Le voyage se poursuivit le lendemain, ennuyeux. C'était plutôt positif : aucune menace de mort à l'horizon ! Du moins aucune visible...
Régulièrement, des marchands passaient, mais ils refusaient de lui adresser la parole, craignant les racailles dans son genre qui rôdaient sur les routes avec de mauvaises intentions. Ce n'était pas gênant, il pouvait ensuite s'occuper en maudissant ces imbéciles.
Rendrak, en revanche, devait régulièrement se cacher dans les fourrées pour ne pas s'attirer d'ennuis.
Mais alors qu'Azra flânait et flemmardait sur la grande route, une voix qui commençait à devenir familière se fit entendre :
« Alors m'as-tu trouvé un nom ? Peu importe, je vais te laisser le temps de réfléchir à ça durant ton voyage jusqu'à Omyre. Je t'ai laissé dans le doute, mais c'est bel et bien là-bas que tu feras ton premier pas... Marche d'un pas sûr et rapide, c'est d'un usurpateur dont je parle. » Le garçon soupira tandis que Rendrak, parti faire un petit tour, revenait tel un cauchemar désœuvré.
« Voilà le retour des voix, lui précisa Azra.
Pourquoi a-t-il fallut que je sois fou ? »Le liykor haussa ses épaules osseuses. La folie de son compagnon n'était pas une nouvelle en soit.
(Chandakar ?)
Pas de réponse non plus.
(Chandy ?)(COMMENT M'AS TU APPELÉ ?)(Pourquoi j'entends des voix ?)(Ferme là ! Je suis occupé à préparer ma futur conquête du monde. Et tu n'es pas fou, tu n'entends pas d'autres voix que la mienne.)(Pourquoi ça ne me convainc pas ?)Pas de réponse. Si même Chandakar n'entendait pas, alors ça devait bien être une manifestation de son esprit...
(Non, repris la voix, agacée,
c'est juste que je peux le contenir. Jamais il n'entendra ce que je te dirais. Ni tes pensées relatives à moi. Je suis a toi, pas à lui.)Azra voulut répondre mais la présence s'était de nouveau évanouie. C'était agaçant.
« Je suis un homme libre... libre ! » s'exclama-t-il, le regard levé vers le ciel.
« Qui peut prétendre être vraiment libre ? »« Merci, Rendrak. Je vois que tu es du genre à me remonter le moral quand il faut... »« Toujours à ton service. »Sur ces mots, il reprirent la route. Néanmoins, Azra, marmonnant des paroles indistinctes dans son dépit, devait bien reconnaître qu'il n'avait rien d'autre à faire qu'obéir à la voix. Il était en route pour la cité noir d'Omyre...
Le voyage se poursuivit donc. C'était tellement long qu'Azra se prenait à courir pour essayer d'accélérer le mouvement. Ça ne marchait pas, bien sûr. Il était vite épuisé et devait s'arrêter. Sur les conseils de Rendrak, il finit par se résoudre à adopter un train de marche rapide et augmenta légèrement son endurance pour atteindre un niveau proche de celui d'une vache en pleine rumination.
Le terrain se fit bientôt plus escarpé tandis qu'ils arrivaient dans les duchés des montagnes. Cet ensemble de petites nations et seigneuries sous la juridictions de Kendra Kâr vivaient dans un état beaucoup plus sauvage que la grande ville. Ceci associé à l'air vivifiant de la montagne contribua à améliorer l'humeur du jeune homme.
Il arriva bientôt à la frontière du duché de Luminion, le plus grand, et le passage obligatoire obligatoire vers Omyre.
Il était plus loin dans les montagnes qu'il n'avait jamais été. C'était dans les contreforts dépassés la veilles qu'il avait rencontré Alisé, l'aventurière, et Orkas, le garzok. Pour oublier la peine de la mort de la première, dont il ne lui restait que les gantelets, il se demanda avec amusement s'il y avait une chance pour qu'il retrouve le second à Omyre. Sans doute pas. Et puis, rien ne disait que le garzok ne le tuerait pas à vu. Il l'avait aidé mais ils restaient en principe des ennemis héréditaires... D'ailleurs, cela risquait d'entrainer pas mal de difficultés...
Ce soir là, alors qu'il dominait le paysage, Azra regarda le soleil disparaître à l'ouest. Il s'installa et soupira :
« Belle balade. Finalement, je ne suis pas fâché d'avoir quitté la ville... Cet endroit est magnifique. Je mangerais bien quelque chose de plus consistant ce soir pour fêter ça... »
À peine avait-il parlé que Rendrak s'éloignait en marmonnant qu'il allait chasser et qu'il ne restait qu'à préparer le feu en attendant. Avant qu'Azra ai pu ouvrir la bouche pour lui dire que ce n'était pas nécessaire, il avait disparu.
C'était là quelque chose qui ne finissait pas de surprendre le garçon : malgré sa condition, le liykor se déplaçait dans un silence incroyable, comme s'il lui restait toujours ses coussinets ; et ses ossements noirs lui permettaient de se fondre littéralement dans les ombres.
Il prépara donc le feu et, à peine ce maudit briquet à amadou se décidait-il à fonctionner qu'un lapin dépecé et embroché se plaçait comme par enchantement au dessus des flammes : Rendrak était de retour avec une belle prise bien fraiche. Azra le félicita mais il garda un air sombre.
« Oui, c'est bel et bon... je n'ai jamais été un aussi bon chasseur que depuis que je n'ai plus besoin de manger... »Il semblait vraiment très négatif, ce soir là.
« Qu'est-ce qui ne va pas ? Regarde ! Le soleil n'est-il pas magnifique dans ses dernières heures ? C'est en mourant qu'il est le plus beau. Peut-être est-ce maintenant que tu es mort que tu vas vraiment pouvoir te révéler ! »Mais le mort-vivant ne sembla guère sensible à ce qui était l'un des propos les plus joyeux et les plus optimistes dont Azra soit capable.
« J'ai faim... »
Là, le garçon resta interloqué.
« Comment peux-tu avoir faim alors que tu n'as plus d'estomac ? »« Bonne question... »Azra interrogeant Chandakar qui se résolu, au bout de quelques minutes, à répondre. Tandis que le lapin cuisait et que la lueur du feu devenait la principale source d'éclairage, la liche expliqua que les mort-vivants éprouvaient parfois des besoins fantômes.
(C'est comme les gens amputés d'une jambe et qui la sentent pourtant encore les démanger. Les squelettes n'ont peut-être plus d'estomac mais leur esprit est tellement convaincu qu'ils devraient avoir faim qu'il finissent par avoir des crampes d'estomac.)
(Mais comment résoudre ça?)
(Qu'as-tu donc à faire ? C'est lui, le serviteur. Il doit être prêt à endurer n'importe quoi pour toi...)(Dis moi ce qu'il faut faire !)(Bah, aller... Ça te sera utile de toute façon... Sache que ta volonté s’exerce sur lui à plus grande échelle : tu peux l'invoquer et le révoquer à volonté. Souvient toi comment tu as fait apparaître des spectres. Dis-toi maintenant que tu n'as rien d'autre qu'un spectre plus physique à côté de toi.)Plus facile à dire qu'a faire... Le jeune homme expliqua à Rendrak ce qu'il se proposait de faire. Cette fois-ci, le liykor se montra un peu plus enthousiaste, confirmant que lors de son passage dans le monde des âmes errantes, il ne ressentait plus rien. Sur l'insistance d'Azra, il accepta de se replonger dans ces moments difficiles pour expliquer ce qu'il avait ressentit. Cela pourrait aider à comprendre le processus, étant donné que Chandakar peinait à le décrire.
L'alliance de trois esprits finit par donner des résultats. Azra commença à canaliser les fluides qui permettaient au squelette de continuer à vivre, mais bientôt, ils lui échappèrent.
(Tu dois te concentrer d'avantage...) grogna la liche.
Le garçon dirigea le regard vers le feu. Il décida de se concentrer en regardant attentivement les flammes. Dans un premier temps, l'apaisement le gagna. Puis, son regard fut attiré par le lapin en train de rôtir. La mort et le feu... un bûché funéraire pour une âme... comme une autre ?
Azra sentit sa tête dodeliner tandis qu'il était envahi d'un étrange sentiment de satisfaction. Il avait tué, cela faisait longtemps, et cela était bien.
Ses yeux se chargèrent d'une noirceur sans fond et il dirigea ce terrible regard vers Rendrak. Il sût alors ce qu'il devait faire.
« Consume toi comme une bougie... en attendant que je te rallume... »Et il l'éteignit. Un grondement presque extatique monta du liykor tandis que, sous le regard stupéfait du nécromancien, ses ossements et son pelage se fondaient en fumée, dispersés en millions de particules éparpillées comme poussière au vent.
Azra regarda l'emplacement qu'avait occupé son compagnon juste avant.
« Il n'en reste rien ? »(C'est normal. Il a emporté sa substance dans le monde invisible où elle le garde de pouvoir rejoindre les enfers. Quand tu le rappelleras, il reviendra.)Un hochement de tête. C'était en effet très facile, mais dur à expliquer. Le garçon était content d'avoir réussi.
(Alors, je suis un vrai nécromancien, maintenant.)Ce n'était pas une question.
(En effet.)
(Ça ne te fais pas peur ? Je pourrais apprendre comment te renvoyer...)Un ricanement :
(Pour ça, il faudra que tu sois meilleurs. Bien meilleur...)De lourds secrets