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Alors que je dépassai les portes, mon sang se refroidit bien vite. C'est avec un certain malaise que je découvris une ville plongée dans la stupeur et une crainte silencieuse. La neige se mêlait à la terre et formait une boue qui étouffait le bruit de mes pas tout en collant à mes pieds. Une fine pellicule blanche recouvrait déjà tous les toits aux faîtes rouge et ocre en bois peint. Des lanternes à la lueur sinistre grinçaient devant les pignons et les rues paraissaient bien vides. Une mère avec ses enfants se pressait sur ma droite pour retrouver bien vite la chaleur rassurante de son habitation. Au loin, des rumeurs métalliques et des éclats de voix masculines confirmaient la présence d'hommes armés. J'en aperçu plusieurs groupes, arpentant les rues avec suspicion, en semblant pourtant davantage se rendre quelque part en particulier plutôt que de faire une ronde comme j'avais vu tant de miliciens le faire à Kendra Kâr. Ils m'accordèrent tout juste un regard. Ils devaient avoir vu passer un certain nombre d'étrangers ces derniers temps. Un petit chat gris traversa en cavalant la rue devant moi pour rejoindre des fourrés rabougris qui ornaient la devanture d'une grande bâtisse.
De ses grandes fenêtres au verre brut et peu transparent filtrait une douce lumière. Je tournai à l'angle du bâtiment et découvris une belle porte en bois surplombée d'un écriteau en forme de chope. Une auberge. Une bourrasque de vent dans la ruelle me fit resserrer les pans de mon manteau. Je n'hésitai pas plus longtemps et entrai pour me mettre à l'abri. La pièce principale était spacieuse et étrangement décorée. Tout le mobilier me semblait bien bas et les habituels bancs et fauteuils étaient remplacés par de petits tabourets larges. Je ne m'attardai pas là-dessus et me dirigeai vers le comptoir derrière lequel deux femmes me tournant le dos discutaient à voix basses. Leurs longs cheveux noirs et lisses leur arrivant sous les épaules étaient caractéristiques des Ynoriens, de même que leurs tuniques longues en soie colorée. Au claquement de mes talons sur les dalles couvrant le sol, elles se retournèrent avec un grand sourire, plissant leurs yeux et s'inclinant légèrement pour m'accueillir. J'eu la surprise de découvrir que la personne de gauche n'était pas une femme mais un homme, sans rien en laisser paraître.
- Soyez la bienvenue, fis l'homme avec un accent tout à fait charmant. Que pouvons-nous faire pour vous ?
- Vous reste-t-il une chambre ? A vrai dire, c'était une simple formalité ; il n'y avait pas un chat dans l'auberge. J'aimerais pouvoir me laver, laver mes vêtements, prendre un bon repas et nettoyer mon équipement, si vous avez de l'huile.
- Bien entendu ! me répondit la femme. Je vous en prie, suivez-moi. Elle tendit les bras en direction de l'escalier au coin de la pièce. Je vais vous montrer votre chambre. Elle tira une clé d'une poche cachée. Kanumi, fait chauffer de l'eau et prévient Ama, qu'il réchauffe la soupe. L'homme acquiesça et disparut par la porte cachée par un rideau qui se tenait derrière eux. Nous n'avons plus de viande ou de poisson, je suis navrée.
- Ce n'est rien.
Elle semblait très embarrassée. Elle me répondit d'un signe de tête reconnaissant et me devança pour me guider vers ma chambre. Celle-ci se trouvait à droite au bout du couloir de gauche du premier étage. Elle s'ouvrait en faisant glisser le panneau de la porte sur le côté, après en avoir débloqué la serrure. La femme resta sur le pas de la porte et m'invita à entrer. Le parquet était couvert d'un fin tapis de foin tressé. Une petite table basse, au centre de la pièce, était occupée par une vasque en céramique, un pot à eau, un linge soigneusement plié et un petit morceau de savon. Dans le coin à gauche se trouvait un épais matelas, sans sommier, assez grand pour deux personnes et couvert d'un drap. Il n'y avait pas d'oreiller et une simple couverture en laine. Il n'y faisait pas froid mais il n'y faisait pas bien chaud non plus. Une fenêtre à côté du lit était la seule source de lumière, et celle-ci déclinait à cause du temps. Fort heureusement, il y avait une cheminée privative sur la droite, dont le conduit était sans doute partagée avec une cheminée de l'autre côté du mur.
La femme me demanda si ça me convenait, me proposa un prix que je jugeai trop élevé, sans avoir pour autant le courage de le négocier, et je la congédiai. Je fis un peu de place sur table basse, déposai mon sac à côté et mon arc contre le mur à côté du lit. J'ôtai mon manteau, que j'étalai au sol pour le faire sécher, à défaut d'avoir une chaise, puis mon heaume, entrepris d'enlever mes cuissardes, de mon par-dessus de mithrill et me débarrassai enfin de mon corset. Soulagée, j'inspirai un grand coup et attendis patiemment que la femme revienne. Elle ne mit pas longtemps à frapper à ma porte, un panier de bois mort au bras. Lorsque je lui ouvris, elle battit des paupières avec surprise un bref instant. Se tenait devant elle une elfe fatiguée à la longue crinière blanche, parée de fabuleux bijoux et pourtant vêtue d'un pantalon on ne peut plus banal et d'une chemise blanche d'homme. Comme si de rien n'était, je lui souris chaleureusement et lui fis place. Elle se précipita devant l'âtre et s'affaira à y allumer un bon feu. Elle semblait fébrile. Une fois que des flammes eurent commencé à crépiter dans le foyer, elle ajouta quelques bûches et sortir du panier un flacon contenant un liquide sombre.
- Je vous ai ramené de l'huile, précisa-t-elle en posant le flacon sur la table basse. Pour le bain, il faudra se rendre dans la salle de bain située au rez de chaussée, ajouta-t-elle précipitamment.
Elle s'inclina subrepticement et attendit manifestement que je l'invite à poursuivre. Je fronçai les sourcils.
- Quelque chose ne va pas ?
Elle s'agita et s'empourpra.
- Oh je suis navrée ! C'est que je ne m'y fais pas... Nous sommes habitués aux marchands, aux visiteurs, mais c'est que ces temps-ci il n'y a plus grand monde et que nos rares clients nous viennent de bien loin. Elle releva les yeux, me dévisagea un instant, puis les baissa en s'empourprant de plus belle. Tous ces guerriers, ces mercenaires, ces chevaliers, ça devrait nous rassurer mais ça ne fait qu'inquiéter davantage tout le monde. Ils ne laissent pas entrer n'importer qui... Nous savons si peu de chose sur ce qui se passe, voir quelqu'un comme vous, un guerrier d'une telle prestance, venir des lointaines terres elfiques à l'autre bout du continent...
Je tiquai.
- Je ne suis pas un guerrier, pas plus qu'un soldat, je vous rassure, et je n'ai pas été envoyée ici en tant qu'émissaire. J'ai simplement été victime d'une désagréable succession d'événements. Je suis simplement de passage. Je plissai des yeux. Le fait de me traiter de "guerrier" était-il une simple affaire d'utilisation de la langue commune ou me prenait-elle vraiment pour un elfe ? Je n'émis aucune pensée réprobatrice à cette idée, j'avais bien pris son mari pour une femme un peu plus tôt. Vous pouvez toutefois compter sur mes talents d'archère le temps que logerai dans vôtre demeure, madame. J'espérai dissiper tout doute et la rassurer de manière générale.
Elle sembla se détendre.
- Ah, fort bien. Voilà qui est aimable de votre part.
Elle s'apprêtai à repartir mais je l'interrompis.
- Excusez-moi mais... Que savez-vous de la situation actuelle ?
- On dit que des coursiers ont été envoyés vers toutes les grandes villes et qu'il y a bien plus de courriers échangés que d'ordinaire, marqués du sceau de la milice, répondit-elle après une hésitation. Il y a des rumeurs, dont on ne sait si ce ne sont que des affabulations d'ivrognes ou des informations qui se seraient échappées de la milice... Les hommes parlent, vous savez, quand ils ont un peu bu, et... Elle fit la moue. Il paraîtrait qu'Oaxaca a prévu d'attaquer la ville. Si c'est vrai, comment se fait-il que nous le saurions ? Elle n'a pas envoyé de pigeon messager pour avertir les troupes si vous voulez mon avis.
J'acquiseçai.
- Ses troupes ont été repérées quelque part ?
La dernière fois que je l'avais vue, elle n'était pas si loin, il faut bien l'avouer, mais je n'avais pas vu de troupes... Hormis celle d'Hrist, mais ce n'était pas avec une poignée de Garzoks qu'elle risquait de faire main basse sur Oranan. Peut-être était-ce d'elle que les rumeurs parlaient, après tout. Mais pourquoi tant de précautions ? Était-elle plus dangereuse que je ne l'avais imaginé ? Il y avait bien le dragon, que j'avais vu d'un peu trop près à mon goût, auquel cas des murailles et des gardes ne pouvaient pas servir à grand chose...
- Pas que je sache... Les mots parlaient d'eux-même. Les gens débattent de la manière dont Oaxaca prévoit de raser la ville mais dans le fond personne n'a la moindre idée de ce qui se passe.
- Personne, ce n'est pas tout à fait exact... grommelai-je. Je réfléchis, me rappelai la présence de la femme, la gratifiai d'un sourire et d'un signe de tête et elle quitta la pièce.
Mon manteau se retrouva bientôt étalé devant la cheminée, distance respectueuse, pour mieux sécher. Je tâchai de pas m'installer devant les flammes, au risque de me mettre à somnoler et perdre toute motivation de redescendre. Assises en tailleur devant la table basse, je débouchai le flacon qu'elle m'avait laissé et me mis à huiler précautionneusement les plaques métalliques de mes bottes avant de les essuyer d'un pan de ma chemise, qui devait de toute façon se faire laver. Je répétai l'opération avec mon casque, les pointes de mes flèches et mon mithrill subit le même traitement bien que théoriquement moins sensible au problème de la rouille.
Ceci fait, j'emportai le morceau de savon, la serviette et redescendis dans la salle principale, de simples chausses aux pieds. L'homme, ce dénommé Namuki, ou quelque chose dans ce goût-là, se tenait derrière le comptoir. Quand il me vit, il me fit signe de passer derrière le rideau. Je me retrouvai dans un petits couloir. Sur la droite, une porte ouverte menait à la cuisine. Un bruit d'eau qui bouillait à gros remous venait d'un peu plus loin sur la gauche. La porte était aussi ouverte et donnait sur une petite salle couverte de dalles désagréablement froide avec pour seul mobilier un grand baquet en métal, un tabouret en bois et un haut miroir posé à même le sol. A l'opposé de la porte, de l'autre côté du baquet, la femme décrochait avec difficulté une marmite de la crémaillère.
- Ah ! J'allais aller vous chercher.
Elle posa la marmite contre le baquet et se servit de cet appui pour la faire doucement basculer et verser son contenu. De grosses volutes de vapeur s'en échappèrent et des éclaboussures me parvinrent. En m'approchant, je vis que la baquet était déjà bien remplis. Je libérai ma main droite et goûtai l'eau. Elle était tiède. Avec quelques remous un peu plus chaud. Je fis une moue approbatrice.
- Bien, je vais vous laisser. Vous n'avez qu'à laisser vos affaires à côté de la porte, je reviendrai les chercher dans un instant et vous les laverai.
J’acquiesçai et elle me quitta. J'ôtai la chemise, le pantalon et les laissai près de la porte, comme l'aubergiste me l'avait indiqué. J'hésitai à ôter le collier de Yuia, les bagues et y renonçai avant de me plonger dans le bain. Je glissai dedans comme sur un nuage et soupirai d'aise. J'aurais dû demander un peigne. Je m'engloutis dans les profondeurs de la baignoire, mes cheveux formant des boucles éthérées, ondulant avec langueur dans ce petit univers de douceur. Je ressortis la tête de l'eau. je frissonnai. Il faisait frais dehors. Mais c'était d'autant plus agréable. Je sortis un bras, pris le petit savon, et commençai à me laver.
La porte s'entrouvris.
- Tout va bien ?
- Tout va bien, merci.
Des bras passèrent pas l'embrasure et emportèrent mes vêtements.
Je passai un long longtemps à dénouer mes cheveux et me frictionnai avec force chaque parcelle de peau pour me débarrasser des dernières traces de mes mésaventures. Un sentiment de bien être m'envahit. Puis la faim se rappela lentement à moi.
_________________ Sinaëthin Al'Enëthan, alias Silma, Héraut de Yuia, hiniön lvl 21
Dernière édition par Siiwih le Ven 22 Mai 2015 21:13, édité 1 fois.
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