Sortis de l’Auberge du Pied-Levé, j’entraîne Hrist vers une zone plus déserte de la Cité de Tulorim. À cette heure de la nuit, d’aucun diraient que la capitale du pays de Wiehl est dangereuse et mal famée dans les plus sombres quartiers, mais c’est confiant que je m’y promène, l’entrainant vivement à ma suite. Qui oserait attaquer un tel duo : un demi-dieu à la renommée souvent sanguinaire et aux hauts faits guerriers et une dangereuse elfe grise qui, si elle n’est pas aussi connue que moi, inspire clairement la crainte quand on la voit. Et puis bon, on a déjà croisé un envoyé d’Omyre ce soir. Une seconde occurrence d’une déplaisante rencontre me semble tout à fait à bannir.
Et à raison : nous arrivons rapidement à un terrain vague, un peu à l’écart de la cité, en contrebas du vieux moulin brassant le grain récolté plus tôt dans l’année pour fournir les boulangers de tout le royaume. C’est là que, relâchant mon étreinte sur la main de ma compagne forcée, j’opère la transformation tant attendue. Une première, sur ce monde, au final. L’exercice de mes nouveaux pouvoirs. Étaient-ils exclusifs à Elysian, ou m’ont-ils suivis ici, chez moi ? C’est rapidement que je le découvre : je les possède toujours. Et en quelques secondes, je prends l’apparence d’un
dragon majestueux, au corps d’argent et au dos et extrémités de la couleur du sang. Aux yeux d’or et aux cornes affutées. Une bête à l’apparence aussi noble que dangereuse. Sans attendre, je déploie mes larges ailes et penche ma tête saurienne vers l’elfe grise, l’invitant à grimper sur mon cou. C’est d’une voix grondante que je m’adresse à elle, non content de l’effet ainsi créé.
« Installez-vous, très chère. »Aussitôt placée et solidement arrimée à tout ce qu’elle peut accrocher, je déploie mes larges ailes membraneuses et les agite pour me soulever de terre, faisant tout autour voler la poussière. Dans le ciel nocturne, que j’atteins rapidement, nul œil ne viendra m’apercevoir, sauf peut-être celui curieux d’un amateur de la lune et des étoiles, qu’il verra se couvrir le temps de mon passage par une sombre silhouette. De quoi alimenter quelques rumeurs, légendes et histoires de coins de comptoir.
Le vol, entraîné sur Elysian, je le maîtrise maintenant à la perfection. C’est de manière fluide et vive que je prends la direction de la République d’Ynorie, au nord. Je laisse mes puissantes ailes nous mener dans la nuit à une vitesse vertigineuse, surplombant d’abord l’océan, et ensuite les landes lointaines du Royaume Kendrans. Je peux apercevoir sous moi les lueurs de plusieurs bourgs et cités, sans même songer m’y arrêter. Ainsi, c’est en à peine une heure que je surplombe ma forteresse d’Ynorie, descendant pour en montrer à Hrist les
abords imposants. Après un tour large des environs, je m’approche de la fastueuse demeure et atterrit avec souplesse dans la cour de l’endroit, planquée derrière les deux principaux corps de bâtiment.
La réaction sur place ne se fait pas attendre, et bien vite, de nombreux gardes en livrée écarlate viennent nous entourer, menaçant nos êtres de leurs lances et hallebardes finement ouvragées. Les Gardes de la Rose, employés par le Temple des Plaisirs, préservent toujours ma forteresse des indésirables. Je leur sais gré de leur courage, de leur abnégation. Combien en faut-il pour faire face à un dragon ?! Ils nous encerclent, certes, mais ne bougent pas d’un iota avant qu’un individu se démarquant clairement d’eux fasse irruption dans la cour, nous apostrophant avec emphase.
« Qui que vous soyez, sachez que vous êtes ici sur une propriété privée. Veuillez décliner votre identité sans plus attendre. »Je reconnais sans peine l’
elfe qui nous apostrophe. Onyx, ce membre des Amants à qui j’ai confié la garde de ma demeure. Il semble œuvrer en ce sens avec zèle. Il nous fixe de ses inquiétants yeux brumeux. Un shaakt. J’espère que Hrist n’en prendra pas ombrage. Sans plus tarder, laissant toutefois la sindel descendre de mon dos, je reprends une apparence moins singulière, quoique non moins impressionnante : la mienne, tout en le fixant du regard. Ses yeux semblent sortir de ses orbites quand il me reconnait. Je prends le devant sur sa réaction.
« Voici longtemps que je n’ai mis les pieds ici. Tellement que tu ne me reconnais même plus, cher ami. »Il semble prendre le pli et sa surprise se mue en amusement impressionné.
« Messire Cromax ! Maître Pourpre. Si ce n’est pas là une surprise ! »Poli, je fais les présentations, alors que d’un geste vif, il renvoie les garde à leur poste initial.
« Hrist, voici Onyx, un vieil ami qui régit pour moi les choses ici. Onyx, voici Hrist. Nous passerons la nuit ici. »Il salue avec diligence et commente, regardant l’elfe dans un premier temps, et moi dans un second.
« Enchanté, ma Dame. Dois-je vous faire préparer un diner ? »Je secoue la tête.
« Non, non, c’est bien gentil. Fais juste en sorte que des chambres soient prêtes à nous accueillir. Tu y feras aussi monter une collation, au cas-où. »Il lève un sourcil, opinant du chef, mais commente encore, moqueur :
« Vos chambres ? Bien, ce sera fait. »Je lui envoie un regard faussement réprobateur. Il fait volte-face et me laisse seul avec Hrist, à qui j’adresse un sourire.
« Bienvenue chez moi ! La Roseraie sera plus visible demain, à l’aube. Mais si tu veux, je peux te faire un tour du propriétaire. Ou toute autre activité que tu aurais envie de faire… J’ai une fort belle salle d’armes, si jamais tu souhaites te mesurer à moi… En toute amitié, bien sûr. »Et je lui fais un clin d’œil, attendant sa réponse.