<<< Précédemment.62. Plan foireux."Tu vois, dans cette nouvelle ville de bourges, de bûcherons et de pêcheurs, c'est pas facile de tomber sur quelqu'un qui a pas peur de traîner dans les sales magouilles ici...En fait, à part les quelques brutes pré-pubères des docks et les bandits des montagnes qui sont soit cons comme des huîtres soit indignes de confiance, y a que des braves gens ici."Sump écoutait d'une oreille distraite ce que baragouinait Taïgon alors qu'il le suivait dans les dédales boueux. Son esprit pourtant simple était en plein conflit. Déjà il y avait cette désagréable impression de foncer droit vers un coup tordu. Il ne savait pas ce qu'il allait devoir faire, ni ce qui pouvait lui arriver, et encore moins s'il pouvait faire confiance à l'individu qui marchait devant lui d'un pas tranquille mais souple. La seule chose qu'il savait c'était que tout ces risques qu'il encourait n'étaient pas obligatoires et encore moins vitales. Ça ne lui ressemblait pas de se fourrer lui-même dans ce genre de situation. Les problèmes lui tombaient dessus tout seul, il n'avait pas besoin de les chercher pour ça...
Mais il y avait cette autre sensation...Une sensation d'euphorie qui dans son esprit avait la forme d'un gigantesque tas de pièces dorées. Dix mille yus ! Il allait être riche ! Et il voulait être riche !
"Enfin, je ne sais pas si c'est parce que tu es un Gobelin...Mais n'empêche que tu dois être quand même bien taré d'accepter ce genre de plan...C'est pas comme si je te demandais de m'aider à voler une pomme ou autre, non. Là, on va tuer le fils d'un roi ! J'suis pas débutant dans le métier mais là même pour moi c'est quand même du costaud..."
Doutant soudain de l'attention qu lui portait le Sekteg, il tourna la tête vers l'arrière afin de croiser le regard de ce dernier. Celui-ci, le visage peu expressif comme à son habitude, ne laissait pas entrevoir le vaste chantier qui agitait son esprit.
"Enfin, faut bien passer le cap un jour. Pis t'as pas l'air spécialement effrayé alors c'est peut-être moi qui vieillis..."La raison pour laquelle Sump n'était pas effrayé se résumait en un mot : l'ignorance. N'ayant aucune idée de ce que pouvait être un roi, il ne soupçonnait pas l'ampleur de ce qu'ils s'apprêtaient à faire si ce n'est que ça pouvait lui attirer des ennuis mais toutefois lui rapporter gros.
"Bon, on va attendre ici." lâcha Taïgon en s'arrêtant au sortir d'une ruelle, derrière des tonneaux, juste devant les murailles du grand château.
Le Gobelin jeta un rapide coup d’œil. Tout comme à l'entrée de la cité, deux sentinelles gardaient l'imposante double-porte en bois de la forteresse. Il s'agissait de deux hommes vêtus tous deux d'un mélange de métal et d'épais cuir brun.
Taïgon se tourna vers son complice :
"Bien, dans pas très longtemps, Josua, notre cible, va sortir se balader en ville. Il y va pas tout seul, il aura son escorte avec lui...des types entraînés comme les gars de la milice, mieux même...ouais, il a déjà eu des problèmes...ils en ont tous eut dans la famille en fait et...Attends bouge pas." Levant une main pour que Sump ne pipe mot, l'assassin se figea soudain, semblant fixer un point derrière le Sekteg. Par prudence, ce dernier fit volte-face mais ne vit rien d'inquiétant à part des poubelles et des mouches. Lorsqu'il se retourna vers Taïgon, celui-ci avait l'air soupçonneux et troublé mais il se ressaisit et reprit comme si rien ne s'était passé :
"Bref, ton rôle à toi, ce sera d'attirer l'attention des gardes, pigé ? Tu vas devoir retenir leur attention suffisamment longtemps pour que je passe à l'action sans risquer de me faire repérer. Après quoi je fais ce que j'ai à faire et à nous le flouze. Ça va , pas trop compliqué ?"Sump ne répondit rien. Il voulait juste en finir. Il regarda son partenaire enfiler sa drôle de capuche. Elle lui recouvrait totalement le visage avec juste des trous pour les yeux et la bouche.
"Tu devrais cacher ton visage toi aussi." lui conseilla-t-il.
"Ça évitera qu'on te retrouve un jour. Faut toujours faire gaffe à ça, pas vrai ?"Ce n'était pas Sump qui allait dire le contraire. Taïgon l'avait bien retrouvé et reconnu lui. Le Gobelin sortit donc sa veste à capuche noire toute neuve et l'enfila avant de rabattre la capuche sur son crâne rond couvert d'une légère toison de cheveux rougeâtres. Il retroussa ensuite les manches...faisait pas froid...
Ils attendirent ainsi quelques dizaines de minutes, à l’affût, avant que les deux portes ne finissent par s'ouvrir pour laisser sortir du château une calèche de qualité tirée par deux magnifiques chevaux et conduit par un type à l'abri d'un auvent. La voiture était escortée par un groupe de types pareillement vêtus que les deux qui surveillaient la porte. L'un d'eux, un solide gaillard aux cheveux coupés à la brosse chevauchant une autre belle bête était à la tête du convoi tandis que les six autres surveillaient les côtés et l'arrière.
Sump devina que leur cible était dans la voiture, au milieu de tout.
"T'as vu ça ? Sept gardes par Phaïtos... La vache, il a du lui en arriver de bonnes..."Sump se contenta de déglutir difficilement. Il allait vraiment chercher des noises à ces types-ci ?
Remarquant son trouble, Taïgon tenta de le rassurer un peu :
"Aller, tu vas pas flipper maintenant ? Je prends tout les risques, t'as juste à aller leur demander un peu d'argent, tel un mendiant, ça devrait passer... Penses au dix mille piécettes que tu vas gagner..."Oui, il devait penser aux pièces. Il devait penser au butin. Le problème était que chacun des sept gardes, du plus chétif au plus monstrueusement costaud pouvait lui ôter la tête des épaules d'un seul coup d'épée et c'était contre sa politique que d'aller se mettre à portée de leurs lames. Le cœur battant à tout rompre, Sump fit un pas en avant, puis un autre, jusqu'à se retrouver sur le chemin du convoi. Dès qu'il le vit, le garde de tête leva une main, dégaina son épée et beugla un retentissant "Haaaalte !"
Le Gobelin se figea, tendu comme un arc, positionné de biais par rapport au groupe. Une fois le cri poussé, ils s'arrêtèrent tous d'un coup et dégainèrent en même temps, complètement au taquet. Le toit de la calèche s'ouvra même contre toute attente pour laisser sortir une archère qui, encochant une flèche à la vitesse de l'éclair, se mit à pointer le Sekteg dorénavant paralysé de terreur.
Avec cette engin de malheur qui lui rappelait
des mauvais souvenirs droit sur lui, il n'avait que très peu de chance de s'en sortir si ça avait le malheur (et ça allait l'avoir) de tourner au vinaigre.
"C'est un Gobelin Gabe !" s'écria un garde à l'air lent.
"T'es sûr Guts ?" ironisa le dénommé Gabe d'un ton agacé.
"Approche donc, Sekteg." Ce dernier leur fit lentement face, immobile et tremblant de tous ses membres, fixant Gabe sous sa capuche. Son cœur faisait un de ces boucan !
Une tête de blondinet fit irruption par une des fenêtres de la voiture et râla :
"Allons bon, qu'est-ce qu'il y a encore ?"Gabe ferma un instant les yeux, l'air profondément irrité :
"Restez à l'intérieur Votre Altesse. Sekteg, si tu ne viens pas tout de suite, Kyra, cette sympathique blonde, se fera un plaisir de transpercer ton petit corps malingre alors... BOUGE UN PEU !"Sursautant à l'éclat de voix grave et puissant du garde Sump se mit à avancer à petits pas, les oreilles basses sous sa capuche. Au moins avait-il attiré leur attention...
"Et enlèves ce capuchon, on dirait un de ces jeunes voyous des docks, tu n'as vraiment pas besoin de ça..."Le Gobelin s’exécuta à contrecœur, dévoilant son moche petit visage blessé et tout vert.
"C'est vraiment pas beau un Gobelin." commenta Guts de sa voix traînante.
"Comment es-tu entré dans la cité ?" demanda le chef du convoi avec un visage soupçonneux.
"D'habitude la milice fais plutôt bien son boulot et ne laisse pas entrer n'importe quoi... Tu t'es infiltré ? Tu t'es infiltré pour tuer quelqu'un ? Tu es un tueur à gage ? C'est ça ta profession ?"Sump était sur le point de détaler.
"Non, mais sérieux Gabe, faut te faire soigner, là, ça devient grave." intervint une nouvelle fois le blondinet dans la calèche.
"C'est qu'un Gobelin, quoi...sérieux."Gabe lui répondit sans daigner tourner la tête, ne lâchant pas le Sekteg des yeux :
"Votre père m'a ordonné de ne prendre aucun risque et après ce qui est arrivé à vos trois frères, vous devriez être d'accord avec ça et me laisser faire mon... "À ce moment-là l'archère nommée Kyra lâcha soudainement son arc pour, la bouche grande ouverte en quête d'un oxygène qui ne parvenait plus à ses poumons, porter les mains à sa gorge où du sang jaillissait par fins filets. Ses doigts y trouvèrent une étoile en métal profondément fichée dans la chaire. La flèche tirée involontairement alla quant à elle tracer une ligne sanglante dans la fesse gauche d'un des chevaux attelé à la calèche princière.
Et l'instant d'après, ce fut la débandade.
La bête blessée hennit de terreur et se cambra violemment faisant se vautrer le type qui tenait les rennes et se dresser violemment la voiture. L'archère se retrouva brinquebalée telle une poupée de chiffon, son sang dégoulinant de partout tandis qu'on entendit vaguement geindre Josua. Le deuxième cheval, affolé par son collègue et sentant bien que plus personne ne le contrôlait, se mit sur ses deux pattes arrière avant de galoper droit devant lui, imité sans hésitation par l'autre qui craignait une autre blessure.
Gabe, qui avait daigné quitter un instant le Gobelin des yeux au premier bruit qu'avait fait les chevaux ne put que constater avec frayeur la calèche qui fonçait droit sur lui. Le choc entre les trois chevaux fut brutal et Gabe fut projeté au sol avec sa monture tandis que les deux autres bestiaux leur trébuchaient dessus.
"Par la montre de Zewen..." jura Guts tandis que Josua sortait maladroitement de la voiture, un peu sonné par le choc.
"Eh, Votre Altesse non, ne faites pas ça !"C'est ce moment que choisit Taïgon pour passer à l'action. Sortant de nulle en sprintant à une allure folle, il passa devant les gardes et vint au contact du jeune prince. Mais le gros Guts, qui n'était pas si lent que sa voix et son physique le laissaient paraître, était descendu de son cheval et voulut plaquer l'assassin avant qu'il ne touche le prince mais Taîgon esquiva d'une manière complètement irréaliste l'assaut du colosse qui chuta lourdement sur le ventre en poussant un "OUH !"
Le tueur à gage voulut repartir à la charge mais il était déjà trop tard. L'instant de surprise était passé et les gardes fondirent sur lui.
De son côté Gabe avait réussi à s'extraire du chaos de bois, de sabot et de viande de cheval sous lequel il avait été écrasé et s'était redressé pour contempler un instant le carnage qu'avait provoqué un ridicule Sekteg.
Le guerrier se retourna.
Plus aucune trace de cet avorton.
Suite.