Debout non loin de Duncan, tout comme lui, je tentais de protéger son chef du mieux que je le pouvais contre ces grotesques crapules à la peau verte. Une dague dans chaque main, je bravais les deux segteks qui se tenaient devant moi, les défiants de se mesurer à moi. Ces deux jumeaux, sans me lâcher du regard, échangèrent quelques mots dans une langue qui m’était étrangère, ils tentaient probablement de mettre rapidement au point une astuce quelconque pour me piéger ou encore pour m’éloigner de Cromax et l’achever. Quoi que pût être leur plan, ils ne purent le concrétiser puisqu’ils prirent la fuite lorsqu’ils virent nos renforts arriver en force.
En fait d’assistance, il ne s’agissait que d’un homme, mais d’une puissance tel que sa seule présence allait nous être d’un grand secours. Lilith, ce colosse à la peau blanche arrivant en trombe avait fait fuir ces deux petites chétives crapules. Ayant vu ce mage à l’œuvre quelques minutes plus tôt, je comprenais aisément le comportement de ces trouillards, dont le nombre constituait leur seul avantage.
Pendant ce temps, l’elfe gris derrière moi avait réussi à ramasser sa hache. Une fois dans ses mains, cette dernière se transforma aussitôt pour prendre la forme d’une lance. La tentation de m’emparer de cette arme effleura un instant mon esprit, mais je renonçai rapidement à tenter ce larcin, puisque son propriétaire actuel était trop puissant. Aussi magnifique que pût être ce butin, il ne me servirait à rien si je devais mourir pour l’acquérir. À moins qu’une opportunité inespérée se présente, je ne me risquerai pas de la lui dérober. À l’aide de son arme transformable, l’elfe gris, au coût de quelques efforts, parvint à se relever. Malgré les blessures qui l’affligeaient, il réussit à occire trois gobelins en un rien de temps. Décidément, j’avais intérêt à ne pas être l’ennemi de ce guerrier entraîné.
Réalisant probablement leur infériorité face à nous, les quelques gobelins restants déguerpirent sans demander leur reste. Alors que je me réjouissais à l’avance de la fouille que j’allais faire dans ce misérable campement et des richesses que j’allais probablement trouver dans ces crasseuses tentes, je vis quatre ombres se dessiner à l’entrée de la grotte. Mon sourire s’évanouit. Les gobelins que nous venions d’affronter n’étaient que des amuse-gueules pour nous ouvrir l’appétit, nos vrais ennemis se dressaient à présent devant nous. J'aurais bien voulu terminer immédiatement ce combat, fuir et éviter d’affronter ces nouveaux adversaires.
Tout comme nous, ils étaient quatre, mais oh combien plus hideux, plus grands et effrayants que leurs comparses segteks. Comme tous les clans qui se respectent, une hiérarchie semblait régner au sein de ce groupe restreint. Sans contredit, celui affublé d’un casque d’os représentait le chef, ceci se devinait par son accoutrement, mais aussi par son attitude qui trahissait celle d’un dirigeant. Sans hésitation, il s’avança directement vers Cromax.
Complètement à droite se tenait vraisemblablement leur sorcier, ce dernier tenant un bâton couronné d’un crâne et exhibait une insolite breloque. Le plus costaud, muni d’une impressionnante hache, devait sans doute être le garde du corps du chef du clan.
Sans perdre une seconde, sentant sans doute que la bataille était sur le point d’éclater, Lilith se lança sur celui qui tout comme lui semblait imprégné de magie.
Pour ma part, dès que je les vis, instinctivement je reculai de quelques pas. Ce qui fit sourire le quatrième gobelin qui venait de me choisir comme proie.
Les oreilles droites, les narines dilatées, ses yeux rouges fixés sur moi, un sourire mauvais affiché sur son belliqueux visage, il semblait juste attendre que je détale pour partir à ma poursuite et se payer du bon temps. C’était sans compter mon intelligence qui valait sûrement deux à trois fois la sienne.
Sans le quitter du regard, je reculai encore d’un pas. L’effet fut immédiat, tout en laissant découvrir ses horribles dents gâtées, il empoigna son arc et sortit une flèche de son carquois. Sa force étant dans les attaques à distances, il attendait que je m’éloigne suffisamment pour pouvoir me prendre en chasse. Je profitai donc de ce bref moment, pour foncer droit sur lui.
Je courus donc aussi vite que je pus, passant à la droite du feu et lui sautai littéralement dans les bras comme une femme qui se jettent dans les bras de son amant. Je croyais ainsi le déstabiliser, mais ce fut vain, les pieds bien campés au sol, il ne broncha point. Ce segtek empestait la sueur et d’autres odeurs dont je n’avais aucune envie d’identifier. L’entourant de mes bras, ma dague dans son dos, je tentai de rester coller contre lui.
«Dégage, peau blanche !» me cria-t-il dans les oreilles de son haleine putride tentant de m’éloigner de lui.
Son armure étant trop épaisse, mon arme blanche, bien que dans son dos ne pouvait la transpercer. Loin d’être stupide, je me dépêchai de descendre ma lame plus bas dans le but bien arrêté de couper la ceinture qui retenait sa dague. Pourvu d'une certaine dextérité, je réussis facilement ma manoeuvre à l'aveugle; la sangle et le poignard tombèrent aussitôt sur le sol. J’eus à peine le temps d’accomplir cet acte de vandalisme qu’en colère et médusé par mon geste apparemment insensé, le belliqueux gobelin lâcha son arc et sa flèche pour se libérer les mains et se délivrer de mon emprise. Malgré ma mauvaise posture, je souriais intérieurement. Trop idiot, cette peau verte avait lâché sa flèche au lieu de s'en servir comme arme pour me blesser.
Toutefois, non démuni de forces, brusquement et usant d’une puissance impressionnante, il me repoussa aisément de ses deux mains, et je chus rudement sur le sol, mon dos heurtant une roche.
Toujours armé de ma lame argentée, malgré ma douleur au dos, je me tournai alors vers son arc qui gisait au sol et je coupai d’un coup la corde. L’ayant privé à présent de son arme maîtresse, je pouvais filer avec son poignard sans que ce lourdaud puisse me rattraper.
Mais cette affreuse bestiole aux oreilles ridiculement trop grandes ne l’entendait pas ainsi. Ne me laissant pas la chance de me relever, il posa son gros pied sur mon poitrail, écrasant ma cage thoracique, me coupant du coup le souffle. Il maintenait ainsi la pression, espérant sans doute me voir suffoquer. L’air entrant difficilement dans mes poumons, je commençais effectivement à paniquer.
(De l’air, il me faut de l’air) Le manque d'oxygène se faisant sentir par la présence de petits points noirs, de toutes les forces qui me restaient, je tentai de ficher ma dague dans sa botte. Heureusement, d’un cuir très usé, elle fut transpercée sans trop de difficulté, si bien que ma lame traversa la protection et la chaire verte.
L'hideuse créature poussa alors un cri à en fendre l’âme et dégagea son sale pied de ma poitrine.
Toujours couché au sol, je pris quelques goulées d’air, espérant récupérer le plus vite possible.
Remis plus rapidement que moi de sa blessure et affichant une hargne redoublée, mon adversaire tenta de m’assener un violent coup de poing en plein visage. Me tournant sur le côté, j’esquivai sa grosse main griffée qui frappa durement le sol.
Sans perdre un instant, et profitant de sa proximité, je lui balançai à mon tour un violent coup de poing directement sur son gros nez boutonneux. Il encaissa le coup en émettant seulement un petit grognement de douleur. Fier de ma réussite, j'en tentai de le frapper de nouveau. Malheureusement, ne bénéficiant plus de l'effet de surprise, mon poing ne fit pas long chemin, l'archer désarmé intercepta ma main et sembla prendre plaisir à l'écraser dans son énorme poigne. Sa main se resserrait sur la mienne, je sentais mes os craquer, une curieuse sensation de brûlure envahit l'endroit meurtri.
C'est alors qu'un violent tremblement de terre nous secoua et déséquilibra si bien mon assaillant qu'il tomba à la renverse et que je me trouvai par dessus lui. Bien qu'en position avantageuse, je ne réussis point à me libérer la main, le vilain maintenant coûte que coûte sa prise. De peur qu'il ne me fracture tous les os de ma main gauche, je me servis de ma droite, moins habile, mais armée de ma lame torsadée pour lui lacérer le poignet jusqu'à ce qu'il obtempère et me libère. Souffrant sûrement autant que lui et tout aussi têtu, je m'acharne sur son membre antérieur, faisant pénétrer sans le moindre petit remord ma lame dans sa chair. Affaibli par l'abondante perte de sang, le gobelin finit enfin par me relâcher. Tout en titubant, je me relevai, ramassa une grosse pierre et m'approcha de ma proie bien décidé à l'achever. Cette dernière, toujours habitée par l'instinct de survie, me flanqua un brutal coup de pied dans les parties. Plié en deux par la douleur, je poursuivis tout de même mon avancée et lui écrasai violemment la roche sur son méprisant crâne de peau verte, mettant ainsi fin à son existence
Exténué et blessé, mes lames récupérées, je m'assieds par terre, m'adossant sur ma victime, n'ayant même plus la force de le fouiller afin de le dépouiller de ses biens.