L'annonce de la fillette n'avait pas causé énormément d'émoi au sein de la troupe d'aventuriers. D'un côté, ce qu'elle avait révélé était parfaitement clair et cohérent : elle ne faisait que les prévenir et ils n'avaient pas réellement le droit de s'opposer à la volonté des deux membres souhaitant préparer l'infiltration d'Arothiir.
Dorika, comme elle l'avait annoncé plus tôt lors du dîner, prit le premier tour de garde et c'est alors qu'elle observait – encore – les lumières de la lointaine cité cible que Yurlungur vint la rejoindre et s'asseoir à côté d'elle, à distance des autres aventuriers. Il était inutile de leur révéler tous les détails du plan, surtout si elles en arrivaient à un point où elles seraient forcées de se retourner contre eux. Il n'était pas question de faire cela exprès, mais du point de vue de la fillette, elle savait déjà ce qu'elle choisirait entre la survie de ses alliés et ses intérêts personnels si les deux ne pouvaient cohabiter.
«
Bon, j'ai pu réfléchir un peu et lister les points pour lesquels nous avons besoin de fixer les choses, commença-t-elle.
D'abord, il nous faut un nom commun. Knerses sera parfait et ça ne me gêne pas d'en changer. »
Après tout, le nom qu'elle avait renseigné sur le registre n'était pas le sien il y avait à peine un mois. Comme pour vérifier encore une fois qu'on ne les épiait pas, quoique l'idée fût plus paranoïaque qu'autre chose, elle lança un rapide coup d'œil vers Xël qui se tenait non loin, plus proche du feu de camp central.
«
Je compte jouer le rôle de la petite fille qui ne sait rien des motifs de notre venue ici. Nos parents ont disparu à Esseroth et il semblerait, pour moi, qu'il y ait eu des frictions politiques qui nous aient obligées à fuir. Tu as donc pris la décision de partir le plus loin possible d'Esseroth, à Arothiir, en plein cœur du Royaume Pâle dont nous ne connaissons rien. »
Elle avait énoncé cela sans la moindre intonation, comme s'il s'agissait de faits réels : mais ce n'était qu'un mensonge. Enfin, un heureux mensonge, puisqu'il leur permettrait de rentrer là-bas assez facilement. Elle laissa tomber un soupir avant d'ajouter :
«
Tu peux considérer, si ça t'arrange pour la suite, que tu sais dans quelles circonstances nous avons dû fuir : ça devrait même t'arranger de pouvoir inventer une histoire selon le moment et ce que nous aurons appris. »
Elle avait pris soin d'employer le “tu” - on ne l'y reprendrait plus.
«
Même si j'affirmerai l'ignorer, il faudra laisser sous-entendre que nous sommes relativement proches du culte du Sans-Visage, par exemple en indiquant que nous avons eu des différents avec les Chevaliers d'Or, que nous avons entendu parler de la réputation d'Arothiir à propos dudit culte, et ainsi de suite. »
Ça, c'était l'évidence même si on considérait les grandes lignes du plan qu'elle avait étalé tout à l'heure. Son regard vint se placer dans celui de son interlocutrice et elle embraya :
«
Tu as quelque chose à préciser jusqu'ici ? »
Après tout, Dorika était tout de même adulte et elle avait son mot à dire, mais c'était surtout pour voir si l'humaine y voyait des objections ou des incohérences que la petite fille demandait cela. Elle avait écouté tout du long en opinant du chef et ne répondit que succinctement que le stratagème était efficace mais qu'il faudrait alors se méfier en cas de présence de Chevaliers d'Or : puis elle consentit à le suivre et indiqua que tout était clair pour elle.
Toutefois, son silence à la suite de cette déclaration ne fut que de courte durée, puisqu'elle demanda tout de même à Yurlungur comment elle comptait prouver leur origine esserothéenne, ce qui fit hausser un sourcil à l'intéressée. À vrai dire, elle voyait mal comment les gens de là-bas (elle ne savait pas réellement comment appeler les habitants d'Arothiir) pourraient affirmer que leur histoire était fausse.
«
Il ne nous le sera pas possible, à moins de parler vaguement d'Esseroth, d'où la nécessité de demander plus d'informations au Chevalier, répondit-elle de but en blanc. Mais de manière générale, comment prouver qu'on provient bien d'une cité autrement qu'ainsi ? »
C'était cela, la question qu'il fallait se poser. Non pas s'intéresser à son propre cas, mais l'étendre et se demander ce qu'aurait fait un autre, pour qui la situation aurait été tout à fait similaire mais véridique. Et là, elle ne voyait rien qui puisse leur faire perdre la main. Elle attendit un court instant, leva les yeux vers le ciel dans lequel trônait la lune et ses suivantes puis enchaîna :
«
Non, vraiment, je ne vois pas. Si quelqu'un se tenait en face de moi et qu'il affirmait arriver de tel ou tel endroit, je n'aurais aucun moyen de savoir s'il ment ou non... à moins de déceler une erreur dans ce qu'il raconte. Vous... Tu penses à un élément précis ? »
Bien qu'elle voulût garder un air tout à fait serein, au contraire ses traits s'étaient déformés et une vague inquiétude se dessinait nettement sur son visage. Peut-être convaincue par la réponse de l'enfant, Dorika se montra hésitante un instant avant de rétorquer qu'ils ne savaient même pas si les Esserothéens étaient humains, s'ils n'avaient pas une caractéristique physique quelconque qui permettrait d'affirmer immédiatement que Dorika et Yurlungur n'en étaient pas, concluant sur le fait qu'elle ne connaissait rien de cette cité. La gamine était interloquée – ça, c'était un point auquel elle n'avait pas songé.
«
Mais... je n'en sais rien moi non plus... finit-elle par bredouiller. »
Elle regarda d'un air un peu pitoyable vers la tente du Chevalier alors que sa réflexion reprenait pour répondre à ce problème d'une importance vitale :
«
Ser Thersien a pourtant l'air normal... Mais si les Esserothéens ont une apparence physique spécifique, effectivement, ça risque de ne pas fonctionner. Toutefois... »
Elle releva la tête en fronçant les sourcils alors qu'un exemple lui revenait en tête. Elle ne pouvait pas s'empêcher d'en vouloir un peu à Dorika d'avoir oublié ça, mais lui reprocher alors qu'elle-même n'y pensait que maintenant était sans doute un peu culotté :
«
As-tu aperçu quelque chose de spécial chez leur cheffe, Sombreroc ? Elle doit bien être issue de leur peuple, non ? »
Cela faisait deux fois qu'elle avait appelé cette dame en omettant le titre et elle ne doutait pas que, plus l'écart géographique se ferait grand, plus elle se braverait aisément son autorité, ou celle de n'importe quel autre. Elle soupira avant de terminer :
«
Nous chevaucherons demain en compagnie de Ser Thersien pour lui demander des précisions, de toute façon. Le plan de secours serait de dire que nous provenons simplement du bourg installé en bas de la Tour d'Or, puisque les villageois là-bas n'avaient pas l'air bien différents de nous. Du point du vue de notre histoire, ce serait plutôt la présence répétée de Chevaliers d'Or et même de Dragons dans les alentours qui nous auraient poussées à partir, toujours avec les mêmes sous-entendus. »
Alors qu'elle énonçait cela, son plan se racommodait de lui-même, certaines parties évincées, remplacées, ajustées : et à nouveau tout collait – ou presque, son regard cherchant à nouveau l'approbation de Dorika, elle-même semblant attendre sa confirmation.
Celle-ci, encore une fois, hésita, indiquant que Sombreroc était pâle, blonde et belle, toisant les cheveux respectivement bruns et auburn des deux alliées. Y aurait-il eu une pointe de jalousie dans ce discours, ou d'auto-dépréciation ? Dorika cachait-elle une tare physique en gardant en permanence son visage masqué ? Ou la raison était-elle que...
Mais l'intéressée, revenant au plan B, secouait déjà la tête en rejetant ce plan, qui les rendrait suspectes selon elle, du fait de leur proximité avec la Tour d'Or. Car, oui, c'était tout de même de là que provenaient les Chevaliers, soit les principaux ennemis du culte... Finalement, la seule solution restait de parler avec Ser Thersien. Et elle se tut, laissant un silence s'installer. Il n'y avait rien de plus à dire : Yurlungur hocha la tête avant de finir sur des convenances :
«
Très bien. Nous reprendrons donc le plan demain soir, après la discussion avec Ser Thersien. »
Elle se leva, s'étira et conclut :
«
Je vais me coucher. Bonne nuit. »
Elle n'attendit pas de réponse – effectivement aucune ne vint, simplement un salut de la tête et le report de son attention sur Arothiir – et elle disparut sous sa tente. Contrairement à la veille, toutefois, sa tête était pleine d'angoisses concernant une possible incohérence dans sa stratégie, une faille que ni elle ni Dorika n'aurait aperçue, une erreur... Et ce ne fut que bien plus tard, lorsque Dorika revint à son tour, qu'enfin elle sombra.
***
Le lendemain, c'était presque avec soulagement qu'elle s'aperçut que leur groupe n'avait reçu aucune visite indésirable pendant la nuit. Elle avait dormi comme un poids, d'une seule traite, mais les grands arbres séculaires qui se dressaient non loin, cachant sous leurs frondaisons mille secrets inconnus des mortels, n'étaient pas pour la rassurer. Ils prirent un déjeuner rapide, Yurlungur recevant sans s'en apercevoir un gobelet de café – ce ne fut qu'après qu'elle pesta en silence, le goût amer du breuvage la faisant grimacer.
Puis ils reprirent leur route et, enfin, la désagréable impression qu'elle ressentait à proximité de ces bois sombres disparut alors qu'ils s'engageaient sur un passage escarpé pour descendre vers les plaines qui les mèneraient à la cité. Sur les conseils de Ser Thersien, tous descendirent de cheval et s'engagèrent à pied sur le passage : ce fut l'occasion que saisit l'enfant pour s'approcher du Chevalier et, avec Dorika juste derrière pour écouter, elle engagea la conversation.
«
Excusez-moi ? commença-t-elle en adressant un sourire de convenance au Chevalier dont l'expression était indéfinissable sous son heaume d'argent.
Comme je l'ai annoncé hier, au dîner, Dorika et moi aurions besoin de renseignements sur Esseroth afin de parfaire notre couverture. »
Elle se sentait un peu minsucule à côté de l'imposant gaillard. Il y avait certes eu plus grand que lui – l'homme-loup, pour n'en citer qu'un. Mais du Chevalier ressortait également une impression de force qu'on ne ressentait guère d'ordinaire chez les hommes, comme si sa volonté même était inébranlable. Cela plaisait à la fillette, et l'effrayait à la fois. Jusqu'à où serait-il capable de s'investir dans sa quête ? C'étaient tout de même des guerriers parfaits s'ils abandonnaient tout dans l'unique but d'arriver à leurs fins...
Le Chevalier tourna la tête dans la direction de l'enfant et répondit d'un ton avenant qu'il serait ravi de pouvoir les aider mais qu'il ne savait pas par où commencer. C'était selon lui une ville libre, où la magie et l'idéal de liberté étaient liés par l'Histoire. Il indiqua également que tous les Esserothéens avaient ce qu'il appela un “don”, propre à chacun, qui donnait ainsi une utilité spécifique à chaque être dans la vie de la cité. Aucune propriété privée n'était non plus existante, pas plus qu'un chef ou qu'une quelconque inégalité – un système qu'on aurait dit parfait mais auquel Yurlungur ne parvenait pas à croire. Il finit par annoncer que, suite à la “Grande Guerre” - ce que la gamine identifia être celle qui mena à l'éveil des Titans -, Esseroth accueillait de nombreux réfugiés de toutes origines.
Puis il sembla hésiter et s'arrêta, comme s'il ne savait pas quoi rajouter, à moins qu'il n'ait remarqué le froncement de sourcils de Yurlungur suite à ses paroles.
«
Un don ? Vous parlez de pouvoirs magiques, de quelque chose comme ça ? »
Elle semblait contrariée : et en effet, elle l'était.
«
Je crois que ni moi ni Dorika n'avons une quelconque affinité avec la magie. Vous pensez que ce serait problématique ? Je veux dire, pour nous faire passer pour des Esserothéennes ? »
C'était tout de même un détail important : comme l'avait dit Dorika la veille, la moindre lacune pourrait réduire leur imposture à néant. Après un bref instant, le Chevalier répondit, affirmant qu'il s'agissait bien de pouvoir, donnant pour exemple celui de Sombreroc, extrêmement puissant, ou d'un de ses amis, également impressionnant. Il hésita à nouveau avant de conclure en leur proposant de prétexter que leurs pouvoirs seraient inutilisables à Arothiir, ou invérifiable. Les deux propositions, qui furent de lire l'avenir puis de parler aux morts, étaient trop précieuses pour être perdues. Après les avoir soigneusement répétées mentalement pour ne pas les oublier, Yurlungur, dont les yeux étaient écarquillés de surprise, répondit toutefois, sous le choc :
«
Mais... Mais c'est balèze, tout ça ! Et ça marche encore, malgré le fait que la magie soit inutilisable depuis la venue des Titans ? Et vous, vous avez aussi un pouvoir, du coup ? »
Ses deux mains, simultanément, vinrent se coller contre sa bouche alors que ses yeux s'ouvraient encore plus lorsqu'elle se rendit compte de son erreur, presque instantanément. Demander cela à un Chevalier d'Or... Rougissant, elle avait maintenant tout l'air d'une petite fille gênée.
«
Oh, pardon... Je me suis laissée emporter. Je ne doute pas que vous ne souhaitez pas forcément en parler. Merci beaucoup pour vos indications, toutefois. »
Elle tourna la tête vers Dorika pour vérifier que celle-ci avait bien tout entendu. Le Chevalier, comme gêné lui aussi, resta un moment silencieux, mais il expliqua finalement avoir possédé un pouvoir autrefois. Bien entendu, comme elle l'avait prévu, il refusait de l'utiliser depuis son entrée dans l'ordre, indiquant qu'il faisait partie de son identité passée et qu'il n'avait à ce jour plus aucune importance. L'enfant, presque rassurée d'une réponse aussi posée, reprit les questions :
«
Et sinon, vous pensez que nous ressemblons suffisamment à des Esserothéens ? Je veux dire, du point de vue physique... »
Elle désigna de la main son visage et ses cheveux, attendant une réponse du Chevalier. Quelque part, elle était tout à fait captivée par ce qu'il racontait – elle ne croyait pas avoir jamais entendu parler d'une telle civilisation sur Yuimen. C'était tout bonnement formidable : et à cet instant, elle en était venue à ne plus penser d'un poil à tout ce qui la préoccupait jusqu'à la veille même.
Ser Thersien la toisa alors à travers son casque, laissant un moment de suspens pour sa réflexion. Il indiqua qu'Esseroth était en ce moment une cité mêlant des citoyens d'origines extrêmement diverses au vu de tous les réfugiés qui y étaient venues, mais que Dorika et Yurlungur ressemblaient plus à des Esserothéennes d'antan qu'à des réfugiées. C'était parfait : le visage de la gamine s'illumina d'un radieux sourire et elle lança un coup d'œil satisfait en direction de Dorika.
«
Eh bien au moins, comme ça, nous sommes fixées. Merci beaucoup, Ser Thersien. J'aurais simplement une dernière question pour vous : à quoi ressemble Esseroth, même vaguement ? J'imagine qu'on nous demandera de décrire l'endroit, même si c'est peu précis. »
Alors qu'elle disait cela, en levant sa main pour soutenir son propos, ses yeux avaient quitté le chemin, comme toutes les fois précédentes. Mais à ce moment-là, son pied dérapa sur une pierre en équilibre précaire, comme posée là précautionneusement pour qu'elle en vienne à glisser et, avant qu'elle n'arrive à s'arrêter, elle se retrouva quelques mètres en contrebas, d'autres petits cailloux chutant plus bas et un nuage de poussière enveloppant sa frêle silhouette perdue au milieu des rochers.
Aussitôt, le Chevalier se jeta au secours de l'orpheline et parvint avec une habilité peu commune à dévaler la pente pour aider la gamine à remonter sur le chemin suivi après s'être assuré que tout allait bien. Yurlungur, fort heureusement, ne s'était pas blessée, mais cette chute avait réveillé une certaine paranoïa en elle – c'était un piège, c'était nécessairement fait exprès : on avait détourné son attention au moment où cette pierre se tenait sur son chemin, tout cela n'était qu'une vaste machination pour la conduire à sa perte, or elle savait très bien qui était à l'origine de tous ses soucis.
Se tournant vers son sauveur, le Chevalier qui l'avait aidée à remonter la pente après cette tentative, échouée, de porter un coup à sa personne, elle le remercia avec un air un peu gênée – elle n'aurait jamais dû se laisser distraire à ce point et laisser le champ libre à l'entité qui lui en voulait.
«
Je ferai plus attention à l'avenir. »
Il opina du chef, sans un mot – elle était déjà partie. Progressant simplement devant lui, son esprit ruminait de sourdes menaces et une rancune aveugle à l'attention d'Asmodée.
(Ce n'était pas moi...) souffla le vent dans ses oreilles. Elle tourna la tête vers les nuages qui se tenaient dispersés dans le ciel. Non, elle n'était pas prête à la croire, celle-là – elle avait nécessairement tout orchestré.
Ils arrivèrent en bas alors que la mine de la gamine était encore sombre. Ils s'installèrent un moment pour prendre un repas mais Yurlungur n'y prêtait pas réellement attention, perdue au milieu de ses pensées sombres. Elle se tenait à côté du cheval qu'elle et Dorika partageaient, les yeux dans le vague en le caressant, lorsqu'elle prit conscience qu'elle devrait peut-être aller manger, elle aussi.
S'avançant entre les équidés, elle ressentit soudainement comme un picotement au niveau de la jambe et celle-ci flancha : les muscles censés la garder debout se relâchèrent subitement et elle chuta en avant, ses mains venant heureusement l'empêcher de tomber entièrement au sol. Mais, comble du désespoir, c'était dans la bouse de leurs compagnons équestres que ses deux mains se retrouvèrent et sur son visage apparut un rictus de colère.
(Hihi.) On aurait dit Naral, mais à l'entendre ainsi venir du bruissement dans les feuilles des buissons, le doute n'était pas permis quant à leur provenance.
«
Raah ! J'ai les mains faites pour l'or, et elles sont dans la merde ! pesta-t-elle avant de reprendre, plus bas, sans qu'on ne puisse l'entendre :
Tu vas me le payer... »
Ces paroles n'étaient pas adressées au cheval ni à leur crottin, mais plutôt à une entité indistincte qui rôdait quelque part non loin et qui, pour la deuxième fois de la journée, la faisait tomber au sol. Elle ne s'avérerait pas vaincue aussi rapidement. Se relevant, elle se tourna vers le groupe qui devait l'avoir entendue et, toute rouge avec les mains salies, elle se mit sur la défensive.
«
J'ai glissé. Navrée. Je vous rejoins de suite, indiqua-t-elle sèchement. »
Elle sortit sa gourde et son savon et, faisant couler un peu d'eau, se lava les mains. Par chance, ses vêtements eux-mêmes n'étaient pas souillés et il suffit d'un rapide rinçage après le savon pour que tous les excréments et leur saleté partent.
Ils partagèrent un rapide repas, elle-même se dépêchant pour ne pas ralentir les autres, puis ils se mirent à nouveau en marche après l'avertissement de Ser Thersien sur le gaz de Thiir. Yurlungur détacha son ruban et vint se le nouer à l'arrière du visage après l'avoir légèrement humidifié. Ses cheveux, ainsi libérés, partaient un peu dans toutes les directions, mais elle parvint à les garder plus ou moins dans son dos et il n'y avait que peu de vent. Quant à leur cheval, ce fut Dorika qui lui protégea le museau, aussi n'eut-elle pas à s'en soucier.
Sous les rayons d'un Soleil de plomb, ils avancèrent avec difficultés, aucune ombre ne venant les décharger de ce fléau brûlant. Ils suaient tous et, ajouté à cela, les volutes de fumée jaune qui s'échappaient des rocs semblables venaient les déstabiliser malgré leurs protections. Yurlungur ne se sentait pas tout à fait à son aise et dans son dos, Dorika avait parfois également des moments de vertiges. Ensemble, toutefois, elles parvinrent à se soutenir mutuellement et leurs faiblesses passagères n'étaient guère suffisamment intenses pour qu'aucune n'entraîne l'autre dans une chute.
Ce ne fut qu'au milieu de l'après-midi que le premier incident se produit : le nain, qui avait refusé de se protéger, chuta de son cheval et sa monture paniqua, partant au galop et l'entraînant derrière elle puisqu'il n'était pas tout à fait détaché. Aussitôt, l'attention de l'enfant se focalisa sur lui : il parvint à se détacher en blessant le cheval, faisant preuve d'une force peu commune. Le mouvement aurait pu s'arrêter, mais Thersien vola à leur secours, s'approchant du nain pour essayer de le calmer : au contraire celui-ci prit son imposant marteau et vint abattre de nombreux coups sur son cheval même après que ce dernier fut achevé.
Impassible, la gamine observait la scène. C'était une violence somme toute normale, qu'on apercevait parfois chez les Garzoks, par exemple : mais c'était parce que ceux-ci étaient dénués de sens logique, du moins pour la majorité des spécimens. Le nain, furieux de s'être ainsi donné à voir suite à sa chute, ne faisait que confirmer sa bêtise auprès de l'enfant – déjà qu'il avait cru être suffisamment résistant pour que le gaz ne lui fasse rien...
Tout ceci n'arrivait qu'à cause de l'orgueil du nain et du manque d'insistance du Chevalier. Ce n'était ni le problème de Dorika, ni celui de Yurlungur, puisque aucune d'entre elles n'avaient à l'origine demandé la compagnie du nain. Et, effectivement, la jeune femme derrière l'enfant proposa de se séparer du groupe. Alors que Xël, Charis et Karz s'avançaient pour venir en aide au Chevalier, Yurlungur arrêta la dame du désert :
«
Charis, attendez ! Dorika et moi allons vous quitter : l'occasion nous paraît toute trouvée. Il serait incongru que nous arrivions blessées à Arothiir si nous affirmons avoir voyagé seules, puis que vous arriviez à votre tour blessés également. J'espère que nous nous reverrons bientôt. »
Elle adressa un sourire faussement ingénu et tourna la tête vers Dorika :
«
Nous n'avons plus qu'à y aller, grande sœur. »
C'était drôle de dire cela dans de telles circonstances.
[dort de 23h à 8h, utilisation de 50 cl d'eau en plus pour se laver les mains, protection du visage grâce au ruban rouge de ses possession rp]