Poupée briséeTout était lourd, pesant. Elle ne parvenait pas à ouvrir les paupières, ni à bouger les doigts... C'était comme si elle était bloquée, comme si tout son corps ne lui répondait plus, comme si elle était paralysée. Mais tout n'était pas vide, et ses oreilles entendirent l'araignée bleutée pousser un juron. Que lui arrivait-il ? Elle ne pouvait rien faire.
Elle voulut demander des réponses à la voix qui la guidait mais ne put bouger les lèvres. Elle sentait, entendait, mais était dans l'incapacité de bouger.
La poupée brisée commença à sentir la panique l'envahir, et elle redoubla d'effort pour bouger. Mais soudain, quelque chose l'interrompit, une odeur, connue, méprisée. L'odeur du gouffre qui l'habitait, l'odeur de la mort d'un être cher. L'odeur des flammes léchant le bois, rongeant le corps d'un Aniathy.
Evangelina sentit la colère se mélanger à la panique. Elle aurait voulut crier, hurler même, alors que les atroces images de la perte de Larhe défilaient devant ses pupilles, sans fin...
Puis elle voulut pleurer. Elle sentit les larmes qu'elle savait scintiller d'une belle lueur bleutée couler sur ses joues. Il était partit. Il lui fallait le retrouver, le faire revenir pour enfin retrouver le bonheur qu'elle vivait avant. Elle n'en avait plus que faire d'être humaine, plus que faire du reste du monde. Elle voulait Larhe, lui et uniquement lui. Et elle brûlerait le monde s'il le fallait.
La colère brulait en elle, la haine qu'elle ressentait consumait chacun des quelques sentiments qu'il lui restait. Que ce passez-t-il ?
Puis, sans raison apparente, tout s'illumina. Elle n'avait pas ouvert les yeux, elle ne pouvait toujours pas. Mais elle voyait, un éclat à la fois très clair, mais nimbée de ténèbres. Une lumière d'une impureté parfaite, comme un amour souillé, une vierge abusée... La poupée brisée ne parvenait pas à interpréter cette lumière, à lui donner un nom. C'était une lumière vaporeuse, presque de la brume, ou le blanc et le noir se mélangeait sans donner du gris, se mélangeaient tout en restant séparés.
Puis apparut une femme, belle et mature, le regard emplit de sagesse et témoins d'une vie pleines de tourments, témoins d'un mal qui se veut sage mais qui n'a ni morale ni éthique... Evangelina connaissait ce mal, elle ne le connaissait que trop bien.
"Je suis Neïmenn, fille de Nyx et d'Erèbe. Tu possèdes quelque chose de puissant, peut être de trop puissant même. Et tu ne sais pas l'utiliser."Les cheveux sombres et longs de l'inconnue voletaient dans le vent, leur finesse contrastant avec l'imposante armure aux enluminures torturées que portaient leur propriétaire. Qui était-elle ? Que lui avait-elle fait ? Et pourquoi l'avait-elle fait ?
"Tu as de nombreuses questions, j'en possède les réponses. Tu es coincée ici, même moi ne peut y entrer seule. Sors, libère-toi, et retrouve moi. Tu sauras me rejoindre. Trouve une île, comme une dent de requin. Je t'y attendrai."Sa voix était à la fois très monocorde et pleine de chaleur. Elle respirait l'âge ancestral et la fougue de la jeunesse. Mais qui était donc cette femme ?
"Ici je ne suis qu'une illusion, une mise en forme de ce qui t'habite pour te mener à moi. Suis ta vengeance, laisse-la te guider, et tu me trouveras. Je suis là ou la juste colère règne, et où le sang des impurs souille le sol nacré des puretés souillées."La prénommée Neïmenn tendit son bâton vers le visage de la poupée qui voulut bouger, mais en vain. Elle avait peur, mais elle était complètement à la merci de cette femme énigmatique, de cette illusion sans consistance.
"Je suis comme toi. La vie ne nous habite pas, nous sommes vides, et on nous a retiré ce qui pouvait nous rapprocher de cette humanité qui nous manque tant. Tu es brisée, presque détruite. Ton enveloppe mécanique ne tiendra pas longtemps si tu continues comme ça. Je sais qui peut te réparer, et même te rendre plus résistante. Rejoins moi, et tu renaitras pour accomplir ton souhait."La pointe du bâton, stylisé à la manière des arbres et du lierres, avec deux lames en formes de feuille, toucha le front d'Evangelina qui sentit une intense chaleur. Brève mais intense. Puis tout disparut.
Chiros
_________________
Les dieux ne sont qu'enfants, inconscients et inaptes. Ils souffriront comme j'ai souffert, perdront à jamais leur pouvoir et erreront, comme jamais personne n'avait encore erré. Ils pleureront, remplissant les mers, et saigneront, car tel est le sort que je leur réserve, car enfin ils vivront ce qu'ils ont fait vivre...
Merci à Itsvara
« Les hommes ne sont pas nés du caprice ou de la volonté des dieux, au contraire, les
dieux doivent leur existence à la croyance des hommes. Que cette foi s'éteigne et les dieux meurent. » Jean Ray