<<< Précédemment.56. Un Gobelin dans la ville.Une fois les imposantes portes de la ville franchit et une fois face à la première image que lui renvoyait les lieux, le malaise, déjà grand, de Sump tripla soudain d'intensité. En effet, pour le plus grand malheur du Gobelin sauvageon, cette cité était loin d'être vide. Comme en témoignaient les rues bondées de citoyens ainsi que les innombrables odeurs et bruits qui raisonnaient de tous les côtés en cette fin de matinée bien chaude et ensoleillée. De plus, la haute muraille de presque dix mètres de hauteur qui entourait complètement la ville donnait l'impression au Sekteg d'être emprisonné dans une gigantesque cuvette infranchissable. Une impression qui lui était insupportable.
Yarthiss était la deuxième ville dans laquelle il pénétrait de toute son existence, la première étant Dehant il y avait de cela un peu plus d'une semaine. Dans cette dernière cependant, son malaise n'avait pas été aussi grand puisqu'il n'avait jamais déambulé dans le petit bourg de huit mille habitants seul, ayant toujours été accompagné soit de Luda, soit de miliciens, ou encore d'un des juges présent lors de son procès.
Là, il s'apprêtait à visiter une cité avec, même s'il l'ignorait, presque trois fois plus d'habitants sans l'aide de quiconque. S'agissant-là d'un exercice auquel il n'avait jamais été préparé, il n'avait pas la moindre idée de par où commencer. Il restait planté là, au milieu de l'allée joliment mais simplement pavée juste derrière les portes qu'il venait de franchir et qui restaient, pour une raison qui lui était inconnue, entrouvertes à regarder droit devant lui. Les mâchoires serrées et les yeux agrandis par l’appréhension et la panique tandis que son cœur battait la chamade contre sa frêle et osseuse poitrine. Là encore, des tas de questions se bousculaient dans son esprit primitif :
Où devait-il aller ? Que cherchait-il ? Combien de temps lui restait-il avant qu'on ne se mette à vouloir le chasser ou le tuer ?
Juste sur sa gauche, dans un imposant bâtiment fait de lourdes pierres sombres, un beau boxon semblait régner, l'immense porte en bois dégondée faisant pleinement profiter à un Sump apeuré les bruits de bois et de verres brisés en plus des terribles noms d'oiseaux que s'échangeaient les brutes qui y séjournaient.
S'éloignant de ce bâtiment le plus possible, il entama la visite de ce gigantesque lieu qui le terrorisait tant mais qui par le même temps, faisait briller ses yeux d'une avide curiosité cependant bien camouflée par les autres sentiments plus puissants qu'il ressentait en ce moment.
En levant les yeux, il pouvait apercevoir les murs et les tours de ce qui semblait être un énorme château qui dominait complètement les autres habitations. Intimidé par cette grande construction aux murs clairs, il ne s'en approcha pas.
De toute façon, il n'était pas là pour ça.
Il préféra se réfugier dans une petite et étroite ruelle boueuse dont il mit du temps à quitter. En effet, il lui avait fallu du temps pour accepter ce qu'il allait devoir faire pour progresser dans sa quête pour la guérison : traverser une grande et tonitruante rue commerçante remplie à craquer d'Humains.
Il n'avait vraiment, vraiment pas envie de le faire, ça non... Mais il n'avait pas le choix. Parmi les nombreuses choses qui lui foutait la trouille, la mort arrivait en première place et de très loin.
C'est donc prêt à tout pour s'en sortir qu'il quitta le sol spongieux et glissant de sa ruelle pour poser les semelles de ses bottes sur les pavés en bon état de la grand-rue bondée.
Aussitôt, les femelles Humaines eurent du mal à cacher leurs dégoûts et leurs craintes et les mâles leurs mépris et leur colère lorsqu'ils aperçurent ce petit être vert et sale. Il n'était pas du tout courant de rencontrer ce genre d'individus à Yarthiss.
La petite flamme de confiance en lui qui s'était allumée dans le cœur de ce dernier au fil de ses aventures s'était éteinte depuis bien longtemps, soufflée par les visages peu accueillants, les regards qu'on lui servait et surtout par l'absence de Grifoniss à sa ceinture. Aussi, c'est en baissant la tête et en fixant ses chaussures qu'il avança, ne faisant attention à rien tellement il avait honte. Oui, il avait honte. Il ne se sentait pas du tout à sa place là où il était et on le lui faisait bien comprendre.
Sa progression ne soufra néanmoins d'aucun accroc, la foule semblant s'écarter sur son passage comme s'il puait autant qu'un clan de Troll pendant la saison des amours.
Sump remarqua alors que l'ambiance changea après moins d'une minute de son calvaire. En effet, il y avait beaucoup plus de bruits mais aussi beaucoup plus d'odeurs.
"Serpents à vendre ! Ils tuent vos mouches, vos rats et même ceux qui vous emmerdent ! Serpents à vendre !""Marre d'avoir chaud ? Venez acheter nos fluides de glace pas chers ! Monsieur, vous en avez visiblement besoin, soyez raisonnable !"
"Je vais vous prendre quelques tomates et...c'est vraiment le bon prix là ?"Quel bonheur c'était que d'avoir une aussi bonne ouïe que la sienne... Le Gobelin, en plus de ne pratiquement rien comprendre à ce qu'il se disait, ne voyait rien non plus des marchandises que les commerçants proposaient de part sa petite taille et l'opacité de la foule. De toute façon il était bien trop mal à l'aise. Il avait du mal à respirer et sa tête lui tournait, la foule réveillant sa claustrophobie.
Alors, à sa grande surprise et à son immense soulagement, le panorama se dégagea soudain et Sump put enfin respirer. La suite promettait de bien plus lui plaire.
En effet, l'étouffante et assourdissante rue débouchait sur un espace ouvert nullement cerné par des bâtiments de bois cette fois. Des bateaux de diverses tailles et formes étaient argués dans le fleuve continuant indéfiniment son chemin tandis qu'une multitude de gens s'affairaient, déchargeant les embarcations ou au contraire, les chargeant. Un bateau plus grand et très différent des autres attira l’attention de Sump, notamment le pavillon noir qui flottait au gré d'une légère brise représentant un crâne d'un blanc immaculé affublé d'une touffue barbe grise.
Il y avait encore et comme dans la grande rue, le long des murs opposés aux fleuve qui semblait couper la ville en deux, des comptoirs ou des commerçants qui vantaient leurs produits en beuglant. L'un d'eux, par méchanceté et parce que le petit Gobelin ne regardait pas ce qu'il avait à vendre, se pencha sur son étals et hurla dans une des oreilles pointues de ce dernier :
"Ils sont frais, mes poissons, ILS SONT FRAIS !"
Sump fut tellement surpris qu'il fonça dans les jambes d'un imposant docker qui déchargeait de lourds sacs de toile. Celui-ci, après quelques tentatives pour recouvrer son équilibre, s'affala sur les fesses, son chargement lui tombant sur le ventre.
Ainsi s'acheva la visite du port pour le petit Sekteg. C'est en courant sous les insultes qu'il plongea à nouveau dans la foule de la rue précédemment empruntée avec difficulté et qu'il revint à son point de départ, dérapant dans la boue.
Haletant, le cœur battant à tout rompre et la nuque ainsi que le front perlant de sueur froide, il se dit que ça suffisait amplement pour aujourd'hui et qu'il tenterait sa chance demain.
Où jamais.
Il tourna donc les talons, décidé à regagner au plus vite la sécurité de sa forêt. Il marqua un infime temps d'arrêt lorsqu'il aperçut la silhouette sombre adossée à la façade d'une des maisons qui bordait l'étroite venelle mais fit de son mieux pour ne rien laissé paraître. Il savait instinctivement qu'il valait mieux ne pas montrer d'instant de faiblesse dans ce genre de situation. Il s'avança donc d'un pas rigide vers la sortie mais au moment ou il allait passer devant la sombre forme, celle-ci tendit une jambe pour l'appuyer contre le mur d'en face, bloquant le chemin de Sump qui ne leva même pas les yeux pour découvrir l'identité du pénible et inquiétant individu.
Le Gobelin préféra faire une maladroite volte-face, glissant une fois de plus dans la bouillasse du sol pour détaler à toutes jambes mais l'inconnu stoppa nette sa course en l'attrapant par le haut de sa tunique et en l'obligeant à lui faire face en le plaquant contre le mur d'en face :
"Où tu vas ?" lâcha-t-il d'un ton lent et détendu en sortant son visage de la pénombre.
Les yeux de Sump s’agrandirent de surprise. Il avait en face de lui une tête de tigre, ces énormes animaux que le petit Gobelin avait toujours prit soin d'éviter dans les forêts où il avait vécut. C'était comme si l'un d'eux avait décidé de se mettre sur deux pattes et de porter un pantalon de cuir rouge-sang.
Sump devina qu'il devait appartenir à l'espèce des Worans, comme
Fouly.
Un sourire déforma le faciès félin de l'homme-tigre :
"Aaaaller, tu vas me passer tout ce que t'as dans l'baluch mon p'tit." dit-il d'une voix traînante, tranquille et presque lasse.
Pourtant, ses yeux, pareils à deux topazes, brillaient d'une menaçante lueur prédatrice. Sump, pour qui le contenu de son sac avait plus d'importance que presque n'importe quoi, mit son baluchon derrière lui et montra les dents, peu convaincue lui-même par sa prestation.
Sans qu'il ne voit rien venir, le Woran le saisit par la gorge avec une de ses puissantes mains velues pour le plaquer davantage contre le mur et approcha son visage poilu et orangé du sien pour annoncer avec calme :
"Eh, joues pas à ça parce que tu sais, moi, je peux t'trancher la gorge avec un seul doigt..."Comme pour prouver ses dires, l'homme-tigre leva l'index de son autre main et une griffe brune de plusieurs centimètres jaillit de parmi les poils avec un léger bruit cristallin.
Les yeux noirs de Sump quittèrent automatiquement ceux de son ennemi pour fixer la petite mais évidemment mortelle arme et il se résigna aussitôt. Au moins, Grifoniss était toujours en sécurité avec les gardes de la porte...En tout cas c'est ce qu'il pensait pour se rassurer.
Le Sekteg allait donc laisser son sac et ainsi toute sa fortune à cet individu lorsqu'une voix s'éleva sur le côté :
"Lâche-le, Shaboon. Toi et ta bande de rigolos aviez promis de ne pas faire de grabuge ici lors de votre escale."Le félin tourna nonchalamment la tête vers celui qui venait de l'interrompre dans son racket. Il s'agissait du milicien qui avait permit à Sump de pénétrer dans la cité. Le Woran se redressa, lâchant le frêle cou de Sump :
"C'est bon, c'est lui qu'à commencer." répliqua-t-il un grand sourire aux babines.
"C'est ça. Aller, dégages maintenant."Après un bref instant de tension auquel Sump assista en silence, le Woran sortit tranquillement de la ruelle sans un seul regard pour sa victime, salongue queue rayée frôlant le petit Gobelin :
"'Faites entrer n'importe quoi dans vot' fourmilière aussi...Ça devient d'la provoc' à c'niveau-là..."Une fois le tigre perdu dans la foule, le milicien s'approcha de Sump :
"Ça va ?"Le Gobelin lui répondit par un grognement en réajustant son sac sur son épaule. Il s'apprêta à continuer son chemin vers la forêt pour faire une pause jusqu'à demain ou possiblement jusqu'à jamais mais le milicien l'arrêta :
"Pour la sécurité des habitants de Yarthiss...et la tienne apparemment, je vais te conduire jusqu'au meilleur soigneur de la ville. C'est une sorte de druide qui est très versé dans l'art de la médecine des plantes et qui s'y connaît aussi très bien en magie. Il fera ce qu'il faudra et ensuite, tu t'en ira. C'est compris ?"Et bien voilà, Sump n'avait jamais rien demandé de plus.
Suite.