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Mes cris, mes plaintes sont entendues. Mes gestes paniqués ne sont pas vains, ni les tentatives inespérées de Lysis, qui, tout feu tout flamme, se balance devant les visages hargneux des satanés gobelins qui me cernent de leur infâme présence, prêts à m’assassiner sans le moindre remords, alors que je mords la poussière, alors que je suis à terre. Si je n’accorde que peu d’importance à l’honneur, eux n’en ont aucun, ni aucun scrupule. Ils sont juste la lâcheté incarnée et je ne peux me laisser aller à me faire abattre si aisément, sans opposer une farouche résistance. Et cet accès soudain de confiance, ce retour dans une nette combativité, je le dois à l’arrivée de mes suivants. Les Amants de la Rose Sombre ont répondu à mon appel, ils m’ont suivi jusqu’ici, et se lient maintenant pour me sauver la peau, à coup d’armes et de menaces. Une voix, celle, vaillante et assurée, de Duncan, retentit non loin de moi, pour m’assurer de sa place à mes côtés, pour me venir en aide. S’interposant entre moi et mes ennemis d’un bond leste, il fait front contre mes fielleux assaillants.
Plus loin, c’est la voix de notre nouvelle recrue, Mathis, que j’entends. Il assure arriver prochainement à mon côté, alors que les peaux-vertes, soudainement troublées dans leur tâche assassine, se regroupent pour faire face à ces nouveaux ennemis. Peu après, je sens près de moi une présence, celle de ma précieuse arme métamorphe, restée sous sa forme de hache lors de ma chute. L’ancien messager de Rewolf Grantier me donne la possibilité de me battre, de défendre ma vie comme il se doit. Mes doigts valides se referment sur le manche de cette arme magnifique, qui se change presque aussitôt en une lance longue et acérée, prête à embrocher, à transpercer de part en part le moindre ennemi qui se présenterait face à ma vision encore troublée par la douleur qui m’assaille le bras gauche et le dos, et les jambes.
C’est alors qu’une troisième voix se fait entendre, non loin, tout aussi farouche et courageuse que les deux autres. Celle, pleine de vie, de volonté et de vigueur de mon amant, mon glaçon. Celle de Lillith. Il se bat pour moi. Et Duncan aussi. Et Mathis pareillement. Qu’importe la raison qui les pousse à combattre, ils se battent pour moi, pour ma vie. Celle que j’ai presque insulté en la croyant arrivée à son terme, à peine quelques instant auparavant. Une bouffée de chaleur envahit mon être, une poussée d’adrénaline qui me fait serrer ma main sur le manche de mon arme terrible. Je prends appui sur mon coude meurtri pour me redresser, faisant face à la douleur qui m’accable, occultant celle-ci. La force de ma vie est plus grande que ça. Elle ne peut s’abaisser à décliner ici en abandonnant ceux qui m’entourent et comptent sur moi. Ceux qui sont prêts à perdre la leur pour défendre la mienne. Je ne peux les abandonner, en aucun cas. Les gobelins sont trop occupés par les nouveaux arrivants pour me voir me relever péniblement, juste derrière eux.
Mes jambes tremblent de tourment lorsque je m’y perche, tout en m’appuyant sur ma lance. Les muscles de mon dos semblent bruler, et la chair de mes cuisses est mise à nu par le dérapage que j’ai été contraint de faire sur ce sol pierreux. Le sang écarlate, si sombre dans cette nuit, presque noir, coule sur ma peau argentée mise à nu par ma chute. Mais rien n’est pire que l’élancement de mon bras gauche, sans doute le plus touché par l’accident. Par ce piège gobelin dans lequel je me suis jeté sans réfléchir, emporté par la ferveur de la bataille. Peut-être est-il cassé. Je n’en sais rien, n’ayant les qualifications pour le déterminer avec exactitude. Et puis, je n’ai aucune envie, ni aucun temps pour y penser pour l’instant. Le combat fait toujours rage, devant cette entrée de grotte. Et tant que je peux tenir debout, et manier une arme, il ne s’arrêtera pas avant la mort de tous ces sektegs. Ma vue se stabilise peu à peu, et je ne tarde pas à apercevoir un peu mieux ce qui m’entoure.
Duncan fait barrière de son corps, à mon côté, repoussant les attaques ennemies. Mathis n’est pas loin non plus, ni Lillith. Nous sommes donc quatre à faire front contre une dizaine de gobelins visibles, autour du feu. Ces faibles gobelins chétifs et inexpérimentés dans l’art du combat. Même ainsi meurtri, je suis plus qu’apte à les terrasser… Et je le démontre très vite, en en embrochant un sans la moindre pitié, dans le dos, à l’aide de ma lance. L’arme bleutée traverse de part en part sa petite carcasse, et ses yeux se baissent vers cette pointe qui jaillit brusquement de son poitrail, dernière chose qu’ils voient de sa misérable vie. Car l’instant d’après, il s’effondre face contre terre, mort.
D’un coup sec, qui ne souffre pas de la moindre hésitation, j’arrache mon arme de son cadavre encore chaud, et celle-ci se métamorphose en une hallebarde terrible. La hampe de la lance reste de la même longueur, mais sa pointe aigüe laisse place à la lame d’une hache tranchante au fil acéré, coiffée d’une pique plus fine encore que la précédente. Et tout aussi aiguisée. Avec mes douleurs aux jambes, je ne peux me permettre de me mouvoir trop agilement, contrairement à ce dont j’ai l’habitude. Aussi privilégié-je un mode de combat plus central, plus immobile. Je serai le pivot meurtrier qui arrachera la vie de ces misérables voleurs. Et littéralement, comme j’en fais l’exemple aussitôt.
D’un coup balayé, je creuse un profond sillon sanguinolent dans le ventre d’un premier, qui laisse s’effondrer ses tripes dans un bruit glutineux, dans la gorge d’un second, d’où sort un gargouillis infâme , et dans le visage d’un dernier, dont l’œil explose en rencontrant l’acier bleuté de mon arme. Tous les trois ne tardent guère à rejoindre le royaume de Phaïtos, alors que, les dents serrées, le visage crispé par la douleur, je titube et m’équilibre sur mon arme. Mais un bruit derrière moi me fait me retourner vivement. À l’entrée de la grotte, quatre ombres se dessinaient, sombres et menaçantes, tranchant sur le feu qui brulait près de l’entrée. Les gobelins n’avaient pas encore révélés leurs champions, les maîtres du clan qui formaient une force vraiment inquiétante pour nous, cette fois.
La première silhouette était celle d’un gobelin s’appuyant sur un bâton de bois orné d’un crâne animal. Il est tout vêtu de fourrures épaisses, et une étrange amulette pendait autour de son cou. Le shaman de la tribu, à n’en pas douter. À sa gauche, plus grand et musclé, armé d’une hache à deux mains rouillée, mais à l’aspect peu engageant, se tient ce qui semble être le premier guerrier du clan. À côté, le plus menaçant sans doute, de tous, vêtu d’une armure de cuir rehaussée de métal et d’os, aux épaules et au jointures, était armé d’une épée tranchante au fil argenté. Une arme d’une qualité surprenante, dans les mains d’un voleur gobelin. Coiffé d’un casque en os, il représente le dirigeant de ce clan gobelin, le chef de guerre de ces pleutres. Et c’est sans l’ombre d’une hésitation qu’il s’avance vers moi, menaçant, alors que ses comparses semblent vouloir attaquer mes compagnons. Je ne remarque même pas le quatrième, ou à peine, qui semble être le chasseur le plus efficace de la tribu, armé d’un arc et d’une dague, à la ceinture. Les autres gobelins semblent vouloir s'écarter, comme s'ils laissaient ce quatuor gérer leurs soucis de cette nuit...
Je me tourne vers mon adversaire, tremblant de rage et de douleur, prêt à subir ses coups, et à lui renvoyer les miens. Pour la vie. Pour les Amants.
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