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Aenaria semble vouloir défendre son avis bec et ongles. Elle tient à sa vie, à sa notion de vie, et ne désire pas en changer. Moi non plus, d’ailleurs, même si nombreux sont ceux qui le voudraient. En l’écoutant, j’en apprends plus sur sa vie, et sur les épreuves qu’elle a traversées pour en finir ici, avec moi, au milieu d’Amants, en quête pour tuer un traître à notre rang. Un autre traître, encore. Comme si le monde n’était fait que de ça, des parjures, et de vengeurs qui comblent les fautes des parjures. Et des victimes des parjures, aussi. Comme si c’était un cercle sans fin… L’un tuant l’autre, avant d’être tué à son tour. Car tout meurtre, fut-ce de la plus vile personne, affecte quelqu’un. Et le vengeur devient parjure. Une rapide analyse de l’un des nombreux paradoxes de ce monde sans pitié, que j’ai décidé en âme et conscience de prendre avec légèreté.
Aussi, je prends avec recul ses questions sur la possibilité que je ne connaisse pas l’amour, l’attachement, et son étonnement de la possibilité de vivre sans. Avec un sourire lointain, bien que sincère, mais sans quitter notre chemin du regard, je lui réponds.
« Je connais le sentiment d’admiration, je suis sensible à la beauté, et je me sens également léger lorsqu’une personne me plait, et que je la croise. En réalité, de l’amour, il n’y a peut-être que le sentiment d’attachement que je ne connais pas. Et… je suis heureux comme ça, ma foi. »
Un constat oral que je fais à moi-même dans le même temps. Je n’y avais jamais songé comme ça, auparavant. J’ai toujours considéré cette absence de sentiment d’amour comme un manque. Mais en fait, Lysis a sans doute raison, comme toujours. L’amour ne m’est pas nécessaire, car je puise ailleurs mon bonheur. Sans doute est-ce incongru, ou inhabituel, mais je n’en ai cure. Je suis comme ça, et, enfin, je suis en passe de l’accepter. D’accepter cette différence qi fait de moi non pas un être sans cœur, mais une personne différente. Et il a fallu une discussion avec une personne tellement dans les règles qu’elle en a fait une valeur, un style de vie, pour m’en rendre compte. Je poursuis, d’une voix plus faible, plus lointaine…
« Je crois que ne pas m’attacher est une protection, une carapace. Sans attache, je ne suis pas déçu de ceux en qui j’ai confiance. Sans attache, je ne suis que moyennement touché des décès, et ça me permet de garder courage, de continuer à me battre pour la vie, pour la liberté. Sans doute nombreux sont ceux qui considèrent ça comme une monstruosité sans nom. Sans doute en fais-tu partie, mais… je suis comme ça. Je n’ai pas connu l’amour parental, ni celui d’aucune femme sur le long terme. Juste de l’admiration, du désir, et son assouvissement. Et pourtant, j’ai connu la perte d’un être cher. Peut-être est-ce d’avoir perdu mon mentor qui m’a fermé à l’attachement… »
J’ai l’impression de divaguer complètement. Le regard perdu dans le vague, j’en prends soudainement conscience, et je me tourne vers Aenaria, troublé.
« Pardon. Je… je dis n’importe quoi, ne fais pas attention. »
Et je remets mon attention sur la route, devenant à nouveau silencieux.
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