et après un signe de tête à chacun, je me dirige vers Lune pour lui flatter l’encolure. Lui aussi a souffert de la bataille nocturne… Bien trop. Heureusement, ses blessures ne sont que superficielles, malgré le spectaculaire de la chute. Une fois le campement rangé, et l’équipe prête à partir, j’annonce plus en détail le programme de la journée.
« Cette grotte est l’entrée d’un passage sous la montagne. Un raccourci qui nous fera gagner du temps, dans notre trajet. Ce soir, nous serons dans les plaines Ynoriennes. »
Je ne sais pourquoi, mais je pense ne pas devoir leur annoncer tout de suite la survie de Salymïa. Plus tard, peut-être. Peut-être Salymïa devrait-elle s’en charger elle-même. Je décide tout de même, avant de partir, d’approcher de l’elfe grise qui semblait tant tenir à l’elfe blanche, malgré un si court temps commun passé ensemble. Tout en montant sur Lune, je la gratifie d’un regard.
« J’aimerais te parler de quelque chose… »
Et sans attendre de réponse, lui laissant le choix du moment de discussion, je lance Lune au pas dans ces sombres galeries souterraines.
_________________
|