Retour au port. Les cloches n’avaient pas encore sonnées les douze coups de minuit lorsque j’arrivai en vue des quais. Je bénéficiai dès lors d’une heure, estimai-je, avant le rendez-vous fixé. Une heure, c’était court… A vrais dire que ce fut une heure ou un jour, cela aurait toujours été trop court. L’appréhension revint me hanter l‘âme. Une banale mission, me répétai-je. Je tentai sans grand succès à me persuader que je n’étais plus un novice, et que sans être un vieux briscard j’avais déjà accumulé une solide expérience qui me permettrait de faire face à n‘importe quelle situation. Chaque mission tendait à se ressembler les unes des autres, et pourtant aujourd’hui il y avait quelque chose…de différent. Je serrai dans ma poche le livre que j’avais acquis à la bibliothèque comme si il s’était agi d’un talisman. L’envie de l’ouvrir pour en lire son contenu fabuleux me brûlait. Il dissiperait mes sombres pensées, chasserait mes doutes pour ne laisser place qu’à un sentiment extrême d’évasion, de liberté. Je me fis la réflexion, non sans sarcasme, qu’il était comme une sorte de livre religieux pour moi. Ironique pour celui qui ne croyait en rien. Je réprimai cependant cette idée, ce n’était pas raisonnable, pas maintenant. Sans m’en être rendu compte, je demeurai immobile dans la rue, ce qui pouvait être considéré comme imprudent dans une ville comme Tulorim à une heure si tardive. Fort heureusement personne ne se trouvait dans les environs pour apprécier mon étrange conduite. Je repris mon chemin et comme je n’avais rien à faire en particulier, je me mis à déambuler sur la rade sans but précis. Quelques bateaux étaient à quai où s’activaient leurs équipages respectifs, mais dans l’ensemble le lieu était calme et avait perdu l’effervescence qui lui était propre en journée. Je regardai le va et vient des hommes afférés à décharger les cargaisons des navires mais me lassai vite du spectacle répétitif, continuant mon chemin vers les docks.
« Neuf…dix…onze… »
J’arrivai bientôt sur les lieux où on m’avait appelé, au dock numéro quinze. Minuit ne devait plus tarder à sonner maintenant. Il faisait sombre, très sombre si bien que je ne vis rien au-delà de deux mètre. A cet endroit le port était très peu éclairé. En outre, le dock du rendez-vous fut le seul à ne pas être doté de lumière. Je supposai que cela n’était pas dut au hasard. Je fermai les yeux, pris une grande inspiration et chassai les mauvaises pensées qui m’assaillaient. Je m’efforçai à me rendre impassible et détendu, comme le gars confiant à qui on ne la faisait pas. Rester maître de soi était une condition nécessaire à la survie dans le milieu ou j’évoluais. Et j’y serai parvenu totalement si cette foutue main ne s’était pas mise à trembler.
(C’est pas le moment put… Pas maintenant…)
Des pas se rapprochèrent de ma position, dans la direction opposée d’où je regardai. Instinctivement je portai la main sur le pommeau de mon arme, paré à toutes éventualités.
« ‘Lut Cor. »
C’était la voix de Neil. Je me retournai pour lui adresser un signe de tête. Mon compagnon avait l’air tendu, quelque chose de toute évidence le mettait mal à l’aise ce soir lui qui d’habitude était plutôt enclin à la rigolade.
« Alors c’est toi qu’ils ont fait venir…Sale histoire si tu veux mon avis… »
Je lui fis par de mon incompréhension même si, en mon for intérieur je savais déjà que quelque chose ne tournait pas rond.
« On ne m’a pas dit de quoi il en retournait Neil, on m’a juste demandé de rappliquer ici. Tu veux bien m’expliquer le topo. »
Neil ne parut pas surpris.
« C’est bien dans leurs habitudes ça… Moins t’en sait mieux tu te porte, c’est ce qu’ils se disent. Mes avis qu’ils pensent ça plus pour eux que pour toi. On est dans la merde Cor’. L’autre jour deux gars à nous devaient faire une descente chez un client qui avait été disons, incorrect, histoire de lui rappeler les bonnes manières tu vois. Sauf qu’on était plutôt mal renseigné sur le gars en question, il n’était pas du genre à se laisser marché dessus. On a revu nos deux gars le lendemain matin allongés sur le pavé, raides mort. Ça à pas plus au chef ça. Il voulait pas en rester là, tu l’connais, alors il a monté un plan pour enlever le bonhomme. L’ennui c’est que ce dernier a engagé une sorte de milice pour le protéger. Pas la milice de la ville non, des particuliers. On les avaient jamais vu en ville avant, bougrement discrets, et savent se battre. »
« Et nous on a quoi à voir dans l’histoire ? »
« Justement, on a quand même réussi à le choper, avec du mal, mais on a réussi. On le garde bien au chaud là à l’intérieur. Mais y’a un autre problème. Après l’avoir un peu cuisiné on a découvert qu’il avait des contacts en ville, des contacts important, et que ceux-ci verraient d’un mauvais œil la disparition d’un de leur pote… »
« C’est quel genre de contact qu’il a notre homme ? »
« Du genre à déclencher une petite guerre civil entre clans à Tulorim…rien que ça. Et l’chef peut pas tolérer ça, on n’y sortirait pas gagnant. Alors voilà, on a un prisonnier sur le dos, qu’on peut ni tuer, ni relâcher. »
Ça sentait vraiment mauvais pour nous. Même si je n’avais fondamentalement aucune attache pour l’organisation, une guerre ouverte réduirait considérablement mes chances de survie. Et j’estimais que ma vie valait mieux qu’une bande de malfaiteurs.
(Je crois mon cher Cornélius qu’il est temps de prendre les voiles…)
Mais pas tout de suite. Je devais trouver une ouverture, hors pour l’instant j’étais coincé, je ne pouvais que fuir. Quelque part je trouvais mon comportement des plus lâche, mais je n’étais pas prêt à mettre ma vie en balance. Les enjeux n’étaient pas assez importants.
« Et maintenant on fait quoi ? »
Neil, je ne m’en étais pas rendu compte tout de suite, me fixa, intensément, comme si il devinait mes intentions. Mais si tel fut le cas, il ne m’en fit pas part.
« Pour l’instant on va rejoindre les autres à l’intérieur. Tout le monde est un peu tendu après ce qui c’est passé. On craint une attaque à tout moment. »
Quittant les quais, nous pénétrâmes dans le hangar. L’intérieur de celui-ci était des plus sombre, et je compris pourquoi. Les occupants voulaient rester discret autant que possible. Quelques lanternes seulement étaient allumées, éclairant ce qui était nécessaire de voir, c’est-à-dire peu de chose. La plupart des personnes présentes, une dizaine au total, n’étaient que des silhouettes, si bien que je ne reconnu personne au premier regard. L’atmosphère était tendue. Aucun mot ne vint saluer notre arrivée. Sans attendre, Neil se dirigea vers le fond du bâtiment. Je le suivis. Là, une lanterne se balançait à une poutre solitaire. Elle n’éclairait cependant rien de significatif, me fis-je la réflexion. Ce n’est qu’après un examen plus attentif que je vis les tâches de sang sur le sol. L’endroit où le prisonnier avait été cuisiné. Des yeux je cherchai sa localisation, mais ne le vis pas. J’allai inspecter la pénombre alentour sans plus de succès. Je retournai alors dans le cercle de lumière offert par la lanterne. Neil quand à lui se trouvait encore dans l’ombre, si bien que je le distinguai mal.
« Où est le prisonnier dont tu m’a parlé ? Il devrait bien être là non ? » Demandai-je à Neil.
Mais nulle réponse ne me parvint.
« Neil ? »
Je ne compris que trop tard. Il n’y avait jamais eut de prisonnier, et avant que je puisse tenter quoi que ce soit, un coup violent me fut porté à l’arrière du crâne. Je m’écroulai au sol, la douleur m’envahissant. J’essayai de me relever, pour retomber aussitôt. Ma vision se brouilla peu à peu. Avant de sombrer dans l’inconscience, je réussi à articuler :
« Pourquoi…? »
J’entendis une voix lointaine me répondre :
« On sait tout Cor’, on sait tout sur ton vieux… »
Et le noir s’empara de moi.
_________________ Cornélius, Humain, Guerrier

"I must not fear. Fear is the mind-killer. Fear is the little-death that brings total obliteration. I will face my fear. I will permit it to pass over me and through me. And when it has gone past I will turn the inner eye to see its path. Where the fear has gone there will be nothing. Only I will remain."
The Fear Litany, F.H.
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