<<< Précédemment.55. Un accueil chaleureux."Halte là !" aboya un imposant soldat aux longs cheveux bouclés vêtu d'une coûteuse armure en pointant sa lance en direction du drôle de nouveau-venu.
Après sa rencontre avec les sympathiques quoi qu'un peu rustres bûcherons de la forêt, Sump avait continué son chemin sur la piste en terre battue qui le plongeait dans une partie plus clairsemée des bois. Celle-ci finissait par longer un paisible et large fleuve uniquement brouillé par un léger courant.
Sur ce dernier, un long et bas bateau fait de bois nommé "Guide la Rainette" qui naviguait à ce moment-là sur le cours d'eau en direction de la cité réussit à mettre le Gobelin très mal à l'aise. Les passagers présents sur le pont, pour la plupart aisés, n'avaient pas manqués de le pointer du doigt et de marmonner entre eux, sans aucune discrétion. Sump avait tenté de les ignorer autant qu'il l'avait pu en baissant la tête et en se rabattant un maximum sur le côté droit de la piste car êtreau centre de l'attention de dizaines d'Humains n'était pas ce qu'il préférait.
Pas beaucoup plus tard, un cavalier dont le crâne était coiffé d'un large chapeau en cuir avait volontairement fait passer son cheval à la parfaite robe chocolat beaucoup trop près de lui et lui avait asséné un long regard rempli à ras bord d'un profond mépris. Enfin, une dame aux cheveux retenus par un bandeau bleu en train de s'occuper des tomates de son modeste jardinet s'était figée et avait suivi le Sekteg du regard alors qu'il passait devant sa clôture.
Tout cela n'avait pas servi à arranger l'état d'esprit du petit Sekteg qui, à mesure qu'il avançait sur sa piste, se sentait de plus en plus étranger à tout ce qui l'entourait et fatalement de moins en moins le bienvenu.
Toutefois il en avait plus ou moins l'habitude maintenant ou en tout cas s'était depuis longtemps résigné à ce genre de traitement...
Aussi c'est bien conscient qu'il n'allait pas entrer facilement dans la cité qu'il s'était approché des deux gardes, la tête et les oreilles basses.
"Tu peux faire demi-tour Sekteg, il est hors de question qu'on te laisse entrer." cracha la sentinelle.
N'ayant aucune autre stratégie, le Gobelin répéta les même gestes qu'avec Jacky le bûcheron. Il leva pareillement sa main noircie :
"Soigner." annonça-t-il laconiquement.
L'autre garde, le dos collé au mur de la muraille, fixa le membre du Sekteg, son visage ne trahissant pas la moindre émotion. L'autre leva davantage sa lance :
"On peut pas la soigner ta peste, alors du vent !""C'est la Gardienne..." insista le Sekteg.
Il ne voulait vraiment pas mourir. Mais le garde, déjà à bout de patience, s'avança d'un air menaçant :
"Putain, eh, tu...""Roulque, attends." intervint enfin l'autre garde en se décollant de la façade et en s'approchant, les sourcils froncés.
"Sekteg, reviens ici." ajouta-t-il.
Sump, qui avait détalé à plusieurs mètres, revint vers les deux gardes à petits pas, méfiant et en posture de soumission.
Sans prêter attention au regard interrogateur et outré de son collègue, ce deuxième garde aux boucles noires coiffées en une queue de cheval, interrogea le Gobelin :
"Tu as bien dit "la Gardienne" ?"Sump sentait ses jambes trembler. Il était mort de trouille et pour cause, des tonnes de questions emplissaient son esprit : Et si ces miliciens - il avait su qu'ils en étaient en remarquant que le plastron sur le torse de leur armure était le même que celui du drapeau de la ville derrière eux – finissaient par le reconnaître ? Et s'ils savaient ce qui s'était passé dans le Comté de Nelys ? Et si Kronh était dans le coin ? Et qu'est-ce qui lui avait prit d'écouter cette folle de Gardienne ? Pourquoi était-il si maudit ?
C'est avec toutes ces affolantes interrogations en tête que le petit Sekteg balbutia avec son langage peu développé qu'il avait effectivement rencontré cette dite Gardienne de la forêt et que c'était d'elle qu'il tenait l'idée saugrenue et un tant soit peu suicidaire de venir faire un tour à Yarthiss. Si ses dires ne parurent pas impressionner Roulque qui arborait une tronche de plus en plus interloquée et haineuse à mesure que Sump s'emberlificotait dans ses propos, il en était tout autre pour le second qui avait maintenant les sourcils dressés de surprise.
Il tourna la tête vers son collègue :
"Par Moura, tu entends ? Il affirme que c'est la Gardienne du Sanctuaire des Enfants du Renouveau qui lui a indiqué de venir ici !""Ben j'ai envie de dire super, Sergent."répliqua Roulque.
Le Sergent secoua imperceptiblement la tête et reporta son attention sur la créature verte :
"As-tu une preuve de ce que tu avances ?"Roulque explosa à ce moment-là :
"Mais bon sang de bois, bien sûr que non qu'il n'a pas de preuve, Sergent ! C'est à se demander si elle existe, cette Gardienne, d'ailleurs ! Il s'agit tout simplement d'un de ses foutus Gob'lins de la vieille mine qui vient encore faire chier !" dit-il en écartant les bras.
« Pourquoi on le vire pas comme les autres ?"Le Sergent ne le regarda même pas quand il lui répondit d'une voix posée quoiqu'un peu froide :
"La Gardienne existe, Roulque. Et je peux te dire que si elle lui a dit de venir ici, c'est qu'il y a une bonne raison."Désireux de prouver la véridicité de son histoire, Sump se mit à déballer une suite de mots à toute vitesse sans réfléchir :
"Tomber dans un trou tout noir avec un..." Il força sur sa mémoire pour trouver le nom de cet adversaire qu'il avait affronté quelques temps plus tôt,
"...Stiole dedans et de l'eau qui sentait le pollen, des singes dans l'arbre et une porte dans un sapin et...""Mais qu'est-ce qu'il a bu, morbleu ?"s'étonna Roulque.
Le Sergent, lui, caressant sa barbe noire, se mit à réfléchir.
Sump attendit, nerveux et tendu à l'extrême, les yeux fixés sur son interlocuteur, près à prendre la tangente à la moindre trace d'hostilité. Que pouvait-il faire d'autre ? Une fois de plus rien ne dépendait de lui. Et si jamais on lui refusait l'accès à Yarthiss, il n'aurait plus qu'à attendre la mort dans sa nouvelle forêt.
Mais le Sergent mit fin à son agonie en lâchant d'un ton calme mais ferme, sous la mine consternée de son subordonné :
"Bien, exceptionnellement je vais te laisser entrer...Mais sous certaines conditions uniquement. On manque d'effectif alors on ne peut bouger des portes et ainsi te surveiller. Nous allons donc devoir te fouiller et te prendre toutes tes armes le temps de ton séjour ici. En espérant qu'il sera court."En dépit de l'horreur qui était proche du dégoût que lui inspirait cette condition, Sump dut s'y plier. Il n'avait pas le choix.
Il se délesta donc de son bon vieux silex, du poignard trouvé sur l'autre victime de Stiole et bien sûr de Grifoniss.
Lorsque les deux miliciens virent cette dernière, il furent quelque peu étonnés mais n'ajoutèrent rien si ce n'est le regard haineux et soupçonneux que Roulque lui asséna et laissèrent passer Sump qui s'avança doucement pour s'infiltrer entre les deux grandes portes de bois entrouvertes non sans prendre une dernière grande inspiration.
Suite.