Je suis tendu, agacé par la douleur causée par la crampe, et dégouté par ma posture. Je suis tout de même perché comme un familier sur l'épaule d'un géant ! J'ai l'impression d'avoir fait un bond dans le passé. Il ne manque guère que le ruban à ma cheville pour achever la reconstitution. Je pousse un souffle court, me retrouvant obligé de m'asseoir pour ne pas être déséquilibré. Plus la ressemblance avec mes souvenirs s'accentue et plus je me sens irrité. Il faut que je me calme, sans quoi mon esprit ne parviendra pas à se concentrer convenablement.
Je tente alors de masser mon muscle endolori, la sarbacane coincée entre mes cuisses, quand j'entends d'un coup Hekell se demander à voix haute pourquoi je déteste autant colosses et femelles. Sourcils froncés, je lâche un commentaire cassant, issu de l'accumulation de la sensation désagréable et de mon amertume.
"
J'ai mes raisons !"
Mon perchoir vivant, après avoir pris une bille d'eau, s'engage à la suite du pillard dans ce qui apparait comme un long couloir. Une fois le mur d'eau franchi, je me rends compte que je suis de nouveau humide, et ne me gêne pas pour secouer férocement ma crinière blonde. En remarquant l'étroitesse du passage, mon désir de liberté s'amplifie, mais tant que la peine de mon membre de plume persiste, je ne peux pas reprendre mon envol. En prendre de nouveau conscience m'agace au plus haut point.
"
Tch !"
Tandis que Hekell s'avance, je lui jette un bref coup d'oeil. Ce n'est pas ma colère pour tout ce qui me tombe dessus qui m'intrigue, mais le fait qu'une fine pointe s'est enfoncée dans ma poitrine quand je l'ai envoyé sur les roses. Il n'y a pas le moindre doute, je couve quelque chose. Je ne vois pas ce qui pourrait m'affecter en-dehors d'une maladie.
Je demeure silencieux quelques instants, pensif. Je songe à ce qui a fait naître cette haine pour toutes ces créatures, et en esquisse un sourire amer. Le shaakt veut savoir ? Soit ! Après tout, quelles sont les chances que nous nous recroisions un jour à l'extérieur de ce conte ? Reportant mon attention sur les géants qui marchent devant nous, je décide de rompre le silence.
"
Comment peut-on ne pas détester ceux qui vous ont traité presque toute votre existence avec moins de considération qu'envers un insecte, juste parce que vous faites le dixième de leur taille ? Ils peuvent crever, et si c'est par ma main, cela leur servira de leçon !"
Je me retiens de justesse de cracher mon amertume, mais serre les dents et fronce les sourcils. Je tourne alors mon regard vers Hekell, sentant le mépris lié à une sourde douleur intérieure se matérialiser sur mon visage. Je grimace en un sourire forcé et peiné. J'ai horreur de me remémorer mon passé, mais je m'adresse à un être particulier, le seul colosse que je ne parviens pas à détester. En tous cas, pas pour le moment. J'enchaine.
"
Et quid des femelles ?"
À mesure que mes mots sortent, mes poings se resserrent et ma mâchoire se crispe.
"
Ce sont des garces qui te surveillent, tentent de contrôler tes moindres faits et gestes, t'humilient ou t'exhibent comme un trophée. Et ce, en permanence, parce que tu n'es rien de plus qu'un outil servant à la procréation à leurs yeux !"
Mon amertume croît, rendant mes paroles cassantes.
"
Quoi que tu fasses, quels que soient tes efforts, elles ne t'accorderont jamais la plus petite valeur. Et même lorsque la vie d'un de leur précieux mâle est en danger, ces chiennes ne lèvent pas une aile pour le secourir !"
Je baisse un peu la tête.
"
C'est moi, et moi seul, qui me suis sauvé de ma prison. Toutes ces créatures ne méritent que mon mépris et ma haine."
Peu importe le nombre d'années qui s'est écoulé depuis mon enlèvement, la friction du sac de cuir est imprégnée au plus profond de ma chair. Je les hais. Je leur en voudrai jusqu'à la fin de mon existence, et même si je parviens à les tuer, je cracherai sur leurs cadavres avec cette même hargne. Je pousse un lent souffle, finissant par plisser les yeux en scrutant le profil de l'elfe sombre.
"
Oui, je les déteste, et quand bien même j'aurais la patience ou la folie de leur accorder une chance, je suis certain d'être déçu et blessé en retour. Tu as bien vu ce qu'il s'est passé avec l'abrutie à la pelle. Cela n'en vaut pas la peine."
J'esquisse un maigre sourire, mais davantage chargé d'impuissance que de rancune. Je secoue vivement la tête, songeant qu'avoir laissé ce poids sortir me soulage partiellement de mon irritabilité. L'elfe teinte nuit n'a probablement rien à faire de ce que je lui ai raconté, mais au moins mon surplus de colère est déchargé.
D'un coup, la guide s'arrête, nous indiquant de traverser un mur sur notre droite. Le pillard marque une brève hésitation avant de s'engager. Je hausse brièvement un sourcil, puis palpe mon bagage, en songeant à la perle d'eau. Si cela se trouve, il s'agit d'une sorte de clé permettant de se mouvoir librement dans ce labyrinthe aqueux.
Je replie et déploie alternativement mes ailes, sentant la gêne de la crampe quasiment disparue. D'ici peu, je devrais pouvoir reprendre mon vol.