|
Ixtli commente mes découvertes littéraires en affirmant qu’il s’agit certainement d’un guide pour débutant dans le monde des expériences hors du commun. Sans nul doute, en vérité, vu les ustensiles et les ouvrages présents, les matières premières peu ragoutantes, dans ces pots de verre. Je hausse les épaules, et l’air un peu las, rétorque à la jeune aigail :
« Nous ne pourrons pas en tirer grand-chose, après tout ce temps. »
Comme bien des choses ici, depuis notre arrivée. Au final, l’archéologie est moins rigolote que je ne l’aurais cru. Mais je ne suis pas sans ignorer être un être centré sur l’action, sur la vie. Fouiller un endroit mort depuis des siècles… à quoi m’attendais-je ? Oui, j’ai espéré trouver des survivants déchus et changés par le temps, trouver des explications encore vive de leur vie d’antan et des raisons de leur disparition, dénicher des liens entre le drainage de la magie et leur trépas. Vainement. Ça ressemblerait presque aux idiotes théories conspirationnistes habitant certains individus, souvent vus comme des hurluberlus de première catégorie, des fous sans logique ni conscience de la réalité. Car c’est bien là où je me trouve : dans la réalité. Ce qui est mort et vieux l’est réellement, sans plus d’étincelle de vie ou d’espoir. La destruction existe. Il n’y a pas toujours une porte de sortie. Il n’y a pas toujours de survivants miraculés, ou de magie préservée. Cet endroit, finalement, si magique me semblait-il à mon arrivée sur Elysian, n’est finalement que de tristes ruines, témoin d’un passé ravageur qui a vu disparaitre une civilisation.
Cette hargne, cette rage d’impuissance face à ce constat de dépit inéluctable, j’essaie de l’abattre sur cette porte, à grands coups de hache. Le bois, solide malgré les lustres, cède petit à petit, alors qu’Ixtli s’exclame de surprise à la vision de la métamorphose de mon arme. Entre deux coups de butoir sur ce panneau de bois, je lui réponds, d’un sourire qui n’est pas sans être teinté de fierté.
« Oh non. S’il en existe d’autre, elles doivent se compter sur les doigts d’une main. C’est une arme de légende que je tiens d’un monde appelé Gramenou. Une planète-océan entièrement recouverte d’eau, aux cités et tours sous-marines. Je suis sûr que ça te plairait. »
Je prends l’élan d’un nouveau coup de hache, mais retiens celui-ci au dernier moment pour me tourner à nouveau vers elle.
« Je pourrais t’y emmener, une fois tout ceci fini… »
Une promesse de voyage. Une promesse de lien, aussi. Une promesse que je ne suis même pas sûr de pouvoir tenir : ce monde était dangereux, et l’accès y menant a peut-être été récupéré par Omyre. Non pas que je n’y ait pas mes entrées, bien au contraire, mais… C’est un endroit qui reste dangereux à parcourir pour moi. Je ne suis pas accepté par tous. Ne fut-ce que par Sisstar, et ce bon vieux Crean Lorener. Mes visions apportées par le fluide d’air me l’ont assez bien confirmé. Mais j’ai eu envie de la faire quand même, cette promesse, cette proposition. De faire miroiter un avenir… Qu’est-ce qui m’arrive, bon sang ! Cela ne me ressemble en rien. Je me reconcentre sur ma hache, et finis de fendre la porte pour nous libérer le passage dans un craquement notoire, tout sauf discret.
Une fois le passage dégagé, nous nous y faufilons pour arriver dans une vaste salle à l’obscurité profonde. Nos bijoux lumineux n’y sont guère que des loupiotes arrivant à peine à nous faire distinguer l’ampleur de la salle, et les silhouettes confuses qui s’y trouvent. Une grande table semble en être l’ameublement principal, mais nous n’en distinguons guère plus. Prudemment, je m’avance un peu, à tâtons, touchant murs et recoins pour me situer. Ainsi, nous découvrons bien vite l’existence d’un bassin rempli d’un liquide étrange et inconnu, semblant relié à un autre bassin, un peu plus éloigné, par une rigole baignée du même liquide. Curieuse jusqu’au bout, plus encore que moi, Ixtli trempe son doigt dedans avant de le mener jusqu’à ses narines pour en humer le parfum. Grimaçant devant l’odeur, sans doute assez désagréable, je vais la croire sur parole pour le coup, elle sort son briquet et donne plusieurs coups de fer sur son silex pour faire naître une étincelle…
En mon for intérieur, je ne peux que noter le risque qu’elle a pris. Elle aurait très bien pu tomber sur une vasque d’acide concentré, qui aurait rongé chairs et os jusqu’à ne plus rien lui laisser. Ou pire, une culture d’un organisme invasif carnivore microscopique qui aurait bondi sur elle pour la dévorer intégralement. J’en ai des frissons… Mais ce ne sont là, encore, que des fantasmes d’un être ayant sans doute trop d’imagination. Il n’en est rien, et à part un doigt puant et potentiellement inflammable, elle s’en tire à bon compte, et de son étincelle plongeant dans le bassin, elle en tire le feu, qui immole le liquide stagnant en se répandant de vasque en vasque sur tout le pourtour de la pièce, révélant à nos yeux une scène du passé, et une architecture bien plus fine que les zones précédentes. Gardons le meilleur pour la fin : mes yeux s’attardent d’abord sur la finesse architecturale des murs, les tentures et autres tapisseries qui y pendent. Elle est vaste, nous en avons la confirmation, mais assez intimiste dans sa conception. Chaleureuse, tant par les bienfaits calorifiques du brasier que par la lueur orangée et douce qu’il génère.
Trois portes percent les murs, dont une particulièrement notable par rapport aux deux autres. Celle-ci est visiblement très solide, renforcée. Le type que des coups de hache, même bourrins, ne pourraient venir à bout. En son centre, un symbole en encoche, attendant une clé en forme de soleil. Un mécanisme d’ouverture ingénieux… qui n’est pas en notre possession. Son secret a pu être perdu à jamais dans l’une des chambres effondrées de l’étage, pillée sur un cadavre à l’extérieur des ruines, ou embarqué loin, très loin sur d’autres mondes par son propriétaire d’origine. Un pessimisme qui ne me ressemble guère, et qui pourtant se force à moi, dans ces ruines trop calmes, trop mortes, trop anciennes. Les deux autres portes, autant ne pas s’y attarder plus que de coutume : je les ouvre à la volée, en passant, révélant derrière l’une un ancien garde-manger, un cellier rempli de victuailles moisies et tombées en poussières… Le genre d’endroit puant où il ne fait pas bon entrer… Et la seconde mène à des latrines figées… Un autre endroit autrefois odorant, dont les odeurs, heureusement, sont aujourd’hui aussi fossilisées que les crottes anciennes qui doivent encore stagner dans ces trous du passé. Inutile, donc, de plus s’y attarder. D’autant qu’un spectacle bien plus intéressant nous attend au cœur de la pièce.
Deux cadavres gisent sur des chaises, de part et d’autre de l’immense tablée, jonchée de livres et d’objets hétéroclites, sur lesquels je jette un regard curieux, mais pas plus insistant que ça. Car mes yeux sont attirés, irrémédiablement, par les corps. Le premier, avachis sur la table, vêtu de riches et amples habits. Il semble être mort en voulant protéger de son corps un petit coffret dont je m’approche. Un bandeau d’argent ceint son front, témoin de sa position importante dans la caste sindel de l’époque… Si ce fut bien un elfe. En face de lui, un autre cadavre gisait sur son siège, mais pas penché vers l’avant, lui. Gorge découverte, on eut dit qu’il s’était fait trancher celle-ci. Un trépas bien loin des origines de la défaillance sindel, en l’occurrence. En voilà deux qui ne sont pas morts à cause de l’explosion du volcan d’antan. Tout n’était pas si rose, dans le royaume des gris.
Mais le coffret a décidément toute mon attention : il comporte, comme la porte, une encoche à motif familier, symbole de clé pour son ouverture. Et celle-ci, contrairement à la première, représentant l’astre solaire, fait écho en moi : des vaguelettes, comme celles de notre pendentif commun, à Ixtli et à moi. J’attire l’attention de ma compagne d’exploration sur cette occurrence notable.
« Ixtli. Viens voir… »
Je dégage le coffret des mains du cadavre antique et pointe la serrure particulière vers l’ondine, avant de décrocher mon pendentif et de l’insérer dans l’encoche, attendant d’Ixtli qu’elle œuvre de même. Avec un peu de chance, mais peut-être est-ce là encore le témoin de fantasmes idéaux, le coffre contient-il le pendentif, solaire cette fois, qui nous permettra d’accéder aux savoirs cachés de l’ultime porte de cette pièce, la plus robuste et impressionnante jusqu’ici. Quant à savoir ce qu’elle cache, elle… C’est une autre histoire. Ouvrons d’abord le présent coffret, voir s’il contient bien ce que mes espoirs de fou lui proposent, ou si ce n’est que quelque trésor détérioré, acte de naissance ou de propriété n’ayant aujourd’hui plus cours.
« Finalement, ce médaillon servira peut-être à quelque chose… »
Le lien entre les amants de l’étage et ce personnage défunt ? Nous le saurons peut-être. Ou peut-être pas. L’ouverture est la prochaine étape…
[1512 mots]
_________________
|