...À sa proposition, l'inconnu emprisonné ne rajouta rien, sans doute peu convaincu. Mais la jeune femme à ses côtés, elle, en profita pour rajouter quelques questions, cherchant visiblement à comprendre dans un premier temps quel serait le trajet le plus court pour rejoindre Yuimen. Cela fit légèrement sourire Yurlungur, considérant que le retour jusqu'à la Tour d'Or allait être semé d'embûches : des dragons territoriaux, une marche à pieds de plusieurs semaines, et si on tombait sur des Chevaliers d'Or, c'était encore pire... Si elle avait pu les éviter à l'aller, usant de son aptitude naturelle à se cacher et attendre que le danger passe, elle doutait qu'un lion puisse être camouflé aussi aisément.
La seconde volée de questions concernait plus le prisonnier lui-même. Il était vrai que, s'il venait d'un autre monde, cela pouvait sembler étrange qu'il ait été nommé Duc en ces terres : pour autant, des exemples existaient, comme Honoka à la Tour d'Or, qui était vraisemblablement d'origine oranaise.
Mais les explications du voisin de cellule se révélèrent fort précises : pour un individu qui jugeait de la sécurité de ces geôles pour y avoir séjourné cinq longues années – (Depuis la Grande Guerre, tiens...) - il savait qu'on ne s'en échapperait pas en un jour, ni même en deux. La mention de Vallel ne faisait que confirmer que son camp avait été celui des perdants, il y a cinq ans de cela, et il connaissait avec moult détails magiques comment cette prison fonctionnait, autour de ces curieux gens que les Conjurateurs. Yurlungur ignorait ce que ce mot voulait dire, mais elle s'imaginait sans mal des tas de mages encapuchonnés scandant des litanies absurdes dans des salles obscures pour tenter de garder d'honnêtes personnages comme elle emprisonnés.
Et quant aux voyages entre les mondes, il révéla, non sans surprise pour Yurlungur elle-même, que les liens entre les mondes étaient uniques – mais ça, ce n'était rien – et surtout que les Garzoks, race à laquelle il appartenait, ne venaient pas de Yuimen mais de “Nargrum”. Et que ce monde était relié à la fois à Yuimen et à Aliaénon, ce qui avait permis jadis à la Reine noire d'envoyer ses troupes ici... Tout s'éclairait soudain quant à ce conflit entre Oranan et Omyre qui avait eu lieu sur ces terres.
Enfin, le Garzok se présenta comme Erthog Dol'Ther, ancien Duc d'Orsan au service de Vallel. Même s'il reconnaissait qu'aucun Garzok n'était de ce monde, il affirmait tout de même qu'ils pouvaient y avoir leur place, confirmant qu'il ne s'était retrouvé là qu'à cause de la défaite de Vallel.
Et aussitôt, la porte de la geôle s'ouvrit. Yurlungur s'accroupit légèrement, prête à bondir – l'occasion était inespérée pour s'enfuir – avant de reconnaître l'arrivant : Elurien d'Assamoth, l'air complètement malade, pâle comme un linge. Cela fit hésiter la jeune fille, laissant le temps à l'Archisorcier de parler : il la déclara innocente, relevant tout de même des “méthodes particulières” - il faudrait qu'elle la note celle-là – mais rajoutant qu'il lui demandait de quitter Elscar'Olth au plus vite. Comme si elle avait envie de rester ici davantage.
Et enfin, s'adressant à la seconde prisonnière, il évoqua la Tour d'Orsan, la libéra également, puis disparut après quelques gestes étranges, entre vacillements et lancements foireux de sortilèges. Yurlungur n'était pas bien sûre de comprendre si cela relevait de son mauvais état évident ou du sort qu'il devait prononcer pour les libérer.
Et il disparut. Erthog se fendit d'un conseil : celui de s'en aller au plus vite, puisqu'il n'avait lui-même jamais vu Elurien ainsi. Yurlungur, rapidement, le salua :
« Au revoir, Ser Dol'Ther... Puissiez-vous être libre bientôt, vous aussi. »
Puis, sans demander son reste, elle sortit de la cellule, constatant avec délice qu'elle pouvait passer la porte sans qu'aucune magie étrange ne la retienne. Parfait. En se retournant, elle saisit au vol quelques bribes de paroles échangées par l'autre – comment l'avait appelée Elurien, déjà ? Elle n'avait même pas fait attention -, quelque chose à propos de principes et de navires. Une métaphore de grandes personnes. Et une fois le lion et sa maîtresse sortis, elle demanda :
« Est-ce que... vous savez pourquoi il a parlé de la Tour d'Orsan ? Je croyais que vous ne connaissiez pas ce monde. »
Ses yeux sont grands ouverts : elle était véritablement surprise, non seulement par cette évocation d'un lieu précis, mais également par sa propre libération. Mais bon, ce n'était pas si imprévisible : elle savait depuis le début qu'elle était innocente... En revanche Airine – est-ce que c'était ça, son nom ? - réplique d'un ton agacé qu'elle ne sait encore rien concernant sa présence ici, avant de demander à trouver la sortie avant tout.
« Oui, bien sûr, je devrais me souvenir de l'aller... » Elle regarda un peu autour puis finit par désigner une direction : « Par là. »
Mais avant qu'elles ne se mettent en marche, la petite continua :
« Est-ce que vous comptez... vous rendre à la Tour d'Orsan, comme l'a dit Elurien ? Ou vous pensez qu'il s'est trompé ? »
Puis, relevant aussitôt les mains comme pour se décharger de tout :
« Par avance, je ne me suis jamais rendu là-bas encore et j'ignore ce que c'est. »
Pour elle, s'il savait tout cela, c'est qu'il devait connaître les raisons de sa présence ici, qu'elle-même ignorait. Mais quant à elle, elle préférerait rallier Fan-Ming afin de retourner directement sur Yuimen, demandant aussitôt si c'est bien par là que Yurlungur était passée à l'aller. Celle-ci opina du chef.
« Arrivée sur ce monde, oui, mais je n'ai pas fait le trajet directement pour venir ici... »
Elle hésita. Est-ce que ça ne paraîtrait pas trop étrange si elle le disait à quelqu'un qui, il y avait une heure de cela encore, ne connaissait même pas l'existence d'autres mondes ?
« Ça fait six mois que je suis sur Aliaénon. »
Puis, après une courte pause :
« Par rapport à Elscar'Olth où nous nous trouvons, Fan-Ming est située plus loin : le portail est légèrement plus proche, à la Tour d'Or, et vous permettra de rejoindre Oranan. »
Il y avait tout de même quelque chose à annoncer... Sur le trajet entre eux et la Tour d'Or, il y avait tout de même un dragon noir assez mortel et dangereux. Pendant le silence qui s'ensuivit, elle fit une moue contrite, cherchant ses mots.
« Mais... Cela risque d'être difficile de revenir là-bas, à moins de faire un très gros détour. Euh... »
Elle hésita à nouveau. Vu sa réaction tout à l'heure avec les mondes, il valait peut-être mieux prendre quelques précautions...
« Vous avez déjà vu un dragon ? »
Si la femme du désert avait écouté avec attention, elle ne put cacher sa stupéfaction à la dernière question, ne voyant pas le rapport. Yurlungur soupira.
« Prenez une grande respiration et ne vous affolez pas, je sais que ça peut paraître fou, mais... »
Elle prit elle-même une inspiration et annonça, l'air le plus sérieux du monde :
« Nous yuiméniens envoyés par le Conseil d'Or pouvons faire appel aux dragons de ce monde pour de longs trajets. Mais ceux qui ont choisi de venir ainsi à Elscar'Olth se sont fait attaquer sur le chemin par un autre dragon, noir : il semblerait que, depuis la disparition de Naral Shaam, celui que nous cherchons, certains d'entre eux se montrent de moins en moins coopératifs... »
Elle haussa des épaules :
« Faire le trajet à pied est un peu long, jusqu'à la Tour d'Or. Avec un dragon, ça va beaucoup plus vite, mais c'est à présent une option écartée. »
Au moins, la jeune femme était impassible, mais l'assassine devina qu'elle était seulement en train de jauger les chances qu'il ne s'agisse que d'une mauvaise farce. Puis, se résignant, elle hocha de la tête, prise de court. Elle demandait si Yurlungur savait quelques chose sur la Tour d'Orsan et le trajet jusque là-bas, croyait deviner que la jeune fille ne connaissait rien sur le trajet pour rejoindre Fan-Ming, répétant la même erreur d'assimiler Fan-Ming et la Tour d'Or. Elle s'arrêta un instant et Yurlungur en profita pour répondre :
« Non... Je ne connais ni ce Duché, ni cette Tour. Pour y aller, je pense qu'on pourra demander des indications aux habitants de cette cité, si c'est effectivement le Duché voisin. »
Puis, sans laisser de temps de pause pour garder la parole :
« Je ne me suis jamais rendue à Fan-Ming : c'est à la Tour d'Or que se trouve le portail. Ce n'est pas le même endroit, en fait. Et... Non, je n'ai pas fait le trajet en dragon personnellement, parce que je suis partie depuis le Royaume Pâle, à pied... Donc je sais que c'est long. »
Elle agita la main, sentant venir une nouvelle remarque sur la complexité de la situation :
« Inutile de retenir tous les noms. »
L'étrangère finit par écarter le problème en prétextant que, n'étant pas envoyée par le Conseil, elle ne pourrait probablement pas appeler ces dragons, n'ayant pas de sifflet à disposition, Yurlungur s'empressa de préciser, non sans une certaine fierté :
« Mais j'en ai un, moi ! En revanche, je ne me risquerais pas à l'utiliser dans le contexte actuel. »
Et enfin, elle proposa de commencer par sortir de ce couloir, proposant de retrouver les autres yuiméniens afin d'obtenir une carte des environs par exemple. Le visage de Yurlungur se renfrogna aussitôt. Soudain, un avenir partiel lui apparut, dans lequel Araraine – si c'était seulement comme ça qu'elle s'appelait – se lierait d'amitié avec les autres yuiméniens, croirait naturellement à leur mépris et leur haine envers elle, et la laisserait en retrait. Dommage, elle l'aimait bien.
« Oui... Je vous laisserai aller les voir, si vous voulez. »
Haussant des épaules, elle poursuivit avec un rictus amer :
« De toute façon je ne suis pas tolérée dans cette cité, donc je n'aurai qu'à la quitter au plus vite et vous laisser entre vous ! »
Après un court silence, l'étrangère proposa néanmoins de continuer un bout de route ensemble, dépendant du lieu où chacun d'eux souhaitait se rendre. Yurlungur releva un regard à moitié méfiant, à moitié touché, incapable de saisir si c'était vraiment ce qu'elle souhaitait ou si elle ne voulait simplement pas laisser la jeune fille toute seule, s'imaginant probablement qu'une si jeune enfant ne devait pas se promener sans la compagnie d'un adulte, comme tant d'autres.
« Je ne sais pas encore, » finit-elle par répliquer. « Je n'ai pas eu énormément d'informations sur ma mission. Personne n'en a, puisque Naral a disparu relativement mystérieusement dans cette Lande. Peut-être que je devrais me rendre au Duché d'Orsan pour essayer de chercher par là-bas ? En fait, c'est un problème complètement ouvert. Mais cela ne risque pas de vous rapprocher beaucoup de la Tour d'Or... »
Elle aurait pu avancer que si, ça l'aiderait, mais elle doutait que ce fût réellement le cas et ne souhaitait pas mentir, pour une fois. Elscar'Olth était la première ville qu'on atteignait sur la Lande noire en venant du Nord, donc la Tour d'Orsan devait se situer plus loin... À vrai dire, l'étrangère avait tout intérêt à partir à pied vers le Nord, d'éviter la Savane Tanathéenne et de finir par revenir sur Yuimen, après un long et ennuyeux voyage, mais Yurlungur pouvait bien essayer de la convaincre d'agir autrement avec quelques arguments ajustés, non ?
« À moins que nous ne parvenions à retrouver Naral rapidement. Dans ce cas, il pourra probablement ramener un peu d'ordre parmi les dragons et le voyage jusqu'à la Tour d'Or se fera en quoi, un jour. C'est à vous de voir. »
Voilà, l'appât était lancé. Mais préférant revenir au sujet initial, l'adolescente demanda à nouveau, les yeux grands ouverts, avec un regard hésitant entre la surprise et la résignation :
« Vous voulez vraiment venir avec moi ? »
Détournant son regard, elle rajouta avec cette même expression amère :
« Ce n'est pas si grave si vous préférez voyager avec le groupe entier. Je suis capable de me débrouiller seule, après tout... »
Mais après avoir décidé au terme d'une longue réflexion qu'elle irait probablement plutôt au Duché d'Orsan, tout en préférant avoir une carte des environs pour savoir vers où aller, elle précisa qu'elle ne comptait pas voyager avec les autres yuiméniens qui lui étaient inconnus, et qu'elle ne souhaitait guère retrouver Naral mais plutôt comprendre pourquoi elle était là et comment rentrer chez elle. Classique. Boarf, les arguments feraient leur chemin dans son esprit lorsqu'elle comprendrait à quelle distance se trouvait la Tour d'Or, et que la Savane et le Chaos se situait entre elle et son objectif...
Et puis, inquiétudes de Yurlungur, elle expliqua simplement qu'ils avaient intérêt à voyager ensemble s'ils allaient dans la même direction, croyant même y être gagnante, considérant que la jeune fille avait déjà voyagé sur ces terres et voyant mal ce qu'elle avait à apporter à leur groupe. Le visage de la jeune fille s'éclaira :
« Mais si... vous pouvez être de bonne compagnie ! »
On s'imagine mal à quel point la solitude peut peser : mais en faire l'expérience lors d'un trajet de six longues semaines intégralement seules, traversant des territoires arides et déserts, avait de quoi valoriser toute compagnie, fût-elle celle d'un gros chat comme ce lion ou d'une forte tête comme cette Ar... Il valait mieux demander.
« J'espère qu'on va bien s'entendre. Au fait, vous ne m'avez pas dit comment vous vous appelez ? »
Si l'idée de la compagnie n'avait pas l'air de plaire à l'étrangère, celle-ci donna son nom : “Ariane”. Bah, Yurlungur n'était pas si loin de la bonne réponse, plus haut. Et une fois le lion présenté à son tour, elle demanda à nouveau de sortir de ce bâtiment.
« Oui ! En avant, Ariane et Al-Ayrad ! »
Et sans attendre davantage, la jeune fille partit d'un bon pas, un franc sourire aux lèvres, remontant vers la salle de convenance. Même si elle ne l'avait emprunté qu'une seule fois, elle n'eut guère de mal à se souvenir qu'il suffisait de remonter les escaliers qu'elle trouvait pour déboucher sur la salle. Là, tous les autres aventuriers étaient déjà présents : la jeune fille se crispa, fronçant ses sourcils – arborant une expression sévère dès qu'elle aperçut Xël. Sans le quitter des yeux, elle précisa à l'attention d'Ariane :
« Je vais chercher mes affaires : les autres yuiméniens sont là. »
Celle-ci demanda si elle avait besoin d'être accompagnée, idée un brin inutile. Yurlungur rejeta d'un mouvement négatif de la tête cette proposition, avant d'expliquer :
« Oh, ce n'est pas nécessaire. Peut-être que l'un d'entre eux a une carte ? Et puis, vous vous ferez plus facilement accepter si je ne suis pas avec vous. »
Elle se détourna et se dirigea vers l'infirmerie : mais celle-ci était fermée et deux gardes encapuchonnés ne semblaient pas disposer à la laisser rentrer. Sans se départir de sa rancœur ni de son assurance, Yurlungur déclara :
« Mes effets sont à l'intérieur. Si vous l'ignorez, Elurien a reconnu mon innocence, donc rendez-moi mes affaires avant que je ne quitte cette cité. »
(((2500 mots
récupération de l'équipement à l'intérieur de l'infirmerie)))
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