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Qu'il est étrange qu'un objet du quotidien soit imprégné de nouveautés. Le morceau de fusain qui m'accompagne depuis toujours, le cuir de ce carnet qui m'est si familier, les pages usées et de plus en plus griffonnées... Il y a encore un mois, j'y croquais les paysages de la tranquille Hidiran et ses habitants qui se ressemblaient. Le papier est le même, mais son toucher me semble maintenant si doux, il glisse sous la pointe de ma mine. Je l'appréhende différemment alors que je l'ai déjà maintes et maintes fois rencontré. Mais quel bonheur de redécouvrir un plaisir comme si on en avait été privé depuis longtemps.
Je refeuilletais mon carnet et d'une page à l'autre, un nouveau chapitre s'est ouvert. Je ressens encore l'appréhension, la fascination, la curiosité et l'envie de découverte qui ont rendu mon tracé fébrile sur les courbes des paysages de mon voyage. La cime des arbres de la vallée, les monts éternellement enneigés qui protègent Hidirain, les chemins tortueux de la descente vers les plaines, la forêt dense précédant Tulorim, la garrigue impénétrable, les plaines arides aux vignes, pêchers et oliviers gourmands,... Les quelques plantes que j'ai pu récupérer au creux de mes pages ne sont que de faibles témoignages des arômes puissants que j'ai pu découvrir, des changements climatiques que j'ai subis, des intempéries dont j'ai été victime.
Je m'amuse à redécouvrir au fil des feuilles le visage taquin du mignon Carino, dont le sourire en coin m'avait donné du fil à retordre, le portrait de sa famille que j'avais rapidement fait la veille de nos adieux. Je ne les remercierais encore jamais assez de m'avoir guider dans ces bois où je me serais perdue mille fois sans eux. Alors que j'errais entre les arbres tous identiques et tous différents, je me suis installée sur une racine, les larmes aux yeux, au bord de la frustration et de l'anxiété. Et c'est la qu'il m'a trouvé. Carino jouait innocemment avec un filet à papillon et d'après ses yeux écarquillés qu'il avait lorsqu'il m'eut aperçu, je me doutais qu'il ne devait pas croisé souvent de nouveaux visages. Malgré cela, ce n'est pas avec les jambes pendues à son cou qu'il s'enfuit, mais il me demanda plutôt la nature de mes pleurs sourds. Et avec toute l'innocence et la pureté que pouvait avoir un enfant, il me tira par la main vers sa maison, une simple bâtisse faite de rondins de bois qui paraissait bien solide. Ses parents d'abord apeurés par un visage inconnu si près de celui de son fils m'ont ensuite adoptée dans leur famille l'espace d'un soir. Nous discutâmes, jouâmes et rigolâmes, tandis que je racontais mon chemin jusqu'ici et mon ancien mode de vie luxueux comparé au leur. Même si j'ai vécu à l'abri du besoin, je n'ai pour autant pas trouver le bonheur ultime ni mon équilibre intérieur. Mais cette famille, malgré la précarité de ses biens, avait leurs visages illuminés de bonheur si bien que l'âtre autour duquel ils étaient réunis semblait bien pâle.
Le visage angélique d'une Taurion trône au milieu d'une page. Je ne connaissais d'elle ni son nom, ni ses origines, ni même le son de sa voix. Je ne l'ai connu que l'espace d'un instant. Alors que je faisais une simple halte dans mon voyage, à l'abri de la pluie dans le creux d'un arbre, des bruits de lamentations attirèrent mon attention non loin de mon abri. Derrière des buissons bien fournis, à l'abri des regards, une belle et jeune elfe verte se tenait avec désespoir contre un arbre puissant et immense, dont la vie semblait avoir quittée son enveloppe végétale. Entre gouttes de pluies et larmes coulant le long de ses joues, la pauvre Taurion avait du mal à quitter son vieil ami, priant Yuimen de prendre soin de son âme. L'émotion de ce moment prit mon âme en otage et peut-être étais-je en train de violer ce moment d'intimité mais mon fusain glissa seul sur les feuilles, traçant les douces lignes du visage de la pauvre esseulée. Je n'arrive même plus à distinguer lesquelles des gouttes d'eau sur le croquis ou de mon tracé sont ses véritables larmes.
Sur ma dernière feuille illustrée se trouve le vieux couple qui m'escorte encore actuellement, deux âmes d'une bonté sans borne que l'amour a forgé avec le temps. J'étais épuisé par mon voyage et je ne suis pas habituée à ces fortes températures qui chauffe ma peau blanche et fragile. Un insistant mal de crâne avait commencé à s'installer, l'eau commençait également à manquer. Je longeais des vergers d'oliviers et de pêchers et c'est leur odeur gourmande qui me faisait avancer. Et ma route fut arrêtée par deux paires d'yeux malicieux, pleins de sagesse. Noka et Rui, tout deux afférés à la récolte de fruits gorgés de soleil, me regardaient avec leur visage témoignant l'inquiétude, et me tendirent une outre d'eau afin de me désaltérer. Je repris brièvement mes forces avant dans les aider dans leur tâche, pendant que nous faisions connaissance. Noka était une femme très chaleureuse, qui semblait prendre à cœur le bien-être des autres. Rui était quant à lui un peu plus réservé mais n'était pas moins attentionné et fit partager le fruit de sa récolte, d'un goût inégalable. Malgré leur âge et la rudesse de leur tâche, ils mettaient du cœur à l'ouvrage et se taquinaient gentiment de temps à autre. Un vieux couple à l'âme d'enfant. Est-ce parce que les humains vivent peu de temps qu'ils peuvent garder cette insouciance ou est-ce un cas isolé ? Pour ma part, je ne suis qu'à l'aube de ma vie et le temps qu'il me reste me paraît si long que je suis déjà lasse et privée de l'insouciance qui rend ce couple si beau. Peut-être que Tulorim, notre destination, me permettra de me délivrer, ne serait ce qu'un instant de ma lassitude. Et je ne désespère pas encore de trouver un endroit où je me sente à ma place et que j'y sois acceptée.
Pour l'heure, les murs Est de la ville sont près et des nouvelles aventures m'attendent.
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Multi de Irina, Shaakte, Fanatique et Hild, Humaine de Wiehl, Archère
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