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Auparavant~
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La matinée suivant l'arrivée de la jeune ynorienne démarre tranquillement. Le milicien Tanigura Hidate a dormi dans la même pièce que moi, une soudaine pluie accompagnée de puissantes bourrasques le dissuadant de rentrer chez lui. Tohru a passé la nuit dans la chambre d'Ayame, et c'est avec une certaine surprise que l'humain et moi les découvrons dans la pièce à vivre, déjà au travail. Par là, j'entends le fait que la magicienne ait pris l'initiative d'apprendre les savoirs de base à l'enfant. Sur un parchemin, des traits peu assurés côtoient l'écriture élégante de la future mère.
Le repas est pris en commun, temps utilisé pour s'enquérir de l'état de l'enfant. À mon grand soulagement, elle a dormi profondément et sans mauvais rêve. D'ailleurs, elle avoue avoir eu un songe plutôt heureux où elle dessinait un arc-en-ciel à l'aide de sa magie. Elle m'apparait encline à reprendre les exercices là où nous les avons laissés, ce qui me fait plaisir. La petite se sent tout de même concernée quand elle comprend que le milicien Hidate se sent un peu laissé de côté. Si je lui enseigne à maîtriser sa magie, et qu'Ayame se charge de ce qui concerne la lecture et l'écriture, le taciturne géant ne semble pas avoir grand-chose à offrir.
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Mon seul point fort, c'est le combat... Désolé."
Tohru frémit un peu, puis elle semble se plonger en pleine réflexion. Elle finit par relever le nez résolument. Là, je retrouve le jeune être décidé, rencontré sur le navire.
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Alors... Alors tu peux m'apprendre à devenir forte ?"
Le milicien oriente son visage vers elle. Je devine de la curiosité dans son attitude.
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Je ne veux pas revoir du sang... Je n'aime pas faire mal... Mais si j'avais su me défendre avant..."
Ses petites mains cherchent à atteindre ses omoplates sans qu'elle n'y parvienne. L'humain me consulte du regard.
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Dans d'autres contrées, on verrait d'un mauvais œil qu'une jeune fille prenne les armes. Mais nous sommes dans un pays en guerre. La décision t'appartient Hidate."
Je n'ai pas besoin d'ajouter autre chose. La fillette affiche un air résolu, même si ses mains agrippent un peu trop fermement son yukata neuf. Finalement, l'ynorien pousse un souffle court.
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Je vois. Je te préviens, je suis un maître sévère. J'attendrai de toi de la discipl..."
Il n'a pas le temps de finir sa phrase que la petite lui offre un sourire radieux qui le coupe dans sa tirade. Elle s'incline avec tout le respect qu'un enfant d'Ynorie est censé avoir appris de sa famille. C'est sur cette note positive et de promesse future que notre quatuor se sépare. Le milicien semble décidé à chercher une arme adéquate pour Tohru, la future mère est allée tenir mon herboristerie tandis que mon élève et moi reprenons notre entrainement.
J'ignore si son rêve l'a inspiré à ce point, mais Tohru met du coeur à l'ouvrage. Elle touche de moins en moins fréquemment mes mains pour s'aiguiller. Il lui faut tout de même du temps pour atteindre son objectif. À plusieurs reprises, elle prend l'initiative de cesser de manipuler son énergie alors qu'elle sent la proximité d'un flash lumineux. J'admire son courage et la soutiens, parfois sans un mot. Je vois son comportement changer peu à peu. Elle comprend que la lumière est une partie d'elle-même, et pas un animal sauvage à dominer et emprisonner.
Les exercices la fatiguant rapidement, je décide de ne pas prolonger les activités au-delà d'une demie-journée. Malgré les pauses où elle se détend avec du thé ynorien, je ne veux pas qu'elle finisse épuisée. Elle est jeune et a encore du temps devant elle.
L'après-midi est consacré à la formation de mon apprentie herboriste, la milicienne Nawakura Ayame. Lui avoir laissé la charge de la boutique lui a fait du bien. Elle possède assez de savoir-faire dans les baumes basiques pour en expliquer la confection à la fillette. Un sentiment de fierté un peu mal placé m'étreint quand je perçois la soif d'apprendre à laquelle je fais face. Une rivalité sans grand danger semble naître entre les deux ynoriennes. Le mortier est toutefois un peu grand pour les mains de Tohru, mais elle se débrouille très bien pour recueillir les fruits séchés de certains plantes.
Ce jour-ci, je leur présente une plante appelée consoude. Je commence par expliquer comment la distinguer. Une tige piquante, une taille variant entre le genou et ma stature, des feuilles rêches au toucher, et une floraison vers le milieu d'année. Bien que certains l'emploient en tisane, mon oncle m'a appris que cette utilisation était peu recommandée car malmenant parfois le foie.
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La partie la plus importante est le lot de racines. Utilisée fraiche, leur pulpe est un puissant cicatrisant. La plupart des maux sur l'extérieur du corps peut être traité grâce à cette plante. Les feuilles ont un pouvoir à peu près identique, mais il faut y ajouter de l'eau bouillante pour obtenir une pâte à employer en cataplasme. "
Je joins le geste à la parole en montrant la force nécessaire pour extraire l'intérieur des racines, en réduisant au maximum la perte de matériau. Quelques questions s'élèvent, mais aucune à laquelle je n'ai pas de réponse. Tohru me confie avoir hâte d'en voir pousser dans le jardin. Il est vrai que si j'en avais à disposition une bonne partie de l'année, cela s'avérerait bien pratique. Dommage que les graines mystérieuses identifiées la veille ne comprennent pas la lettre 'c'.
La journée se termine sans événement notable, si ce n'est le retour de Hidate. Ce dernier présente quelques armes contondantes à la fillette. Un gourdin, une masse, une sorte de marteau et un bâton de bois légèrement lesté à ses extrémités. J'ai du mal à masquer une expression amusée quand elle choisit l'arme ressemblant le plus à la mienne. Ils se font la promesse d'étrenner ce que j'apprends être un "bô" de petite taille après nos exercices magiques. Ayame boude un peu.
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Vous la monopolisez déjà ! Et quand est-ce que je vais pouvoir passer du temps avec elle, moi ?"
Tohru glousse un peu. Je suis soulagé de l'entendre et de la voir faire. J'ai tout de même hâte d'avoir la réponse de Marko à mon courrier. Il est cependant certain qu'aucune des personnes présentes n'est prête à se défaire facilement de cette enfant.
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Le matin suivant, les exercices précédents ayant été maîtrisés, je décide de former la fillette à la matérialisation de sa magie.
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Maintenant que tu sais comment faire bouger ta magie en toi, il faut que tu apprennes à la concentrer en un point."
Tendant ma paume, je fais apparaitre dessus un demi-soleil immobile. Je lui explique qu'elle doit ramener la chaleur en un seul endroit de sa main, et la garder sous contrôle. Si elle la pousse vers l'extérieur, seule une tache lumineuse se manifestera sur sa main. Il lui faut paradoxalement la placer au plus près de sa peau, mais la contenir en elle en plus de la maintenir en un point. C'est l'exercice qui demande le plus de maîtrise.
Tandis qu'elle s'y met, je l'observe avec attention. Je veux la guider davantage, mais j'ignore comment faire sans interférer avec ses efforts. Peut-être que je peux discrètement déposer quelques parcelles de ma propre lueur pour paver la voie de la sienne ? Sans un mot, j'adresse une prière à la Dame de lumière. Je me concentre ensuite sur ma magie et décide de m'y prendre comme lors de ma bénédiction envers Uzuuma Genji. Lentement, j'établis un léger fil doré entre moi et la fillette. Je fais au mieux pour qu'elle ne remarque pas ce que je suis en train de faire, mais suis obligé de m'interrompre lorsqu'elle pose sur moi un regard cherchant l'approbation.
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Tu disperses trop ta pensée. Reste concentrée sur un endroit précis de ta main."
Elle acquiesce et fixe une zone entre deux lignes à peine marquées de sa paume. De mon côté, je recrée le lien doré, cherchant à faire résonner nos fluides lumineux. Le sien étant plus faible, je fais de mon mieux pour ne pas perturber le flux. Alors que je sonde ce fluide familier, l'écho devient trop fort et m'oblige à rompre une nouvelle fois le filin d'or. Tohru affiche un air frustré. Visiblement, son regard se perd à la surface de sa peau, et elle a du mal à ancrer son énergie.
Touché par cette difficulté, j'essaie de songer à une aide ou à une marque pouvant l'aiguiller. Glissant les doigts dans ma sacoche proche, je heurte de l'index un objet dont j'avais occulté l'existence. C'est l'anneau du guérisseur offert par mon défunt parent. Toujours aussi plat et simple, ce petit bijou au motif ondulé est parfait. Je le place dans la main ouverte de mon élève.
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Ce sera plus facile de te concentrer avec un objet. Amène ta lumière dans le cercle. Si tu finis par réussir cet exercice, tu pourras garder ce bijou."
La petite ynorienne me sonde de ses grands yeux, comme doutant de ce que je viens de dire. Pourtant, je suis sincère. Je ne peux pas me défaire de la bague de Mère ni de celle confiée par le guérisseur Dwao. Et je sais qu'oncle Masaya serait d'accord pour que cet objet aille à qui en a besoin. Mon interlocutrice sourit et opine. Tandis qu'elle se remet à la tâche, je m'attelle à la mienne. Le lien en place, je m'efforce d'user de mon savoir pour aider la fillette à canaliser sa magie. Je cherche à rendre son esprit et son corps plus sensibles à l'activité, adressant une pensée à la Déesse lumineuse avant chaque tentative.
Je veux améliorer le contrôle qu'exerce la petite sur ses pouvoirs, même si ce n'est que temporaire. Ce n'est pas un soin que j'applique, mais cette volonté est proche de celle d'aider à se calmer. Ici, elle cherche surtout à améliorer des qualités déjà présentes chez ma cible. Concentré, je décide de matérialiser ma magie. Le seul résultat que j'obtiens est une gêne pour Tohru. Son éclat doré oscillant à cause de l'interférence du mien.
Pourtant, elle fait des progrès certains. Sa paume ne brille qu'au niveau du cercle de métal, mais elle a encore des difficultés à contraindre le fluide à rester dans une forme précise. Je la laisse faire aussi longtemps qu'elle a l'air déterminée à parvenir à un résultat. Lorsque je sens poindre de la frustration, je la conseille. Mes mots l'incitent à imaginer la sensation d'un tissu, attaché par ses quatre coins, et retenant un souffle de vent. La toile gonfle mais demeure en place. Le plus dur à lui faire comprendre est que cette étoffe est en réalité constituée par sa volonté.
La compréhension innée de Tohru en matière de magie se manifeste quand elle me demande si la force poussant son fluide vers sa paume est la même que celle destinée à lui donner une forme. J'ai à peine le temps d'acquiescer qu'elle change de tactique, superposant ses mains en laissant assez d'espace pour voir l'anneau. Je suis impressionné par son idée somme toute simple mais brillante. Elle veut sans doute restreindre la poussée par une force identique, allant en sens contraire.
Tandis qu'elle est affairée, je reprends ma propre manipulation. J'applique des parcelles de ma magie en elle, traçant un chemin invisible et pratiquement imperceptible le long de son bras. Je prie Gaïa de m'aider à la guider, à accroître sa maîtrise magique. Lorsque je relâche mon sort, je perçois ma magie former de petits canaux diminuant la dispersion magique de la fillette. Les résultats sont peu visibles, même si je suis convaincu de leur présence. Le petit soleil apparait au centre de la main claire, et même si quelques rayons s'en échappent parfois, la forme est là.
J'affiche un air satisfait.
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Je vois que tu as compris le principe. Bravo."
Tendant la main vers la sienne, je la referme doucement sur le bijou.
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Chose promise, chose due. Continue régulièrement ce genre d'exercices, et les accidents lumineux ne t'arriveront plus aussi souvent. Quand tu auras acquis une maîtrise suffisante, je pourrais même t'apprendre quelques sorts."
Tohru se mordille la lèvre inférieure, les mains serrées sur son habit.
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Tu peux être fière de toi."
Touché par l'émotion qu'elle dissimule, je me rends soudain compte que j'ai oublié de lui dire quelque chose d'important.
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Au fait, j'ai omis une chose..."
La petite garde la tête baissée, mais je sais avoir toute son attention.
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Je suis heureux de te revoir. Sois la bienvenue chez moi, et aussi chez toi, Tohru."
Un pincement au cœur pour moi, une expression entre joie et émotion pour elle. Oubliant les habitudes ynoriennes, la fillette se redresse rapidement et se jette à mon cou. Ses frêles épaules tremblent un peu, et j'y applique la main en un geste protecteur.
Cette jeune pousse représente la République que je veux protéger, et la savoir là plutôt que loin du conflit renforce ma détermination. Je ne laisserai rien ni personne faire couler de nouveau des larmes sur ce visage, quitte à aller moi-même au-devant de la menace et d'un danger certain. Je suis déterminé à suivre cette ligne de conduite, et sur mon honneur de citoyen de la République, je fais silencieusement le serment solennel d'assurer la sécurité de nos terres, ou de perdre la vie en essayant.
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Tentative d'apprentissage du sort de lumière "Bénédiction"]