AcceptationEvangelina s'arrêta presque instantanément. Elle qui croyait tomber sur un duel perdu d'avance se retrouva devant une scène toute autre. Hailindra était debout, immobile, presque tétanisée. Elle ne semblait pas savoir quoi faire, ne pas pouvoir réagir.
Le regard de l'Aniathy ne s'attarda pas et se dirigea vers la gauche pour y voir un nain, bourru, portant une hache typique de sa race et qu'elle même n'aurait sûrement pas pu soulever. Elle pensa à sa dague, qu'elle serrait toujours depuis le combat contre la chauve-souris, et se dit qu'il ne fallait sûrement pas affronter cet adversaire de face.
Puis son regard se porta sur la petite fille qui gisait sur le sol. La poupée brisée ne put s'empêcher d'écarquiller les yeux devant la blessure béante qui traversait le dos de la fillette... et devant le sang qui s'en écoulait. Il y eu un instant de latence, un instant durant lequel Evangelina n'entendit plus rien, ne fit plus attention à rien. Un instant durant lequel tout son esprit était focalisé sur les effluves de vie et de douleur qui atteignaient ses narines. L'odeur était forte, enivrante, et exquise.
(Qu'est-ce qu'il te prend ?)Evangelina ne répondit pas. Quelque chose la gênait dans ces odeurs, quelque chose d'inhabituel. Dans sa tête défilèrent les images de Cuilnen, toujours les mêmes. Ces meurtres, cette douleur, la peur et le sang... La peur !
La poupée rouvrit les yeux qu'elle avait inconsciemment fermé et regarda la petite fille agonisante. Elle n'avait pas peur. Elle allait mourir mais n'avait pas peur.
Elle fronça les sourcils alors que la victime du nain disait être l'héritière, affirmant qu'ils ne pouvaient pas la tuer. De quoi parlait-elle ? De quoi devait-elle hériter ? Elle ne comprenait pas vraiment, et cela l'intriguait. Peut être pouvait-elle l'aider à sortir d'ici ?
L'Aniathy soupira et ferma les yeux quelques instants, essayant de se ressaisir. La haine dans la voix de la petite fille était discernable sans difficulté. Son regard en disait tout aussi long sur son désir et elle ne semblait pas craindre de mourir. Elle n'hésiterait pas à sauter sur toutes les occasions pour tuer qui que ce soit.
Mais d'un autre côté Evangelina sentait son esprit embrumé, presque anesthésié par ce sang qui se répandait, ce liquide vital qui quittait le corps de sa propriétaire pour s'étendre sur la pierre nue et humide.
(Calme-toi.)Mais elle ne pouvait pas. Dans sa tête défilèrent des souvenirs, douloureux et triste : la mort de la Larhe, la trahison de Fear, son propre effondrement... Le gouffre en elle se réveilla. Il lui fallait la douleur, il lui fallait le sang, il lui fallait la peur...
Lorsqu'elle rouvrit les yeux, ce n'était plus le même regard qu'elle portait à la petite fille.
(Tu es pire que Pandore... Ca l'a mené à sa perte !)Elle n'en avait cure. Elle ne savait pas qui était Pandore. De toute façon, elle ne savait pas assez de chose pour expliquer tout ce qui l'entourait. Elle était perdue dans un monde qui ne voulait pas de Larhe, dans un monde qu'elle ne voulait pas voir exister...
Elle fit un pas en avant, puis s'arrêta. Le regard de la petite fille était sans équivoque : si elle l'approchait, elle l'attaquerait. Mais que pouvait-elle vraiment lui faire ? Elle était à deux doigts de la mort, et elle a deux pas du bonheur... Du moins de la satisfaction de son malheur.
Elle avança d'un pas encore et s'immobilisa de nouveau.
"De quoi hérites-tu ? Il n'y a que la mort qui t'attend ici..."Elle la regarda de son regard froid et affamé, de ce regard sombre que la mort de Larhe avait emplit de haine. La poupée brisée s'accroupit et posa ses doigts sur le sol, les plongeant dans ce sang frais auquel elle ne pouvait résister. Puis elle porta ses doigts à ses lèvres.
Elle se sentit d'un coup mieux. Du moins sur le moment, les sensations de sa langue glissant sur ses doigts ensanglantés, le liquide rouge vif coulant sur son poignet et sur ses lèvres. Elle sentait la vie qui disparaissait, la douleur que cela engendrait. Elle sentait sa folie se rassasier, son cœur renaitre un instant... Cela lui parut durer à la fois des siècles et à peine une seconde.
(Tu es folle...)Mais très vite cela s'évanouit, et le manque revint. Elle rouvrit alors les yeux, son regard plongeant dans celui de la petite fille agonisante, juste devant elle.
Et de trois...
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Les dieux ne sont qu'enfants, inconscients et inaptes. Ils souffriront comme j'ai souffert, perdront à jamais leur pouvoir et erreront, comme jamais personne n'avait encore erré. Ils pleureront, remplissant les mers, et saigneront, car tel est le sort que je leur réserve, car enfin ils vivront ce qu'ils ont fait vivre...
Merci à Itsvara
« Les hommes ne sont pas nés du caprice ou de la volonté des dieux, au contraire, les
dieux doivent leur existence à la croyance des hommes. Que cette foi s'éteigne et les dieux meurent. » Jean Ray