Inscription: Mer 27 Juin 2012 00:08 Messages: 30
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~ Livre Premier, Verset Deuxième, Chapitre Deuxième ~ - Æquam memento servare mentem - La jeune femme plongea un long moment son regard dans celui de Peridoc, il y avait de la détresse, de l'incompréhension dans ce regard, on eut dit celui d'un gamin ayant accidentellement tué un pigeon à la fronde. Bien entendu le preux épéiste n'avait pas suffisamment de cartes en main pour pouvoir la comprendre :"Je... ne suis pas d'ici, je suis arrivée ce matin et... Je ne sais rien."Les pensées du jeune homme se perdaient en questionnements, mais au fond de lui il savait bien qu'il serait inutile de remettre cette phrase en question tant les possibilités d'interprétation étaient nombreuses. De plus, ce n'était pas vraiment le moment de discuter, le repas était maigre mais au moins ils pourraient en profiter jusque la dernière miette.
La phrase de l'homme-chat résonna un certain moment dans le crâne de Peridoc, comme un doux rappel à ses nombreuses excursions que le flot de ses pensées tourmentées recherchait maintenant à rassembler en quelques bribes de souvenirs, une troupe d'arbalétriers sous la pluie, l'abordage d'un bateau par des pirates, la découverte de moultes nobles dames...
Quittant peu à peu la réalité des choses, les yeux perdus dans le vague, l'esprit du jeune homme s'accordait un instant de souvenir, il avait vécu tant de choses, et pourtant il lui en restait tellement...~"Foutue pluie, gamin, j'te l'dis !"L'homme au chapel de fer s'était approché de lui, ses chausses de mailles couvertes de la litière forestière humide dont les feuilles adoptaient la forme du vêtement de métal. Calmement, l'homme cousait une seconde couture à l'étui de cuir de son arbalète, bien conscient que la pluie qui s'abattait sur eux depuis deux jours sans interruption était bien destinée à continuer. La corde était lâche et il n'en avait aucune de rechange, d'où sa voix nerveuse, presque chevrotante.
Le terrain ne leur était pas inconnu, une simple forêt de pins qui offrait par moment quelques passages dégagés d'où une arbalète restait tout de même plus pratique qu'un arc. Hélas, la bruine couvrait tout la région et masquait la visibilité à trente mètres, autant dire qu'entre un archer et un arbalétrier, ce serait à qui aurait la plus longue lame, au diable les armes à distance, condamnés dans leurs fourreaux de chairs animales.
Malgré la peur que ressentait l'homme en face de lui, son visage blasé restait figé dans une expression neutre, indifférent aux gouttes d'eau qui s'écoulaient en fines perles miroitantes des bords de son casque. Il n'en avait pas l'habitude, mais pour une fois il s'était assis aux côtés du jeune homme, à l'abri sous un sapin, jalousant du regard l'arme de son compagnon alors que lui ne disposait que d'un couperet à peine efficace dans ce milieu forestier. En revanche, lui disposait d'un pavois, à l'inverse de Peridoc dépourvu de bouclier. Un point qu'il ne comprendrait jamais.
Devant eux brûlait un feu, énorme, réchauffant leurs os trempés alors que les flammes léchaient les cimes des arbres, c'était d'ailleurs la première fois qu'il apercevait un tel bûcher. Même les gouttes qui s'abattaient par centaines dessus ne semblaient même pas le déranger, il en était presque aussi indifférent que ses deux spectateurs. De son côté, le jeune homme essuyait calmement sa lame, toujours sous le regard de son compagnon arbalétrier. L'ôdeur âcre de la putréfaction calcinée emplissait leurs narines mais leurs plaintes restaient aussi sourdes que celles des morts, empilés ici même, adultes, adolescents, guerriers, arbalétriers, bandits, tous unis dans la mort et dont les membres relâchés se tendaient inexorablement vers les deux compères comme une dernière dénonciation, une ultime main tendue comme pour les sauver de leur sort déjà clos. Le sang ne partait pas de la lame de Péridoc qui frottait avec de plus en plus d'acharnement, c'était cailleux et imprégné sur le métal, même la pluie d'ordinaire lavante n'y faisait rien. Une main se posa sur son épaule :"C'est pas ta faute, p'tit gars, tu pouvais pas savoir..."Sous son lourd heaume de fer, une larme perla d'un oeil de Péridoc, glissant le long de sa joue jusqu'à ce que le silencieux sanglot ne se mêle à la pluie qui, comme ce souvenir, s'écoulerait pour ne rien laisser. La souillure avait éclaboussé son arme et ses vêtements, mais le temps, comme la pluie, nettoieraient bien vite ce péché. Enfin, c'était ce qu'il croyait jusque là. Il avait tué, et dans cette panique ses alliés périrent également de sa lame.~"Pas d'soucis mam'zelle !"Relevant sa tête brusquement, Péridoc fixa d'un regard un peu perdu les deux tourtereaux, se relevant énergiquement comme si marcher allait lui faire oublier ce bref moment de nostalgie. La jeune femme grignotait son pain comme un moineau et le jeune homme, lui, avait maintenant la bougeotte :- "Eh bien si tu n'as encore rien vu de ce monde, ce n'est pas cette ville qui constitue un bon point de départ, ce continent est grand et les voyages sûrs se font rares, même avec ton ami. Etant donné que nous sommes fauchés, inutile de perdre de temps en balade. Mieux vaut oublier la malfamée Exech, mais je suis certain que Tulorim pourrait t'émerveiller. Je ne sais pas combien de temps ça fait que je n'y ai pas mis les pieds, mais avant Kendra Kâr, c'est une destination que tu DOIS voir !"
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