De lui-même, un homme fort séduisant se proposa pour prévenir le clan de Liykkendra des évènements à venir. Calimène s'empressa alors de faire la présentation de Victorin, qui semblait avoir accompagné la jeune femme depuis le début dans ses pérégrinations sur les duchés des montagnes. Ses explications quant à leur déplacement ici se basèrent alors selon elle, sur une manipulation du cru de certains nobles haut placés de Kendra-Kâr. Ce n'est alors qu'à ce moment que Ziresh comprit un peu mieux l'allusion qu'elle avait fait précédemment : "bien qu'elle ait froissé quelques susceptibilités".
Cela manquait de détails et à vrai dire, le liykor ne se sentait pas vraiment capable d'assimiler l'histoire dans sa totalité. Ce qu'il en retint, c'était que toutes les personnes ici présentes étaient manifestement de la garde Kendra-Kâr, et surtout, qu'elles étaient de celles sur qui l'on pouvait compter, puisque c'était leur honnêteté qui leur avait valu ce fameux poste dans les montagnes. Quand Victorin évoqua cette histoire des empoisonneurs, Ziresh ne put s'empêcher de s'exclamer.
"Alors c'était donc un complot...? Dire que l'on m'avait envoyé nettoyer une grotte pleine de traqueurs sombres... J'étais bien loin d'imaginer la cause de cette vague de folie."Calimène continua le discours en évoquant alors sa rencontre avec le liykor noir. Elle évoqua son apparence physique qui se voulait monstrueuse. Bien plus que ne pouvait l'être un de ceux qui appartenaient à cette race. A sa connaissance, Ziresh n'avait jamais vu ou entendu parler d'une évolution telle qu'une "excroissance chitineuse" sur un noir. Il lui revint alors en mémoire la vision des assaillants qui avaient commencé l'attaque du clan en ordonnant de leur remettre des membres du clan de Liykkendra. Une demande qui paraissait absurde, tant on leur attribuait une haine telle qu'ils auraient, d'ordinaire, tout simplement fléché tous les liykors apprivoisés à vue.
Si Pinga avait raison, vis à vis de cette manipulation ombreuse... Alors ce noir dans les rues de Kendra-Kâr était l'objet d'une expérience. Le simple fait qu'il ait été propre et passé inaperçu pendant si longtemps ne pouvait pas dépendre seulement de ses talent : on l'avait caché, c'était certain.
Ziresh eut un soulagement énorme en repensant au sort de Kâhra. Elle avait été incinérée : elle ne pourrait jamais être déterrée et faire l'objet de telles expériences. Si elle avait dû devenir une telle chose, le loup d'argent ne l'aurait pas supporté...
Mais il fut vite tiré de ses sinistres pensées. Le nom (ou plutôt le surnom) d'un certain "Émissaire" fut évoqué. Il n'était pas nécessaire de connaître les deux protagonistes pour comprendre qu'ils ne portaient pas cet homme dans leur cœur. Ziresh comprit qu'il était un homme important, car plein de ressources en termes informatifs. Mais il transpirait le mal. Ou du moins, s'il ne transpirait pas le mal, il était indéniable qu'il faisait un excellent manipulateur et bel égoïste. Le bratien n'avait aucunement envie de traiter avec lui, mais il savait qu'il serait très certainement obligé de le faire prochainement s'il voulait aider son clan.
Quand Calimène reprit la parole, ce ne fut que pour quelques formalités, et aussi quelques marques de confiance. Elle conseilla alors effectivement à Ziresh de se reposer, lui indiqua le bastion et lui prouva encore une fois à quel point elle comptait sur lui en ne changeant pas même un seul instant son choix initial. Elle était catégorique : il serait le maître d'armes en charge de la milice.
"Je vous remercie de toute votre confiance, Dame Ligure, fit Ziresh, non sans émotion.
Vraiment, je n'en attendais pas tant."Il ne s'apprêta pas à aller se coucher, cependant. Il avait encore certaines choses à préciser avant de se reposer et de repartir du bon pied. Aussi, il garda une posture droite et s'engagea encore une fois dans la conversation.
"En ce qui concerne ce liykor noir, les précisions que vous m'avez apportées vis à vis de son physique me paraissent assez alarmantes mais rejoignent une idée que je viens d'avoir à l'instant. Lorsqu'ils ont attaqué notre clan quand j'étais présent, les noirs nous avaient ordonné de "leur remettre nos vivres et une bonne âme". Ils s'étaient justifiés en disant que la chasse leur était difficile depuis les montagnes. Outre le fait que cela ait pu ressembler davantage à un prétexte pour nous piller, il y a une chose qui m'est restée en tête... "Une bonne âme". Les noirs ont toujours voulu notre mort à nous, bratiens, tout comme à nos frères blancs. Mais pourquoi voudraient-ils l'un d'entre nous ? Quand vous me parliez de ce liykor dans les rues de Kendra-Kâr, j'ai encore eue une pensée pour mon ami Bravi qui avait évoqué les expériences des nécromanciens à partir de corps de liykors immergés dans le lac d'Höd. Le vôtre était un peu trop propre, manifestement. Or, un homme de sciences garde toujours ses sujets propres pour les étudier. Tout cela me laisse supposer, si Pinga a bien raison, que des projets sont menées depuis les camps des liykors noirs. Je ne peux pas dire qui a pu user de la magie des ombres pour commettre de tels crimes, mais c'est une piste à creuser... Si ce n'est pas depuis les camps des noirs, en tout cas, on peut trouver davantage de réponses en ville."Dans un soupir, Ziresh se résigna à admettre ce qu'il redoutait déjà.
"Je crains que votre Emissaire ne me soit utile à ce sujet..."Mais le loup d'argent avait remarqué autre chose chez ses nouveaux alliés. C'était cette volonté indéfectible pour le bien. Ils avaient été eux-même manipulés pour se retrouver dans ces montagnes au nom de Kendra-Kâr, alors qu'ils étaient les plus proches des pires crimes présents dans la ville. Ils dépendaient d'un blason qui ne leur faisait plus honneur, car il était sali par la corruption. Et cette alliance avec l'Emissaire les handicapait d'autant plus.
Sur cette idée, il prit alors Calimène à part en l'invitant à se diriger avec elle vers le bastion, laissant ses hommes derrière eux. Durant leur marche, Ziresh s'expliqua.
"Écoutez, ma dame... fit-il gravement.
J'ai le sentiment en vous écoutant, vous et vos compagnons, que vous vous souciez encore de l'image que vous donnez à votre blason. Vous avez été envoyés plus loin alors que vous étiez les plus enclins à défaire les criminels les plus influents de Kendra-Kâr. Et vous ne pouvez pas agir contre ces ordres, manifestement. Vous ne pouvez pas profiter non plus d'un quelconque rang pour vous permettre d'aller là où certains ne pourraient pas aller."Ziresh prit une profonde respiration, pesant les mots qu'il allait dire maintenant. Pour tout avouer, il s'en étonnait lui-même. Mais les choses étaient devenues trop graves pour lui, pour son clan, et aussi pour les occupants de la Citadelle pour qu'il se taise maintenant.
"Moi, on ne me connait pas. Et je n'obéis pas à une autorité qui puisse me porter autant préjudice. Je pense que plus d'une fois, vous aurez besoin de moins pour mener certains travaux en toute discrétion. Dans ces moments-là, je serai présent. Comme vous l'avez si bien dit, je me suis fait Porteur de Lumière. Je ne veux pas porter ce nom pour le prestige. Cela n'aurait aucun sens que je me retienne de défaire les ombres par crainte pour mon rang. Et puis, je ne saurais me réserver les tâches les plus glorifiantes après l'offre que vous avez faites à mon clan."Ils étaient arrivés devant la porte du bastion. On pouvait entendre à travers les murs les hennissements de quelques chevaux. En traversant l'entrée, le loup mit un terme à la conversation.
"Vous aurez le reste de la journée et la nuit pour penser à tout cela. Ne retenez pas ces mots contre moi s'ils sont susceptibles de vous outrer, mais comprenez bien que je veux aider mon clan du mieux que possible. J'ai pris trop souvent des demi-mesures pour faire en sorte que tout s'arrange pour tout le monde, et Liykkendra a payé pour mon incompétence. J'aimerais ne plus en prendre autant." Il soupira après avoir fait trembler légèrement sa voix dans la fin de sa phrase. Il était encore profondément touché par ce qui était arrivé, cela ne faisait aucun doute. C'est après une longue pause et un effort de concentration qu'il termina promptement.
"Lorsque je serai réveillé, je propose que nous allions enquêter à Kendra-Kâr, puisque nous n'irons pas maintenant dans les tréfonds de la Citadelle. Ce sera aussi l'occasion de découvrir les alentours. D'ici là, je vous souhaite un bon repos. Vous en aurez tout autant besoin que moi. Et Calimène, merci encore pour tout." conlut-il en signant de la patte.
Quand il eut fermé la porte derrière lui, Ren s'échappa alors du paquetage où elle semblait avoir élu domicile. Le lutinora ne s'était étonnamment pas manifesté de toute cette longue conversation. Ce n'est que dans le bastion qu'elle allait virevolter aux alentours pour embêter les montures, attrapant leurs crins et se vautrant dans leurs abreuvoirs. Un petit spectacle des plus réjouissants, suite à ces sinistres évènements et ces conseils de guerre...
En montant à l'étage, après s'être défait de tout son équipement et sustenté d'un morceau de porc séché, Ziresh vit les toiles qui faisaient office de couvertures. Son pelage lui suffisait, comme toujours, mais il en enroula pourtant une pour se blottir qu'on l'épais rouleau de tissu. C'est dans une position des plus enfantines qu'il laissa échapper toutes les larmes qu'il avait retenues durant sa longue pérégrination et son interminable discussion. Il n'avait gardé que quelques petites choses sur lui. Un pantalon pour la pudeur, sa Fleur de Lys et la fiole de Pinga.
Le cristal bleu luisait sa patte alors que ses larmes allaient inonder la toile et le plancher. Ren avait cessé ses bêtises pour aller se blottir contre son maître. Et dans le souvenir du deuil de Kâhra, la chanson recommença.
Ziresh crut un instant que cela faisait partie de son imagination, mais pourtant, le chant était bien là. Il ne résonnait pas depuis la fiole. C'était comme si le chœur des fujoniens était encore autour de lui. Il était probable que l'on puisse entendre la chanson en dehors du bastion, mais le loup s'en fichait.
C'est alors qu'une étrange sensation lui prit, sans pouvoir l'identifier. Il ne pouvait l'expliquer, mais il ressentait le besoin de sortir. D'aller sur le toit terrasse.
Ses yeux se perdirent dans les sommets des montagnes.
C'est là qu'il vit, dans les neiges éternelles, une silhouette animale qu'il ne put identifier. Comme si elle répondait à l'appel de cette chanson.
Dans un murmure, il aurait pu jurer l'avoir vue se tourner vers lui.
Elle lui répondait.
"Kâhra...?"