- Drôle d’idée…
Halkmir marmonnait, seul, pendant sa marche. Cela faisait quelques heures maintenant qu’il avait passé les portes de la ville. La journée était belle et n’en rendait ce séjour en pleine nature que plus agréable…pour quiconque sachant apprécier les promenades dans ce genre de milieu. Évidemment, pour l’apprenti mage, il faisait trop froid, ses chausses dorées se couvraient de boue et les fermiers qui le regardaient passer avaient un air peu accueillant.
- Si on m’avait dit que pour devenir mage il fallait courir après des lézards…pff... Il se fiche de moi, si ça se trouve…
C’est vrai que l’idée était saugrenue… Le vieux Baldy lui avait demandé de trouvé un Véroce et de le mettre dans une petite cage qu’il lui avait confié et qui pendait maintenant à sa ceinture, créant un très désagréable bruit de ferraille à chaque pas. Cependant, en quoi cet animal allait l’aider à maitriser le feu ? Il Ne cessait d’y songer alors que ses pas le guidaient peu à peu loin de Kendra Kâr. Le soleil entamait lentement sa descente quand il entra dans un bois. De loin, l’endroit lui paraissait quelconque, mais à mesure qu’il y progressait, il se sentit de moins en moins rassuré. Pour un petit garçon qui n’avait toujours connu qu’Exech ou ses environs désertiques, la pénombre de la forêt, ses bruits, sa vie, s’avéraient oppressants. Un mouvement dans les fourrés le fit sursauter. Il ne s’agissait pourtant que d’un simple écureuil. Halkmir laissa échapper un long soupir de soulagement, quoique l’étrange petite créature attisa un peu sa curiosité, mais surtout sa méfiance. Après tout, c’était peut être le petit d’une plus grosse bestiole bien moins charmante. Le mage se rendit compte alors qu’il n’y connaissait rien en ce qui concerne les milieux naturels comme les zones boisées, les campagnes... En fait, tout ce qui n’était pas un désert ou un taudis (Même si on peut difficilement juger un taudis comme milieu naturel. Cependant, la notion est assez floue pour Halkmir.).
Finalement, Ce n’est qu’a cet instant, planté au milieu de ce qui lui paraissait maintenant être un vrai enfer vert, qu’il réalisa qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il devait faire. Il ne savait même pas où il était sensé chercher ce Véroce. Il se dit même qu’il était tout à fait possible qu’il se fasse dévorer par une sale bête bien avant de tomber sur ce dernier. Le petit mage avait parfois entendu parler les marchands et les voyageurs à propos des nombreuses créatures vivant dans ce genre d’endroits… Il ne voulait pas finir dans le ventre d’un loup, d’un ours ou d’une biche (Après tout, quand on dit que la biche a une viande délicieuse, on ne précise jamais si elle sait la défendre chèrement !). Ce chemin dans les bois ne semblait jamais vouloir prendre fin, malgré les efforts du garçon pour accélérer le pas. De plus, la lumière du jour se dissipait et ses angoisses, dignes des plus grandes peurs enfantines, prenaient des proportions préoccupantes. C’est à ce moment précis que le destin eu la fort amusante idée de faire à nouveau surgir de quelques buissons une sombre silhouette qui se retrouva sur la route juste devant l’apprenti. Ce dernier bondit en arrière, atterrissant les fesses dans la boue, en criant quelque chose qui ressemblait à peu près à :
- Warrgliaa !!!
Le cœur prèt à exploser, les yeux ronds et le souffle court, Il laissa les derniers rayons de soleil exposer à son regard la terrible bête qui venait de surgir…
La silhouette n’était pas bien grande. Sa forme rappelait celle d’un humanoïde, muni d’affreux tentacules sur le crane. Elle demeurait immobile, seuls ses habits mal taillés se mouvant dans la légère brise. Halkmir et elle passèrent un moment à s’observer, et après quelques instants, ce monstre finit par lui rappeler furieusement une petite fille. Mais c’était stupide. De toutes les rencontres monstrueuses qu’un aventurier puisse faire, une petite fille était peut être la plus improbable…
- Ou alors un petit garçon. Marmonna l’apprenti à lui-même.
- Hein ? Lui répondit aussitôt la créature.
A cette instant, cette dernière, qui s’avérait être effectivement une simple gamine en haillons et aux nombreuses tresses blondes se vit rejoint par un garçon qui faisait une tête de moins qu’elle, aussi mal habillé, à la tignasse brune et crasseuse et avec un doigt planté dans le nez. Les choses devenaient de plus en plus bizarres. Puis, quand Halkmir se rendit compte que les deux étaient assez semblables aux nombreux paysans qu’il avait croisé en route, à travailler dans leurs champs, une femme plutôt forte se joint à eux. Elle tenait dans chaque main un panier en osier remplis à raz bord de champignons.
Le jeune mage finit par comprendre qu’il était tout bêtement tombé sur des gens du coin en pleine cueillette…et vu l’état du chignon de la dame et sa mine fatiguée, Il était temps que la journée se finisse. De fait, l’arrivée inopinée d’un drôle de petit bonhomme trimballant une cage, vêtu d’un costume criard et balbutiant des choses étranges, risquait d’être assez malvenue.
Il y eu un long silence. Puis le petit garçon pris la parole.
- C’est un lutin ?
- Bah non, répondit la fillette, Il est trop grand... Et il n’a pas l’air très futé.
- Dites pas de bêtises, les enfants, coupa la grosse dame, c’est encore un de ces rigolos de la ville…
Elle s’approcha et se pencha sur Halkmir qui commençait à se relever. Face à elle, il faisait ridiculement petit.
- Il se promène ? Continua-t-elle. Il cherche des petits oiseaux ?
- Nan, un gros lézard, rétorqua le mage sans réfléchir, ça s’appelle heu… un véroce ! Vous savez où je peux le trouver ?
Il y eu un nouveau flottement. A la mine à la fois surprise et effrayée de ses interlocuteurs, l’apprenti songea qu’il avait surement dit une bêtise. Puis le gamin pris de nouveau la parole en mâchonnant son doigt enfin sortis de son nez.
- Voui, il a pas l’air futé… ...
A quelques lieux d’ici, dans d’autres bois, une petite équipe marchait en file indienne à travers la végétation. Leurs armures faisaient un brouhaha particulièrement audible en ces lieux, mais qui ne masquaient pas hélas les grognements et les plaintes des hommes.
- Ca fait des heures qu’on marche, râla un premier, et il va bientôt faire nuit !
-En plus on est perdus, marmonna un second
- Qu’est ce qu’on fait, capitaine ?
En tête de file, le capitaine Jeanfal de ce groupe de milicien laissa échapper un énième long soupir. Ses hommes se plaignaient depuis leur départ, mais il fallait admettre que, à mesure que la nuit approchait, leurs griefs se faisaient de plus en plus pertinents.
-J’ai compris, lâcha t’il, en se tournant vers les soldats. Mais je vous signale qu’on est de toute façon allés trop loin pour rentrer maintenant. Autant finir le boulot ! Les gens comptent sur nous.
- Comment on sait si on est trop loin puisqu’on est perdus ?
Le chef du groupe grinça des dents. De plus en plus pertinents, c’était indéniable. Il se demanda un moment pour quoi, même dans la milice de Kendra Kâr, il devait se retrouver à gérer des troupes sans manières ni disciplines comme il en a commandé des tas dans les divers villages et garnisons dans lesquelles il avait œuvré. L’un des guerriers leva la voix.
- Et puis... Pourquoi on nous demande d’aller tuer ces bestioles ? D’habitude, les bêtes sauvages, on ne s’en occupe pas.
- Pour la vingtième fois, railla le capitaine, c’est parce que des fermiers son venus en nombres se plaindre des dégâts que qu'une meute de véroces particulièrement hargneuse ont causés à leurs cultures et leurs habitations. Ce n’est pas un simple sanglier qui a volé trois choux ! C’est des vrais monstres ! Et pendant que des stupides lézards se font un nom, nous on passe pour des tirs-au-flanc incapables de faire leur travail et défendre les honnêtes gens! Alors on les trouve, on les découpe et on en parle plus. Vu ?
Aucun de ses hommes ne jugea bon de le contrarier d’avantage. Après un court silence, il fit signe de reprendre la marche.
- N’empêche, maugréa l’un des miliciens, tout ça pour des véroces… La troupe disparue dans la nuit, dans un constant vacarme de ferraille.
…
Après une longue apnée, Halkmir repris son souffle et posa son bol de soupe, parfaitement vide, sur la table. Après avoir tenté d’expliquer pendant de longues minutes à Lorla, la fermière qu’il avait rencontré dans la forêt, ainsi qu’a ses deux enfants, Soline et Jabé, pourquoi il était venu si près de leur exploitation, il avait mis la pauvre femme dans un tel état de confusion et de fatigue qu’elle préféra l’amener avec eux dans leur ferme, qu’il raconte son histoire à son époux, Coren, pendant le repas.
Cependant, le brave fermier, au corps musclé, sculpté par des années de labeurs, avait trouvé là un sacré défi pour son esprit très ordonné et rationnel. Il avait tenté, avec ses enfants, qui ne s’en lassaient apparemment pas, de comprendre l’histoire très décousue du petit mage. A présent, le pauvre homme cachait son visage et ses moustaches blondes derrière ses grosses mains qui soutenaient déjà sa tête devenue bien lourde depuis le début du récit.
- Heu, hésita l’homme, donc… si j’ai bien compris, un bonhomme en ville t’a demandé de capturer un véroce, en échange de quoi, il fera de toi un grand paromachin ?
- Pyromancien, corrigea Halkmir, Oui, c’est à peu près ça. C’est une étape de mon apprentissage…
- Mais… Quel rapport entre capturer cette bête et apprendre la magie ?
Le jeune mage n’ayant lui-même pas compris quel était l’intérêt de cette quête, il ne put que laisser s’imposer un silence pesant. C’est Soline qui, heureusement, brisa la glace.
- Mais donc heu… Tu sais faire de la magie ?
Son petit frère acquiesça vivement pour faire comprendre que la question l’intéressait tout autant. Apparemment, c’est ce détail qui les captivait à ce point, tout les deux.
Le cœur d’Halkmir se gonfla un instant. Parler de ses talents lui faisait toujours plaisir. A fortiori lorsque cela attisait la curiosité et l’admiration comme ce fut le cas lors de la première épreuve que lui avait donné le vieux maitre, quand il alluma un brasier au sommet de l’une des tours de Kendra Kâr. Il se racla la gorge.
- Et ben... Je me débrouille, oui, admit-il avec fausse modestie.
- Montre, montre ! Lâchèrent les deux bambins en chœur.
- Héla, on se calme, lança alors Coren, Ce n’est pas de la magie comme à la foire, les enfants.
Lorla, qui s’attelait jusque là à préparer une paillasse pour le jeune voyageur, jugea bon de venir soutenir son époux.
- Si j’ai bien compris, c’est du feu, que tu fais, avec ta magie… C’est dangereux, ton histoire.
- Mais non, mais non, Les rassura Halkmir, ne vous en faites pas, je ne suis pas un parfait débutant.
Il rangea dans un coin de sa mémoire ses très nombreux souvenirs d’essais, quand il était encore à Exech, qui avait à peu près tous mal finis. Il tendit la main devant lui, paume vers le ciel et se concentra plutôt sur son expérience sur le toit de la tour, sur ce grand feu qu’il avait maitrisé à la perfection, ou presque. En quelques instants, et pendant seulement une poignée de secondes, il créa une version miniature de ce brasier quelques centimètres au dessus de sa main. Il fit ainsi très forte impression sur son auditoire. Halkmir était lui-même ravi. D’une part, de l’effet que sa démonstration avait eu, d’autre part car il ne s’était ni brulé, ni mis le feu à la ferme.
Le grand fermier pris le temps d’observer ses enfants qui applaudissaient, et même sa femme qui semblait assez surprise qu’un si petit bout d’homme soit capable de ce genre de prodiges. Il devait admettre que lui-même ne s’attendait pas à quelque chose de concret quand l’enfant lui avait affirmé d’être mage. Cependant, quelque chose l’ennuyait.
- Hum, c’est bien joli, tout ça…Mais si tu compte te frotter à un véroce, j’espère que tu as mieux que tes flammèches…
Comme à chaque fois que le nom de l’animal était évoqué, l’ambiance pris un coup dans l’aile. Ne comprenant pas où il voulait en venir, Halkmir lui demanda pourquoi.
-Et bien, répondit Coren d’un ton grave, ces temps ci, les véroces se comportent bizarrement… Ils ont commencé à faire parler d'eux il y a quelques mois. Il s'agirait de toute une meute, mais bien différente de ce qu'on a l'habitude de voir. On croise ces bestioles de temps en temps dans certaines forêts de la région. Elles ne sont pas bien aimables, mais la plupart du temps, il suffit de les contourner en marchant un peu vite pour avoir la paix. Mais ceux-là sont de vraies brutes, et vont jusque sur nos champs, ruiner les cultures et même s’en prendre à nous autres…
- On dit qu’ils ont détruit une étable après avoir mangé toutes les bêtes à l’intérieur, souffla Soline, rien que pour la casser.
- Et même qu’ils sont rentrés chez un fermier, pépia son petit frère, pour le dévorer dans son lit !
- tssst, Gronda leur mère, pas d’histoires comme ça, vous deux.
- Ceci dit, ils n’ont pas tout à fait tord, les petits, remarqua leur père, Il y a eu des blessés et du bétail tué. Certains des nôtres ont bien tentés d’aller les chasser… Mais ça ne s’est pas très bien passé. La garde a été prévenue, mais ces idiots n’y font hélas rien.
Cette fois ci, l’ambiance était aussi lourde que possible. Tout compte fait, un incendie aurait peut être été plus festif. Halkmir chassa vite cette idée et lança, sur le ton de la plaisanterie, afin de cacher au mieux sa subite angoisse :
- Eh ben... Tout un programme !
- Tu rigole, mais…Tu pense être de taille, gamin ? Lui demanda Coren, plutôt hésitant.
-Ceci dit, suggéra Lorla, rien ne l'oblige à aller chercher ces sales bêtes. Il peut très bien farfouiller dans les bois environnant pour en trouver un tout seul et moins méchant, ce serait moins dur de l'attraper. - Bah, j’ai connu pire, fanfaronna le petit mage. Tenez, je vais vous raconter la fois ou j’ai combattu un orc à trois bras… C’était…
- On verra une autre fois pour les histoires, le coupa aussitôt Lorla, qui craignait qu’un nouveau récit du garçon ne vienne à bout des neurones de toute la famille réunie, c’est l’heure de se coucher.
- Ouais… ça attendra demain, ajouta Coren qui avait pensé la même chose que son épouse.
- Euh… Demain ? Je... ne reprends pas ma route, demain ?
Le couple se regarda. Après avoir appris ce qu’il comptait faire, l’idée que le jeune garçon ne reprenne son périple, sans savoir où il allait, en prime, leur paraissait tout à fait saugrenue.
- Hem, répondit enfin l’homme, écoute, petit… C’est pas pour te décourager, mais tu ne connais pas la région, tu n’as pas de vivres… Je te vois mal parcourir les bois encore bien longtemps avant de comprendre que tu fais une erreur et renoncer. Et franchement, vu ce que tu compte trouver dans ces bois, c’est peut être pas plus mal. Il faudrait cependant que tu ne sois pas trop loin de chez toi à ce moment là.
Halkmir parut gêné. Il chercha quoi répondre, mais c’est Jabé qui s’exclama le premier :
- Ben pourquoi tu ne le guide pas, papa ?
- Ben oui, renchérit sa grande sœur, tu pourrais l’emmener au bois où se cache les grosses bêtes, pour qu’il se perde pas !
- Mais… Hésita le mage.
Les parents eurent du mal à faire comprendre à leurs enfants que l’idée, outre qu’elle impliquait d’emmener leur père un peu trop près du danger à son goût, et Halkmir encore plus près, était assez mauvaise.
- Je passe mes journées aux récoltes, rétorqua le fermier, et j’en ai encore pour une semaine. Je ne peux pas me permettre d’aller me balader, enfin.
- Ben, osa le petit garçon, il reste avec nous cette semaine !
- Bien sûr, une bouche de plus à nourrir pendant toute une semaine, lâcha leur mère, Et puis quoi encore ?
- Euh…
- Il n’a qu’à nous aider, conclue finalement Soline. Ca fera un cueilleur et un pêcheur de plus ! Ça remplira bien son assiette, nan ?
Tout le monde se tût, y compris Halkmir qui était subitement un peu perdu. Devant l’insistance de leurs enfants, Coren et Lorla finirent enfin par céder. En effet, pendant les récoltes, une paire de bras supplémentaire, même s’ils sont aussi chétifs que ceux de ce gringalet, n’était pas de refus.
- Bon, bon… laissa échapper le fermier, abattu. D’accord... S’il travaille bien, je le conduirai jusqu'à sa sale bête.
Les enfants se congratulèrent. Même s’il n’avait pas tout compris, Halkmir était lui aussi assez content. Il avait un toit pour une semaine, au bout de laquelle on l’aiderait à accomplir sa mission. La soirée s’acheva peu après, sur ordre du chef de famille qui se dit que tout le monde avait grand besoin de se reposer l’esprit.
Les jours suivants, Halkmir s’improvisa donc fermier. Il fut initié à la pêche et à la cueillette. On lui apprit même à cuisiner un peu. Il fut forcé d’admettre que les champignons, c’est meilleur cuit. Coren et Lorla découvrirent que le garçon était aussi efficace qu’agréable quand on passait outre son comportement lunatique et pas toujours compréhensible. Lorla se risqua même à lui demander s’il était possible que le feu magique puisse apparaitre accidentellement dans la cervelle d’un lanceur de sort. Une mésaventure de ce genre pouvait éventuellement expliquer bien des choses, selon elle.
Malgré cela, il s’intégra bien à cette famille et se surpris à s’imaginer parfois en fermier, laissant de côté sa jeune carrière d’aventurier. Chaque soir, il leur racontait un de ses hauts faits, parfois un peu arrangé pour sembler plus héroïque, parfois complètement inventé. Ils furent néanmoins tous heureux de constater qu’avec le temps, ils le comprenaient de mieux en mieux.
Un incident survint cependant, dès le premier jour, lorsque Lorla voulu lui faire prendre un bain. Ses deux enfants, qui sortaient de la rivière tout proche et se séchaient, s’amusaient à voir leur mère lutter avec le mage qui faisait alors preuve d’une dextérité surprenante pour échapper à la poigne de cette forte femme. L’heure ne fut cependant plus aux rires quand elle parvint enfin à retirer les amples habits du garçon…
La vie à Exech est souvent dure, surtout pour un gamin des rues. Des années de survie avaient laissé sur son corps de nombreuses marques, certaines vraisemblablement acquises lors de moments particulièrement douloureux. Après cela, Halkmir s’empressa de se laver, et se rhabiller, sans rien laisser paraître de sa honte. Pour les jours suivants, il fut convenu qu’il prendrait un bain chaque jour, seul.
Vint enfin le jour du départ. Lorla avait préparé deux paquetages, pour son mari et le mage. Le brave homme s’était également discrètement emparé de sa lourde hache, au cas où… Il n’avait pas vraiment envie d’y aller. Mais après cette semaine, il s’était rendu compte qu’il avait encore moins envie de laisser le jeune garçon partir seul affronter le danger. Ils quittèrent donc la ferme et partirent vers la forêt dans laquelle se terrait la meute de véroces. Le voyage dura une journée entière. Ils décidèrent de monter un bivouac à la lisière du bois. Malgré la situation, la bonne humeur régnait. L’apprenti et ses histoires étaient devenus un divertissement efficace pour son nouvel ami, et évitaient à ce dernier de trop songer à ce qui attendait le jeune homme, quand il plongeait son regard dans la pénombre de la forêt.
…
Quelques heures plus tard, non loin, dans ces mêmes bois le capitaine Jeanfal commençait à se demander s’il n’allait pas devenir fou. Plus que jamais, ses hommes lui donnaient des envies de meurtres. Ils avaient été finalement forcés de revenir à Kendra Kâr bredouille il y a quelques jours, quand il apprit que les fermiers avaient clairement indiqué la position du repaire des véroces vindicatifs lorsqu’ils s’en étaient plaints. Mais les officiers qui les avaient écoutés, visiblement aussi stupides que ses soldats, n’avaient pas jugé utile de lui transmettre l’information, sous prétexte que les dires des paysans n’étaient que très rarement fiables…
Il avait donc aussitôt rassemblé sa troupe pour repartir. Ces derniers s’étant imaginés avoir la paix au moins une journée, la perspective de repartir avec, cette fois, l’assurance de devoir en découdre, les rendit plus râleurs et pénibles qu’a l’accoutumée. Jeanfal était persuadé qu’ils faisaient exprès de se trainer, si bien qu’il leur fallu une éternité pour rejoindre enfin leur objectif.
Mais c’était finalement là que le cauchemar avait commencé pour lui. Organiser et mener la battue à la recherche de la meute c’était avéré d’une affreuse difficulté. Il lui fallu une journée de plus pour obtenir un résultat : une piste relativement fraiche trahissant la présence des lézards. Il était grand temps, car les remarques répétées de ses hommes sur le fait qu’il était étrange que des animaux faisant autant parler de lui était si dur à trouver sur son propre territoire commençaient à sérieusement faire douter leur supérieur.
Maintenant, le capitaine était sous l’effet de l’adrénaline et se ruait à travers la piste, laissant les rares hommes qui n’étaient pas déjà perdus à travers la forêt loin derrière, dans un excès de confiance et surtout l’intense désir d’en finir avec ce travail. Il ne tarda pas à déchanter…
Ses hommes ,qui peinaient à suivre, commencèrent à ralentir le pas en percevant les premiers cris et bruits de bataille…
…
Ces mêmes bruits réveillèrent Coren. Il ouvrit les yeux et remarqua que l’aube se levait à peine. Péniblement, il se redressa pour constater qu’Halkmir avait une vision très particulière du tour de garde. Emmitouflé dans ses habits amples, il aurait pu passer pour un petit tas de linge qui émettait un léger ronflement. Le fermier soupira, puis se leva. Tandis qu’il jetait un œil méfiant au bois d’où provenaient les sons, il ramassa sa hache puis tapota le bonnet de son compagnon pour le réveiller.
Il y eu un moment de flottement, puis garçon s’éveilla dans un sursaut en dépliant ses membres, tel un diable sortant de sa boite.
- Hein !? Ha ! Coren, Debout ! Il se passe quelque chose !
- Je sais, soupira de nouveau le fermier, heureusement que t’es là, dis donc…
Il désigna la forêt de la main.
- Ça vient de par là…j’ai dans l’idée que ta bestiole est déjà occupée…
Le jeune mage fit volte face, puis fut pris d’une légère panique.
-Quoi ? Ha non hein ! C’est le mien ! Personne n’y touche !
En regardant le jeune garçon s’échauffer une seconde avant de se jeter à corps perdu dans la pénombre du bois, Coren resongea à cette théorie de feu magique invoquée dans la cervelle par accident. Puis, inquiet pour le petit mage, il partit à sa suite, hache en main, d’un pas prudent.
Pris dans une course folle, sa petite cage accrochée à sa ceinture virevoltant en émettant un boucan terrible, le jeune apprenti ne craignait plus la pénombre de ces lieux, ni son étrange ambiance sonore. Une semaine à vivre si près de cette nature dont il ne connaissait alors rien avait mis Halkmir en confiance. Un peu trop, peut être. Ainsi, après avoir trébuché trois fois sur des racines et reçu deux branches dans la figure, laissant ainsi à Coren largement le temps de le rattraper, il arriva à la source des hurlements et bruits de coups qui avaient réveillé le fermier :
Dans une petite clairière, à l’intérieur de laquelle les rayons d’un soleil naissant éclairaient l’entrée de ce qui ressemblait à une grotte, ou une fosse, un homme, visiblement un soldat, était aux prises avec plusieurs créatures. Des bêtes féroces, aux écailles rouge sang, sauf l’un d’eux, plus gros que ses congénères, vraisemblablement le chef de meute.
L’apprenti reconnu en elles des véroces. Cependant, l’estimation du vieux Baldy vis-à-vis du nombre de créatures qu’il aurait à affronter était assez éloignée de la vérité. En fait de trois ou quatre, c’était près d’une dizaine de ces sales bêtes qui malmenaient le pauvre homme. De plus, leur taille, proche de celle d’un chien, l’inquiétait un peu.
- Il ne rentrera jamais dans la cage…
Cette exclamation inspira un nouveau soupir désespéré à Coren qui comptait plutôt demeurer discret. Elle eut cependant l’avantage d’offrir un court répit au capitaine qui était alors en fâcheuse posture. Il avait bien vaincu quelques uns de ces monstres, mais leur meneur et les quelques autres molosses à sang froid restants lui menaient la vie dure.
C’était après s’être jeté sans réfléchir dans la grotte à laquelle menait sa piste, réveillé les véroces dans de grands cris menaçant, reçu de nombreux coup et beuglé en vain plusieurs ordres qu’il jugeait pourtant clair qu’il avait réalisé qu’il s’était lancé dans la bataille sans s’assurer que ses hommes étaient bien derrière lui et qu’il était maintenant seul face à la menace. Il avait tenté de battre en retraite, mais les reptiles se montraient assez hargneux.
Quelque chose d’étrange se passa. Quand le chef de meute vit le jeune garçon, et sa tenue ample, aux couleurs vives, il fut comme pris d’une rage incontrôlable et se rua vers les deux nouveaux arrivants, laissant à ses derniers compères le loisir d’en finir avec l’abruti qui était venu interrompre leur nuit en hurlant.
Réprimant au mieux la peur qu’un tel événement puisse susciter chez un pauvre paysan, Coren leva sa garde. Cela ne servit à rien, toutefois, puisque le jeune mage eu quand à lui pour réflexe de s’éloigner de son camarade et retourner au milieu des arbres, espérant gêner ainsi la course de la bestiole. Cette dernière se détourna alors, oubliant totalement le fermier, pour se concentrer sur sa proie. Voyant cela, Coren songea que c’était peut être une chose normale, en rapport avec la fameuse étape d’apprentissage de garçon. Ce dernier semblait d’ailleurs assez confiant et sûr de lui. Il se décida donc à venir en aide au milicien en péril.
En vérité, à cet instant précis, la cervelle d’Halkmir était en proie à la panique la plus totale : Il n’avait jamais combattu d’animaux, encore moins dans une forêt et la présence apaisante de toits par lesquels il aurait pu fuir lui manquait cruellement. De plus, le véroce, qui chargeait dans sa direction, était vraiment moche. C’était un détail, certes, mais ça n’aidait pas du tout le garçon à contenir sa frousse. Armé de sa seule cage, il freina sa course, fit front, inspira un grand coup et tâcha de se concentrer. Il devait arrêter l’animal dans son assaut et il savait au moins une chose : les animaux n’aiment pas le feu.
Aidé par le paysan, Jeanfal parvint malgré tout à tenir contre la meute. Assez longtemps en tout cas pour qu’une poignée de ses soldats ne les rattrapent enfin et se joignent à la lutte dont le dénouement arriva alors très vite. Tandis que le capitaine hésitait entre remercier Coren et réprimander ses hommes, ils furent survolés par une grande forme en feu.
Une seconde plus tôt, Halkmir s’était juste souvenu, alors qu’il visait le véroce en préparant son sort, qu’il devait capturer ce monstre. Or, Le vieux Baldy n’aurait surement pas apprécié qu’il lui ramène un lézard carbonisé. Il avait donc levé la main au dernier moment, déviant la direction du grossier nuage de feu qui en jaillit. En temps normal, une flamme de ce genre n’aurait causé aucun dommage. Cette décision était parfaitement futile. Mais en la créant d’une façon si grossière et maladroite, le garçon manqua de peu d’en perdre totalement le contrôle et d’embraser les arbres. Le nuage partit vers les airs, passant au dessus du véroce qui s’arrêta, stupéfait, et se changea à une boule de moins en moins dense, survolant Coren et les miliciens.
Les hommes de Jeanfal se regardèrent. Ils étaient payés pour veiller sur Kendra Kâr et ses environs. Ils n’avaient pas signés pour chasser des monstres. De plus, si ces missions impliquaient de se frotter à la magie, ils se dirent que ça ne valait franchement pas la solde qu’ils recevaient. C’est ainsi qu’ils prirent leurs jambes à leur cou, sous le regard médusé de leur supérieur. Coren ne parut pas surpris. Il n’appréciait pas vraiment les miliciens… Il se sentait pour le moment plus concerné par le duel entre Halkmir et la bête. Déjà à bout de souffle après la bataille, il couru du mieux qu’il pu vers le l’endroit d’où venait le sort.
Le jeune mage n’avait pas perdu de temps. Profitant de la stupeur du véroce, il avait presque surgit à la suite du nuage de feu pour abattre l’entrée ouverte de la cage sur la tête du lézard. Cela n’eut pas l’effet escompté, à savoir faire entrer le monstre d’un coup dans la cage. Cependant, le choc sonna la créature.
Surpris, l’apprenti recommença aussitôt, une fois, puis deux, et ainsi de suite jusqu'à assommer l’animal pour de bon. Il tomba à genou devant son adversaire vaincu. Son cœur battait encore la chamade. Il ne s’attendait pas à gagner si aisément. Tranquillement, le véroce terminait maintenant sa nuit. Coren les rejoignit, puis Jeanfal, qui vit là une magnifique occasion de planter son arme dans le crâne de cette sale bête. Comprenant son intention, Halkmir leva les bras pour l’arrêter. Le capitaine cru alors que l’étrange garçon, qui avait surement crée ce nuage de flammes plus tôt, comptait réitérer son coup. Alors que les deux s’apprêtaient à commettre une grave erreur, le fermier s’interposa de justesse pour empêcher le désastre. Cela surpris le mage. Il n’avait pas l’habitude qu’on se place entre lui et les sources d’ennuis. Jeanfal gronda alors.
-Qu’est ce que vous fichez là, vous deux ? Fichez le camp ! Vous interférez avec une affaire de la milice !
-Il me semble que ça ne vous dérangeait pas tant que ça quand je suis venu sauver vos fesses, rétorqua Coren. Le soldat grogna, puis regarda tour à tour le paysan, le mage et l’animal. -Qu’est ce que vous voulez ?
Halkmir, qui avait ramassé la cage, se demandait maintenant comment il allait pouvoir y faire entrer le lézard.
-J’suis venu ici capturer cette bestiole, lança t’il sans même regarder Jeanfal. Ordre du mage… Baldy. Vous feriez mieux de ne pas « interférer » avec cette affaire.
Cette réponse surpris le capitaine un instant, mais il ne la jugea pas satisfaisante.
-Cette créature est une menace et doit être abattue sur le champ. C’est pour ça que nous sommes là.
-Il vous a fallu tout ce temps pour vous remuer enfin ? Lança Coren, furieux. Cela fait des semaines que nous vous demandons d’intervenir, pour vous voir pris de vitesse par un gamin ? Vous vous rendez compte que plusieurs de mes amis ont subis de gros dommages à cause de cette bestiole, pendant que vous vous tourniez les pouces ?
-Ce… n’est pas une raison ! Maintenant que nous en avons l’occasion, je ne vais pas épargner cet animal !
Après réflexion, Halkmir se décida à chipper le sac de Coren. Avec l’aide de linges fraichement déchirés (ce qui fit grincer des dents l’agriculteur), il entrava les pattes du véroce et le fourra dans le sac.
-C’est ça, marmonna t-il, faites donc ça, qu’on raconte à tout le monde comment vous l’avez vaillamment achevé après qu’un enfant l’ai assommé pendant qu’un fermier vous sauvait la vie alors que sa meute se faisait les dents sur votre postérieur.
Même si le visage du jeune mage était en grande partie caché par ses mèches rousses, son bonnet et son col, le capitaine pouvait voir qu’il se fendait d’un large sourire. Gêné, il ne sut pas quoi répondre. Le fermier se tourna vers son compagnon, amusé et surpris de son sens de la repartie. Il observa ensuite Jeanfal.
-Ou alors, vous nous laissez partir, nous ne dirons rien de toute cette histoire fort humiliante pour la milice, et nous vous promettons que cette bestiole ne fera plus le moindre mal.
Songeur, le capitaine ressentis soudainement toute la fatigue accumulée par ces jours de traque, ce combat pénible et surtout, l’épuisement du à la présence de ses hommes. Il fut pris d’une terrible envie d’aller se coucher et d’oublier cette fâcheuse histoire.
Lui-même assez las, mais aussi content d’avoir capturé sa proie, et surtout pressé de s’éloigner de ce milicien, Halkmir n’avait pas attendu sa réponse pour s’éloigner de la clairière. Peu après, Coren le rejoignit, souriant. Il avait laissé l’officier planté au milieu de la clairière. Ils ne parlèrent pas pendant un moment, mais il était visiblement assez content, peut être fier, de ce qui c’était passé. Il se disait qu’en rentrant, lui aussi aurait une histoire à raconter à ses enfants, et songeait même déjà à comment l’embellir. Il finit d’ailleurs par évoquer l’idée à son jeune compagnon. Ce dernier lui donna d’ailleurs quelques conseils pour changer ce petit incident en bataille épique. Au soir, Ce sont deux Larrons rieurs qu’accueillirent Lorla et ses enfants, soulagés.
Halkmir Passa une dernière nuit à la ferme. Le mage fut autorisé à nourrir sa prise, mais il devait le garder les pattes liées, dans l’étable, et les enfants n’eurent pas le droit de le voir de près. L’apprenti dormit d’ailleurs aux coté du sac contenant son prisonnier, ne voulant pas qu’il profite de la nuit pour s’échapper.
Au lendemain, après des adieux certes rapides, mais assez difficiles, et la promesse qu’ils se reverraient un jour, Halkmir pris la route pour Kendra Kar avec son lourd bagage.
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Dernière édition par Keyzarh le Sam 9 Jan 2010 23:10, édité 1 fois.
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