L'Oudio faiblissait à vue d'oeil, et les explication de la femme louve le laissaient prostré, incapable de formuler la moindre réponse pendant de longs instants. Sa compagne d'échappée voulait l'emmener dans la nature, seul, hors de sa cage, sans Anatol, ni Marigus. Pour quoi faire? Il se raidit d'avantage face à cet inconnu qui se dressait, implacable, devant lui. Et si la nature n'était pas bien pour lui? Il n'aurait plus rien. Avec la foire, au moins, il savait ce qu'il avait. Il n'y avait jamais de surprise dans sa petite vie. Enfin, jusqu'à ce qu'un grizzly l'emplafonne contre le rebord d'une charette et mette l'écorce de ses bras et son visage en miettes. Inquiet, son regard suivit celui de Niwen, cherchant à gauche et à droite pour un élément connu, familier, auquel il pourrait se raccrocher. Mais dans les rues sinueuses, sombres et mal odorantes de la grande cité, rien ne pouvait rappeler les années de voyage de villages en hameaux, à travers les sentiers de campagnes. Il était définitivement perdu.
Lorsque la louve lui parlait de ne pas regarder en arrière, machinalement sa tête suivit, et il jeta un dernier regard par dessus son épaule, qui se perdit dans la foule et la pénombre causées par les imposantes bâtisses. Mais lorsque l'Oudio eut fini de faire part de toutes ses inquiétudes, et laissé éclater ses questions, il réalisa que la Liykor changeait peu à peu d'expression. Son visage s'était détendu, et son regard furieux et agité était devenu posé et paisible. Le jeune Lugburz était inquiété par ce qui venait de se passer dans la tête de la louve. Il craignait un nouveau virement de situation, comme il l'avait vécu avec le grizzly. Lui aussi avait un air paisible avant de l'attaquer.
Sur la défensive, Lugburz fit un léger pas de recul, remontant péniblement les bras vers le haut de son torse pour se protéger d'une éventuelle attaque. Lorsqu'elle posa la patte sur son épaule pour lui répondre, il frémit légèrement, appréhendant la suite des évènements. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'une voix calme pris soin de répondre à toutes ses questions, les unes après les autres.
Raclant sa gorge pour chercher force et courage, il fini par desserrer les lèvres, après un long moment d'adaptation.
" .. On m'appelait Lugburz. Qu'est ce que ca veut dire gagner sa vie? Tu l'as perdue? Tu as l'air vivante pourtant. "
Lorsqu'elle se mit à parler d'esclavage, et d'être mis en cage, ou même d'aller en prison, l'Oudio était dubitatif. Pourquoi est ce qu'on le mettrait en prison? Et qu'est ce que c'était un esclave ? Au fur et a mesure des explications de la femme louve, il commençait à réaliser qu'il était différent des autres bêtes de la foire. Mais il n'était pas pareil qu'Anatol et Marigus, ou tous les gens qui venaient le voir. Ils étaient tous rose, blancs, bruns, noirs, avec de la peau et des poils, de toutes les sortes de tailles et de poids. Mais il n'avait jamais rien vu de pareil à la femme louve. Etait elle un animal? Elle pouvait parler avec lui. Mais Lugburz parvenait à parler avec les petits animaux, donc tirer une conclusion maintenant était encore trop hâtif.
Lorsqu'elle parla de la tristesse des animaux, Lugburz eu un déclic. Le faible instant ou il avait réussi à communiquer avec le grizzly, il avait effectivement remarqué quelque chose de nouveau, qu'il n'avait jamais ressenti avec aucun des animaux de la foire. Il pensait que cela venait du fait qu'il n'avait jamais essayé de communiquer avec une bête aussi grosse, mais maintenant, il parvint enfin à déchiffrer ce qu'il se passait depuis tant d'années. Les animaux étaient tristes. Faibles. Il ne voulaient pas être là, ils voulaient être ailleurs. C'est pour cela qu'il n'avait pas réussi à contrôler l'immense ours au pelage noirâtre. Son envie d'être libre était si grande que rien ni personne n'aurait pu l'en convaincre autrement.
Ainsi donc, il était prisonnier. Esclave, puisque apparemment, c'est le mot que la Liykor a utilisée pour le qualifier. La louve parlait de gagner sa vie, d'être libre, d'acheter, et de tant d'autres notions qu'il ne saisissait qu'à moitié. Lorsqu'elle eu fini sa tirade, une question brûlait toujours les lèvres de Lugburz.
" Est ce que tu es un être pensant ? Comme moi? Ou bien un animal ? Pourquoi est ce qu'on ne doit pas vivre en cage, et vivre comme les humains? Ils ne sont pas comme nous, pourtant... "
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