<Les terres cultivées>Voilà que je me retrouvai seule, arc sur le dos, sur un chemin boueux au milieu des champs.
Je n'avais pas de regret à quitter ainsi mon camarade, certes, il avait été un compagnon très agréable, et je m'étais attachée à lui, mais nous n'avions pas le même but. Je restai persuadée qu'un jour, peut-être très lointain, nous nous reverrons. Mais à présent, il était bientôt temps pour moi de réaliser mon rêve et de quitter Kendra-Kâr. Avant cela, je devais encore me familiariser davantage avec mon arc : je n'aspirai qu'à de nouvelles aventures, pourtant cela ne constituait pas une raison suffisante à m'aventurer ainsi en terres inconnues sans défense.
Je me sentais propre, reposée et rassasiée, et cette grande soif d'aventure qui me submergeait me rendait euphorique. Les blessures de mon combat étaient déjà oubliées grâce aux bons soins de la fermière Edeline, l'engourdissement avait passé grâce au sommeil, et le repas régalant avait atténué tout trace de douleur.
Je bénissais les dieux d'avoir mis cette femme sur mon chemin. Cette pensée me fit sourciller : certes, on m'avait toujours éduquée dans une optique très croyante, mes parents vénéraient presque tout les dieux, et j'avais dès mon plus jeune âge suivit un enseignement divin, mais jamais je ne m'étais vraiment considérée comme véritable croyante. Les Dieux me préoccupaient peu, et il s'agissait davantage d'éducation que de véritable culte. Seules deux Déesses possédaient mon estime, sans que je ne sache expliquer pourquoi, leur histoire m'intriguait, et leurs idoles me rassuraient. Yuia, la sublime déesse de glace et Rana, princesse de l'air étaient les seules auxquelles je confiais ma foi.
Alors que je me dirigeai, pensive, vers les portes de Kendra-Kâr, quelque chose surgit du champ de maïs qui était à ma droite. Je fus dans un premier temps surprise d'être tirée ainsi de mes songes, et tressaillis en reculant de deux pas. Devant moi se tenait un hobbit, en tenue de paysan, et au visage bouffi et crasseux. Avec une voix fort sympathique, il s'écria :
« Oh parfait, parfait! Une archère! » « Bonjour, » eus-je à peine le temps d'articuler avant qu'il ne reprenne avec entrain :
« Dites moi, pourriez-vous me rendre service? Je vous garantis une récompense si vous m'aidez! » « Oui bien sûr, que puis-je faire pour... »Je n'eus pas le temps d'achever ma phrase, le hobbit montra le champ opposé duquel il était sorti. Un champ de pomme de terres visiblement, d'une taille moyenne. Il m'expliqua qu'il s'agissait du sien, mais que des rats l'avaient envahi et mangeaient toutes ses plantations. Il me demanda alors de l'en débarrasser, grâce à mon arc. J'acceptais la tâche qu'il me confiait, et il s'en alla aussi vite qu'il était venu, me confiant de le rejoindre dans une cabane qu'il désigna du doigt, une fois que je l'aurai débarrassé de ces « sales rats » selon ses termes.
Je jetai un regard panoramique sur le champ. En effet, des rats couraient à travers les plants de pomme-de-terre en poussant des petits cris répugnants. Ravie d'avoir de quoi me perfectionner à l'arc, je m'en armai, et tirai une flèche de mon carquois. Instinctivement, mes mains et bras s'étaient correctement placés, et j'avais tendu la corde avec justesse. Elle fendit l'air en direction de la petite bête, et la corde vibra dans ce bruit que j'adorai déjà. Mon projectile était allé très précisément où je le souhaitais, mais le rat était rapide, et voyant une flèche fondre sur lui, juste à temps, il s'était enfui. Agacée de cette fuite, mais sûre de mon arc, je recommençais en visant un autre petit rongeur. Même scène: malgré la vitesse de ma flèche, la distance qu'elle avait à parcourir permettait à l'animal de se sauver au dernier moment.
L'épreuve se révélait donc plus ardue que prévu. Une idée me traversa l'esprit : si ces vermines parvenaient à échapper à mes flèches de justesse, il suffisait qu'elles ne les voient pas ! Je repérais un rat, et visai vers le ciel. La flèche partit d'abord en direction des cieux, tout en ralentissant progressivement, sembla marquer un arrêt dans les airs, et redescendit de plus en plus vite jusqu'à se planter à la verticale dans le sol, à quelques centimètres à peine d'un rongeur qui, effrayé par cette subite apparition fuit quelques mètres plus loin. Plutôt satisfaire, je réessayai plusieurs fois la même technique jusqu'à ce qu'enfin, la flèche transperce un rongeur verticalement, et s'enfonce dans le sol. La bête essaya de s'enfuir en s'agitant mais la flèche qui le traversait l'empêchait de fuir. Le sang giclait au rythme de son petit cœur agité, maculant son pelage. Après quelques secondes d'agonie, il fut prit de convulsions et cessa enfin de bouger.
J'avais fait ma première victime, et je ressentais un mélange de honte, de pitié, et d'euphorie. La vue de ce petit corps embroché et cloué au sol, dégoulinant de sang, qui me regardait de ces yeux livides qu'on les mort me faisait l'effet d'un pic glacé. Et pourtant, cette possibilité de donner la mort par ma seule volonté était terriblement excitante.
Mais qu'en serait-il si je venais à tuer un humanoïde? Il ne s'agissait là que d'un simple nuisible, mais ressentirais-je les mêmes sensations? Serais-je désemparée? Ou au contraire encore davantage excitée? Devrais-je un jour tuer un de mes semblables? Deviendrais-je un monstre sanguinaire?
Non! Non, non et non. Jamais. Il ne s'agit là que de simples rongeur que je tue pour rendre service a un respectueux fermier.
La conscience apaisée, je finissais mon travail, ne pouvant m'empêcher de voir cela comme un jeu, et baissant mon arc à chaque fois pour pouvoir admirer le dernier combat des rats, leur ultime tentation d'évasion, toujours vaine. Par simple amusement, je mis en place un système de points : Si la bête était clouée au sol par un de ses membres, j'avais 50 points. Si il s'agissait de son corps j'en remportais 25, et la tête en valait 100.
A la fin, je touchai la tête pratiquement à chaque fois, et je n'avais même plus besoin de réfléchir tant ma visée était devenue instinctive. J'avais l'impression d'avoir manié l'arc entre mes mains depuis toujours.
Les rats se firent de moins en moins nombreux, puis je n'en vis enfin plus de vivant. Je me doutais qu'ils reviendraient vite, en effet les rats pullulaient dans les endroits de ce genre, mais cela m'avait servit d'entrainement, et je me demandais bien ce que pourrait être la récompense promise par le fermier. Avec fierté, je me dirigeai vers le cabanon qu'il avait désigné, sentant que bientôt mon arc deviendrait le prolongement de mon bras.
Je frappai à sa porte un coup, et je n'eus pas même le temps d'esquisser le second que le hobbit était déjà face à moi. Il semblait ravi et s'empêtrait dans ses mots, alors que je le regardais, un sourire compatissant sur les lèvres. Tant il bégayait, il m'invita à entrer et à m'asseoir, je m'exécutai alors qu'il s'absenta dans une pièce voisine pour aller chercher la promise récompense.
Étant seule, je détaillai sa maison du regard, et je ne fus pas surprise de me trouver dans une maison de ferme, plutôt simple, mais dans laquelle s'entassait des objets plus insolites les uns que les autres. Quand le petit homme pénétra dans la pièce, je baissai les yeux sur ce qu'il ramenait : une étrange fiole violette. Je détournai les yeux, et à peine les reposais-je sur lui que j'appercus une etoffe qui pendait à son bras! Il s'était juste avancé de quelques pas, et le tissu était apparu comme par magie! J'étais sûre que je ne l'avais pas vu avant!
-Bien bien bien, voilà, j'espère que cela te conviendra! S'enjoua t-il en posa les deux récompenses sur la table
-Mais... Qu'est-ce ?
Je pris la fiole entre mes mains et l'examinai visuellement et tactilement : un flacon à la forme étrange, qui contenait un fluide violet. Je l'ouvris et sentis : une odeur de champignon et de poulet aux herbes, qui aurait pu être appétissante si elle n'était pas si concentrée.
-Bois en une gorgée si tu es mal en point, cela te revigorera! C'est une potion elfique que j'ai récupérée d'un de mes nombreux périples. Et ça, c'est une cape de dissimulation. Qui te rendra invisible, mais seulement a une certaine distance. Fort utile oui, surtout pour une archère comme toi.
Il marqua une pause et me fit un clin d'œil avant de poursuivre :
-C'est elfique également, celle-ci, c'est un célèbre couturier elfe qui me l'a donné! En ce moment, j'écris un livre : tiens, jettes-y un œil.
C'est ainsi que je me retrouvai à devoir regarder et écouter tout les récits du fermier, qui bien qu'étant très envahissant n'en demeurait pas moins sympathique. Lorsque je parvins enfin à me dépatouiller du hobbit, je le saluai et le remerciait pour la cape et la fiole, tandis que lui m'assurait être très reconnaissant pour les rats, et affirmait qu'il serait ravi de me revoir.
Je repris enfin ma marche vers la ville, après avoir enfilé ma cape, et rangé le flacon étrange dans une de mes sacoches à la ceinture.
<Les terres cultivées de Kendra-Kâr>