<<< Précédemment.60. La mue.« Bon, on va commencer par vos vêtements monsieur Sump, parce que... » avait commencée Élise alors qu'ils approchaient de la rue commerçante que Sump avait visité à ses dépens un peu plus tôt dans la journée.
« ...ça me semble être une nécessité... » ajouta-t-elle, baissant discrètement le regard vers son compagnon.
En ce début d'après-midi les commerçants reprenaient tout juste le travail après s'être remplit la panse. Il n'y avait donc plus trace de l'opaque troupeau de gens de la matinée qui avait tant gêné le Sekteg sauvage mais juste quelques passants déambulant tranquillement d'étals en étals et il put enfin voir avec précision ce qu'il y avait à acheter sur ces derniers : des fruits et légumes frais à foison, des tissus, des animaux, différentes viandes plus ou moins probables et de nombreuses autres choses dont l'utilité le dépassait complètement. Il fut prit d'une compulsive envie de dépenser son argent, d'acheter, chose qui était plus que surprenante. Étant un grand curieux, le Gobelin des forêts bavait d'envie d'acquérir toutes ces choses bizarres, colorées et odorantes qu'il ne connaissait pas.
Mais il se reprit toutefois bien vite. Hors de question qu'il dépense son argent dans des achats qui ne lui seraient d'aucune utilité. Il était d'ailleurs hors de question qu'il dépense quoi que ce soit tout court. Il avait eut bien assez de mal comme ça à acquérir cette fortune... et à bien y réfléchir, il avait déjà tout ce qu'il lui fallait : des vêtements, pas géniaux loin de là mais des vêtements tout de même, qu'il considérait d'ailleurs comme peu nécessaires, des chaussures, des armes. En fait c'était même le contraire : il possédait en réalité plus de chose qu'il n'en avait besoin. Le meilleur exemple étant ce petit bouclier rond qu'il trimbalait depuis des années et qui, il n'y eut pas si longtemps, constituait la majeure partie de ses possessions...
« Je veux vendre. » grogna-t-il alors sans plus de préambule et sans se soucier de ce que pouvait vouloir la jeune femme qui l'accompagnait.
Celle-ci, surprise mais toutefois heureuse que le Sekteg y mette un peu du sien, lui demanda :
« Quoi donc ? »« Ça. » répondit-il abruptement en sortant le petit bouclier de son sac.
Il vendrait bien son casque également mais il n'était pas totalement sûr de son inutilité. Il verrait.
Élise s'accroupit pour être à peu près à son niveau et, ignorant son mouvement de recul, lui parla d'une voix douce en articulant bien pour être sûr de ne pas le contrarier :
« Il faudra faire un tour à la Forge d'Agiend dans ce cas, mais c'est en dehors de la ville, vers là-bas. On va d'abord aller faire un tour chez Bruno pour vos vêtements, c'est d'accord ? Après on ira où vous voudrez. »Sump grogna à nouveau en détournant les yeux :
« Inutile. »« Inutile ? Mais voyons regardez leurs états ! C'en est presque indécent ! Et pour être franche, cela ne fait qu'empirer votre image aux yeux des gens ! »Comme pour prouver ses dires, un passant visiblement de bonne situation ayant à son bras un jeune femme à l'onéreuse et imposante robe rose, lâcha un commentaire méprisant lorsqu'il les croisa :
« Et bien et bien, un Sekteg à Yarthiss maintenant...comme si on avait pas assez d'ennuis comme ça en ce moment... » Élise, toujours accroupie, lui adressa un sourire très forcé avant de lever les yeux au ciel dès qu'il fut parti.
« Vous voyez ? Tout le monde vous regarde... » reprit-elle en se relevant.
« Aller, ça suffit les discussions. Vous allez voir, Bruno est un véritable professionnel, il va vous trouvez exactement ce qu'il vous faut même si vous êtes difficile. »Sump se mit finalement à la suivre docilement, le visage tout de même boudeur mais résigné. Sans elle, il ne ferait sans doute pas long feu ici de toute manière.
Ils s'arrêtèrent devant une boutique à l'auvent violet placée au bout du marché, non-loin du port. Pareillement à la majorité des autres stands et autres lieux de commerce de la ville, des marchandises, ici des pièces de tissus plus ou moins extravagante, débordaient sur la route pavée.
Dès qu'il vit Élise devant ses portes, un type de plutôt petite taille pour un Humain l'accueillit de manière extravagante en accourant vers elle et en lui faisant deux bruyantes bises :
«Oh ma Lisette ! Quel plaisir ! Ça ne fait pas si longtemps que ça mais...HI ! »
Le bref cri aigu qu'il poussa, une main sur sa poitrine, était bien sûr dédié à Sump qui, caché jusqu'à maintenant par un enchevêtrement de vêtements mal plié posé sur une table de fortune au centre de la boutique, fixait méfieusement ce nouveau venu, les yeux plissés.
« Bien le bonjour, Bruno. » s'esclaffa Élise.
« Aujourd'hui, je ne viens pas pour moi, mais pour mon ami ici présent. Comme tu le vois, il a grand besoin de tes lumières en matière de style vestimentaire.»Bruno la dévisagea un instant avec un regard incrédule, la bouche entrouverte et toujours la main posée sur la poitrine. Il finit par soupirer discrètement et sembla vouloir l'entraîner avec elle pour lui dire quelque chose mais se ravisa. Après quoi, une main sous le menton et un bras croisé sur son abdomen, il se mit à contempler le Gobelin dans son entièreté. Ce dernier recula, ses lèvres se retroussant légèrement.
Le Sekteg en profita pour observer également ce folklorique nouveau personnage. Un peu plus petit qu'Élise, il avait la peau bronzée, des cheveux noirs de jais plaqués sur le côté et une musculature fine que ses vêtement moulant mais colorés mettaient en valeur. Sur ses oreilles et ses poignets étaient accrochés et attachés de multiples babioles pour la plupart sans doute dénuées de valeurs.
« Bien je vois parfaitement votre style mon cher. » finit par marmonner Bruno, les yeux toujours rivés sur Sump.
Il s'approcha de lui pour poser ses mains sur ses frêles épaules mais le Gobelin se dégagea brusquement et claqua ses mâchoires avec un air menaçant. Le type recula, apeuré en poussant un petit cri, juste avant qu'Élise n'intervienne :
« Non ! Laissez-le faire, monsieur Sump ! Qu'est-ce que c'est que ça ? » le gronda-t-elle fermement, en repoussant d'une main le petit Sekteg.
« Excuse-le, il est un peu sauvage. »Bruno cacha son trouble derrière une plaisanterie :
« Oh, tu sais, pas plus que ces lourdauds de bûcherons qui viennent semer la pagaille dans mon magasin alors que tout ce qu'ils veulent ce sont des vulgaires chemises à carreaux ! » Puis il baissa les yeux vers Sump :
« Je ne vous veux aucun mal euh... petit Gobelin. » dit-il en présentant les paumes.
« Juste que vous vous retourniez. »Sous le regard insistant d'Élise, Sump finit par obtempérer plus ou moins. Il se retourna lentement sans pourtant cesser de fixer Bruno quitte à se dévisser le cou.
« Hem... gentil, hein ? » dit-il en se forçant à sourire avant de continuer, plus professionnellement.
«C'est bien ce que je pensais... Vous êtes un de ces voyageurs compulsifs n'ayant aucunes attaches et qui négligent autant leur confort que leur style vestimentaire... Et pourtant ce sont l'allure qu'on offre aux gens qui fait varier l'opinion que ces derniers ont sur nous lorsqu'ils nous voient pour la première fois. » Après une courte pause il continua :
«Vous êtes un Gobelin. Habillé plus mal qu'un paysan... et qui ne semble avoir aucune hygiène de vie de surcroît. Tout ça, y compris votre race, et c'est malheureux d'ailleurs, fait que vous donnez une très mauvaise impression à ceux qui jugent au premier coup d’œil...Les gens que vous croiserez se méfieront instinctivement de vous et, à moins que je ne me trompe, mettront plus d’enthousiasme et de cœur à vous chasser plutôt qu'à vous accueillir... »En réponse à cela, Sump grognonna en baissant la tête. Après avoir lancé un bref regard à Élise et retenu un soupir, Bruno ne se laissa toutefois pas démonter :
« On va voir ce qu'on peut faire...C'est parti ?»Sump ne répondit pas et la jeune femme dut hocher la tête pour donner le feu vert au styliste. Aussitôt, il fila vers le fond de la boutique. Le suivant du regard, le Gobelin croisa le regard d'une jeune fille blonde qui le dévisageait tout en accrochant des tuniques. Ils détournèrent ensemble le regard et alors que le Sekteg tripotait des chaussettes, se demandant bien à quoi ces drôles de tubes de tissu pouvait servir, Bruno laissa apparaître sa tête de l'arrière-boutique et demanda :
« Au fait, est-ce que l'argent est un problème ? »« Non, pas du tout, il est riche. Tu peux y aller à fond, Bruno ! » lui répondit Élise en arrachant des mains la paire de bas que Sump était en train de renifler et de réduire en charpie.
Poussant une exclamation surprise, Bruno replongea néanmoins dans l'arrière-boutique. Il réapparut quelques minutes pus tard, les bras chargés de vêtements qu'il tenait grâce à des cintres.
"Le plus dur dans mon métier c'est de respecter la personnalité du client. Et dans ce cas-là, croyez bien que ce n'est pas facile."Il fourgua sans ménagement son fardeau dans les bras d'Élise avant de présenter les articles qu'il avait choisi un à un :
« Alors pour commencer je vous propose ce débardeur en coton noir. Vu que vous êtes très fin, presque trop, je vous en ait choisit un très moulant. Ensuite voici une tunique noire elle aussi, légère et moulante également. Son col en V et ses manches longues vous iront à ravir. Pour le bas, je vous propose ce pantalon en cuir de vachette de très bonne facture. Enfin, sentez-moi cette odeur, ça ne trompe pas ! » En effet, le pantalon, noir, sentait drôlement bon. Quelle bonheur pour les sensibles narines du Sekteg ! Cela lui redonna tout de suite la force de continuer à écouter le flot de paroles que déversait Bruno.
« Il ira également très bien avec vos bottes tout en étant très résistant. »Il risqua un coup d’œil en direction de la trogne du Gobelin mais celui-ci ne trahissait aucune émotion aussi il continua sans perdre son ardeur :
« Un poncho gris pour les nuits fraîches ainsi qu'une veste à capuche sombre qui devrait vous plaire. Ce nouveau genre de survêtements fait fureur chez les jeunes en ce moment. Deux paires de chaussettes et une paire de sous-vêtements, au cas où ettttt...pour finir, quelque chose qui devrait particulièrement vous plaire : ceci. »Tout fier, le styliste dévoila un haut identique dans la forme à celui que portait actuellement Sump. Toute neuve et noire ébène, il s'agissait d'une autre sorte de tunique sans manches et séparée au milieu faites d'un cuir de bien autre qualité. Des boutons doré permettait de la fermer cependant contrairement à celle qu'il portait.
« Et comme le marron vous va bien, cet article, le poncho et le pantalon existent de cette couleur... mais bref. Et si vous essayiez tout ça ? »Curieux, Sump se mit à se déshabiller sans attendre. Il se demandait de quoi il aurait l'air avec tout ces nouveaux habits. Après tout il avait presque toujours eut les mêmes vêtements et peut-être se ferait-il moins remarquer avec un style plus conventionnel...
Il ne remarqua pas l'air effaré et infiniment gêné de Bruno et d'Élise lorsqu'il se mit tout nu en plein milieu de la boutique. Afin de ne pas compliquer davantage les choses, les deux s'adressèrent un regard entendu et ne pipèrent mot.
Suite.