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Un brin sanglant.
Le plus dur avait été le silence. Seule avec elle même, sans aucune aide extérieure. Seule avec ses hallucinations et ses crises de démence. Lorsque tout se calmait, il ne restait plus que le silence. Le lourd et pensant fardeau qu'était le silence. Ses pensées secrètes ne semblaient que faire plus de bruit dans sa tête, de longs moments assise à fixer le vide, les yeux brouillés de larmes.
Plus de notion du temps, plus d'envie, cet état d'âme avait laissé des séquelles, non pas dans son corps mais dans son âme. Cèles et Hrist prenaient peu à peu place dans leur habitacle de chair et Silmeria ressentait comme une douce et bienveillante présence. Comme un remède tardif aux maux qui n'avaient cessés de la hanter. Si son passé, lors d'horribles hallucinations avait trouvé moyen de lui sauter à la gorge, le futur lui n'était que trop incertain.
Tout se devait être parfait pour ce combat. Silmeria avait été réveillée par des Orques la veille pour lui livrer des bandelettes de cuir, fraichement coupée sur ce qui devait être une armure. D'un grognement, elle cru comprendre que c'était pour elle, pour se préparer, libre à elle de l'utiliser ou non, de toutes façons, l'état du cuir rendait le " présent " ridicule. Plus semblable à une moquerie cruelle qu'un geste de bonté. Lorsqu'ils furent partis, elle se pencha néanmoins, mal réveillée sur les lambeaux qui pourraient être utiles.
Sa tenue de jute était usée jusqu'au fil, elle observait son visage dans une petite écuelle en terre cuite, son reflet sur l'eau. Reflet loin d'une beauté passée, aujourd'hui fatiguée et balafrée, Silmeria jurait secrètement vengeance. Elle but une gorgée et entama un brin de toilette. D'abord ses cheveux, faute de les entretenir, ils étaient devenus sales, gras, abîmés et surtout bordéliques. Les doigts humides, elle fit son possible pour les dresser, dompter le désordre et enfin, les arranger et les attacher à l'aide d'une cordelette tirée d'un ballot de paille qui lui servait de lit, pour qu'aucune mèche n'aille lui cacher la vue lors du combat.
La dignité morte depuis des semaines, elle renonçait à l'idée de se refaire belle, de toutes façons, son public n'était fait que d'orques et d'autres créatures abjectes.
Le cuir résistait, difficile à travailler, à déchirer, il restait malgré ça souple. A l'aide de ses dents et de force, elle arrivait cependant à en tirer quelques bandelettes grossières. Une fois arrachées, elle réalisait qu'au final, elle n'en ferait rien. Son caractère changeant, lui était bien au rendez-vous. Elle alla s'assoir en silence à observer la porte.
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Ca criait, ça s'agitait, ça trinquait. L'ambiance était festive et il y avait plus de monde qu'à l'accoutumée, à tel point que le cercle de combat en était presque débordé. La furie avait fait venir le plus de monde possible pour laver l'affront. Car pour cette orque, si l'humiliation avait été publique, la vengeance se devait de l'être.
Silmeria était plantée comme une torche, au milieu du cercle de combat. Victime de jet de morceaux de pain, de bière rance, de poignée de terre récoltée à même le sol entre les lattes brisées. La furie elle, toujours les bras en l'air, acclamée, savourait déjà une victoire qu'elle songeait facile. Or Silmeria était belle et bien guérie, la Douce le savait, elle avait des jours durant répété des mouvements, souplesse, pour réveiller ses muscles et ses réflexes. L'orque verdâtre portait une petite armure de cuir qui cachait sa poitrine et une peau aux reins. A part ses nombreux colliers de bois et d'os, elle n'avait rien, en plus d'une sale tronche aux dents mal rangées.
Elles se lancèrent un sourire et quatre tonnes de mépris - une par œil -
La salle hurlait. La furie avait envoyé une droite spectaculaire à Silmeria qui avait été trop longue à réagir, elle fut frappée en plein dans l'épaule, à défaut d'avoir été très douloureux, elle en avait été déstabilisée. Une main à terre pour conserver l'équilibre, elle se savait en posture dangereuse car si l'orque parvenait à la mettre à terre, elle risquait le coup de grâce. Cela dit, dans sa position maintenant plus basse, elle gardait l'avantage de l'impulsion. L'orque trop confiante s'approcha trop lentement et ne vit pas en retour, la paume de Silmeria qui allait frapper directement le menton de l'orque. La salle hurlait.
La furie se retourna et frappa comme un moulin, une droite d'abord, la gauche ensuite, frappant le vide, Silmeria préférant bien sûr se reculer que d'affronter ce méli-mélo de coups. L'orque sautillait, elle espérait acculer l'elfe dans un coin, or la foule autour bougeait trop, rien ne délimitait vraiment le cercle de combat, seul se mettait sur le chemin des deux combattantes des chaises, chopes et autres ustensiles de taverne.
L'adrénaline montait, les deux protagonistes reçurent des coups, la tueuse Elfe face à la barbare orque commençaient à comprendre qu'il serait difficile d'avoir l'adversaire à l'usure. Même si au fond d'elle, Silmeria savait que sa faiblesse récente allait vite lui porter préjudice.
(Allez... Concentrons-nous, ça s'annonce comme avec le guerrier lézard envoyé pour nous tuer à Keresztur...)Silmeria tenta une stratégie différente, elle concentra sa force, elle cherchait à canaliser son énergie, sa colère, sa hargne et son adrénaline. La gorge sèche, chacune de ses déglutitions l'irritait, les coups reçus commençaient à tambouriner de douleur, le vertige de l'effort grandissait.
La furie elle, ne faisait pas paraître sa douleur, entraînée au combat sur le tas, elle avait dans ses yeux la lueur propre aux orques, lorsqu'ils savaient que le feu du combat battait son plein et qu'ils allaient bientôt tuer leur victime.
L'orque avança de trop, Silmeria lança de nouveau la paume ouverte vers le ventre de sa victime, la main chargée d'énergie, la force lancée sur son adversaire l'envoya retomber lourdement dans la foule. La réaction ne se fit pas attendre, un orque ivre mort rompit les rangs tandis que les autres relevaient la furie, encore estomaquée par le coup. Silmeria, gonflée d'adrénaline vit l'orque tirer une dague au ralenti. La réaction d'un individu en colère était très prévisible, la tueuse avait connu et connu ce type de situation, l'ivrogne au milieu de ce charivari n'était pas une menace dangereuse. Le poignet armé de l'orque fut paralysé par la main de la tueuse, le pouce exerçant une pression sur l'os du poignet, elle lui tordit le bras et se plaça juste derrière lui, le bras de sa victime fermement coincé dans son dos. Elle lui arracha l'arme des mains, l'orque tentait de se débattre mais il était trop tard pour lui, la tueuse et ses réflexes au rendez-vous venaient de lui ouvrir la cuisse de haut en bas, tranchant l'artère qui vomissait des litres de sang sur la sciure de la taverne.
Le silence tomba. Silmeria observait l'assemblée d'un air narquois, partagée entre " vous l'aviez cherché " et le " bizarrement, ça risque de mal tourner "
Ce fut la Furie qui trancha. Elle se vit offrir une hache assez courte par un orque de l'assemblée (solidarité oblige) et s'avança, le pas lourd de menaces vers Silmeria qui se demandait du coup si elle n'aurait pas mieux fait de simplement briser la nuque de l'orque au lieu de brandir une arme. Son infortunée victime avait décuvé aussi sec et rampait maintenant vers la foule laissant une mare de sang derrière lui. La furie lui éclata le crâne avec le revers de la hache, hurlant de rage, elle bondit vers l'elfe et frappa. Le coup était passé non loin de sa tête, du moins, si elle n'avait pas reculé, elle aurait à coup sûr perdu deux trois neurones. Voire toute la tête.
Silmeria puisant dans son passé et ses stratégies, cherchait à sortir d'ici vivante, si elle ne faisait que tuer son adversaire, les orques restant se feraient une joie de terminer le travail avant de se saouler sur sa dépouille. Le remède le plus efficace face à une troupe énervée dans un établissement en bois sec et usé était tout vu...
Silmeria affectionnait le feu, c'était simple, facile, ravageur et il régnait sans partage sur la destruction, quand il ne brûlait pas, il se contenait d'asphyxier ou d'écraser les victimes sous des débris et des gravas et ne s'en tenait pas qu'à un objectif, le feu lui aimait le zèle et les dommages collatéraux. Elle n'avait pas vu le voisinage, mais de ses souvenirs, les maisons étaient très proches les unes des autres et toutes aussi mal fichues.
La furie frappait maintenant dans le vide, face à une femme Elfe à la fois pensive dont le sourire qui grandissait en disait long sur la catastrophe qui risquait de se produire.
(Allez, elle est dix fois plus lourde et plus forte que toi, laisse venir. ) fit Silmeria serrant fort la dague avec le calme étal d'une casserole de lait portée à 99°
L'orque qui n'était malheureusement pas dix fois plus lente qu'elle, frappa de haut en bas, Silmeria encore une fois, tarda de trop à réagir, bien qu'elle évita la lame, elle prit un coup de coude en pleine tempe ce qui eut pour effet de la sonner comme une cloche en heure de culte et aussi de lui briser l'arcade. Détail qu'elle ne senti pas immédiatement, trop occupée à se relever. La vue brouillée, elle réalisa que la chance était toujours au rendez-vous. Car le coup l'avait envoyée rouler juste devant le foyer ou rougeoyaient de belles braises...
La furie elle, n'avait pas attendu qu'elle se retourne, empoigna l'elfe et l'envoya sur une table. La douleur vive d'une assiette en terre cuite qui se brise sous le dos presque nu fut ajouté à ses expériences douloureuses. La furie frappa une première fois, Silmeria bougea les jambes et la hache alla se planter dans la table. L'elfe songea qu'il était actuellement très préférable de ne pas rester allongée face à une folle furieuse et tenta de quitter la table. L'orque ne fut pas de cet avis, et empoignant le mollet de la jeune femme, elle essaya de frapper de nouveau. Silmeria intercepta le poignet d'une main, de l'autre elle griffa à l'aide de l'arme rouillée de faciès hideux de sa prédatrice, lui arrachant l'arme des mains, elle savait ne pas être en bonne position pour frapper, mais il fallait tenter l'affaire, toujours presque allongée, elle contracta son corps comme un serpent et frappa directement sur la tête avec la hache.
Elle manqua. L'orque non plus n'était pas dénuée de réflexes et l'arme vint de planter dans un bruit glauque dans son épaule. Aspergées de sang, les deux femmes se séparèrent, la furie rattrapée par ses compères qui agglutinaient autour d'elle pour chercher à la reculer, d'autres pour chercher à tuer Silmeria.
Celle-ci, dos à la cheminée, était sans arme mais pas sans plan. Elle avait eu le temps, avant d'entamer son vol plané sur la table, de trouver une pelle à petit bois entre le foyer et les flammes. Sans plus attendre, elle piocha directement dans les braises à l'aide de cette pelle de fer, et envoya les charbons ardents sur les orques brailleurs qui s'approchaient, armes à la main. Les boulettes rougeoyantes eurent l'effet escompté. Les orques reculaient, certains tentèrent de revenir à la charge mais Silmeria continuait à faire pleuvoir dans un dernier élan le charbon incandescent. La panique grandissait, certains s'enfuirent, d'autres essayaient d'éteindre les petites flammes qui naissaient, ça et là, d'autres reculaient à cause de la fumée qui commençait à épaissir. Les grognement et hurlements résonnaient, la furie elle, rouvrir les yeux, ivre de rage, et beugla face à la scène. Silmeria venait de conclure son plan d'évasion en créant la panique générale. Le bois sec du sol, la sciure, les teintures bourrées de poussière, tout ceci commençait doucement à faire de petites flammes, timides qui allaient doucement ronger le mobilier, créant de plus grandes flammes qui léchaient bientôt les poutres du plafond.
La furie sauta sur l'Elfe, manquant de la renverser dans la cheminée. Les deux mains serrant le cou blanc de la femme, Silmeria reçu quelques giclées de bave malodorante sur le visage, la furie n'avait pas retiré la hache, toujours enfoncée entre son épaule et sa clavicule, Silmeria elle, y enfonça les doigts. La chair épaisse, moite et bouillonnante de sang mêlée au métal gras et grossier de la hachette, la furie fut frappée d'une douleur insurmontable. Autour d'elles, la fumée devenait de plus en plus épaisse, le feu se propageait très vite et les orques se faisaient la malle.
L'orque se redressait, maintenant une pression inutile pour limiter la fuite du sang, Silmeria, accroupie, pivota et lui envoya son coude dans l'estomac, forte de son élan et dans un nouveau volte-face, elle arracha la hache, tourna sur elle même et cette fois-ci ne manqua pas la tête. Le métal frappa ce crâne cent fois heurté mais jamais percé.
La furie ne cria même pas, elle recula, l'air absent, la hache plantée en pleine tête, fit trois pas et s'écroula sans un bruit.
Elle vécu sauvagement et mourut tout aussi sauvagement.
Et tout recommença.
La fumée rendait la pièce invivable, les orques étaient tous sortis, il ne lui restait qu'une seule issue, celle du toit.
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La fraîcheur de la nuit, voilà quelque chose qu'elle avait oublié. Allongée, à quelques maisons de l'incendie, sur un toit relativement plat, les bras ballants, elle laissait la fraicheur de la nuit et une fine pluie laver son corps et son âme des efforts récents.
L'adrénaline tomba, la fatigue elle était au rendez-vous. Silmeria ferma doucement les yeux, un sourire jeté au ciel, un mépris profond pour les Dieux était gravé dans son âme. Silmeria n'avait plus que le mot trouvé dans la forêt à l'esprit.
« Oaxaca...»