La pointe du sabre de Sirius était sortit du ventre de sa victime et s'était aussitôt retiré, faisant couler davantage de sang. Le liquide épais et rouge sombre avait éclabousser les onéreux tapis de la chambre et alors que le corps sans vie s'était écroulé, une nouvelle marre s'était formée et un ruisselet sinueux courait vers la porte, comme pour rejoindre les autres flaques, dans un immense bain de sang. Les lames, bien maniées, donnaient toujours des scènes fort sanglantes - même si ce n'était pas ce qu'il y avait de plus affreux. Cette vision ne m’émut pas vraiment, au contraire, elle me donna comme un coup de fouet et je sentis mes sens s'aiguiser.

La femme au poignard n'avait désormais d'yeux que pour moi et tandis qu'elle assurait sa prise sur son arme, serrant ses poings, prête à bondir, je n'avais aucun doute sur sa résolution à m'abattre et ses compétences en la matière. Elle me guettait comme un grand félin, un prédateur, sûr et puissant, et bien que je ne faiblis pas il était évident que si elle attaquait sans que personne n'intervienne je pouvais au mieux en réchapper, au pire ajouter mon sang aux tapis.

La jeune femme jusque là isolée dans un coin de la pièce, le visage encore tordu par l'effroi et sa belle parure froissée, s'interposa alors en venant se planter devant moi, tournant le dos à la furie.

- Non ! Qui que vous soyez, ne tirez pas. Il y a eu assez de sang ici pour ce soir.

Elle semblait trop faible, trop fragile, trop douce et trop bien habillée pour être une guerrière et avait été prise d'effroi avant même que je n'arrive ; elle ne simulait donc pas et si elle tournait le dos à cette femme c'était qu'elle lui faisait confiance. Elle fit le tour de la scène du regard, le dégoût passant sur son visage en même tant que l'affolement commençait à la faire trembler comme une feuille - à moins que ce ne soit le soulagement.

- Baissez votre arme, par pitié.

Elle avait levé la main vers moi pour manifester son inoffensivité et son souhait d'apaiser les tentions mais j'avais déjà baissé mon arme. Je ne souhaitais pas l'effrayer davantage et leur manque d'intérêt envers le pirate m'avait convaincue qu'elles ne lui souhaitaient pas de mal. Je fis un signe de tête aux deux femmes pour les rassurer tout en replaçant l'arc sur mon dos et la flèche de mon carquois et décidai de contourner le cadavre devant nous pour m'approcher de l'homme qui apportait lui aussi une charmante note de rouge à la pièce.

- Tu vas bien Sirius ?

Je lui tendis une main pour l'aider à se tenir. Il n'allait bien évidemment pas bien mais je ne savais pas exactement quels coups il avait reçu et souhaitais l'aider.

- Non ! Je relevai la tête, cherchant l'origine du couinement pleurnichard qui venait de résonner. C’est des méchants, ils doivent mourir, tous, tous ! Tous mourir ! Tuez, tuez-les !

J'avais tendu le cou pour observer le lit. Sous les couvertures. Le jeune gouverneur à n'en pas douter. Au timbre de sa voix plus jeune que je ne l'avais imaginé. Il semblait trembler lui aussi, les draps s'agitant nerveusement.

- Ils ont été abattus, je ne veux de mal à personne, je suis venue en toute fraternité apporter mon aide à cette cité et aux autres. Puis je réitérai ma question, moins pressante que la première fois comme la situation s'était selon moi apaisée. Que s'est-il passé ici ?

Il prit un regard mauvais et pétillant, un sourire hideux déformant sa bouche.

- Héhé, c'est pourtant évident, non ? J'ai tué ces gardes pour enlever le gouverneur et sa sœur, mais une vaillante héroïne est arrivée à la dernière minute pour contrecarrer mon plan.

Une enlèvement ? Une vaillante héroïne ? Il avait lui-même tué ces gardes ? Mais l'ynorienne... Quelle était cette grotesque mise en scène ? Sous mes yeux ronds de surprise il s'empara de l'enfant et le balança sur ses épaules comme un vulgaire sac de patate, le faisant alors beugler de plus belle. La jeune femme dans le coin de la pièce eut un sursaut mais ne s'agita pas. La soeur du gouverneur... ?

- Toi, la balafrée, se retournant vers la sortie il fit face à l'assassin ynorienne, décampe d'ici ou joue le jeu. Je vais emmener notre cher gouverneur en voyage diplomatique. N'oubliez pas d'envoyer des hommes à mes trousses, princesse. Andel'Ys aura ses renforts.

Andel'Ys ! Attirer les hommes sous prétexte d'un enlèvement ! Tout en laissant la soeur seule dirigeante de la cité en l'absence du gamin ; brillant. A l'instant où je compris je ne pu m'empêcher un haussement d'un sourcils accompagné d'un début de sourire très appréciateurs. Il était plein de ressources le bougre, et moins lourdaud qu'il n'y paraissait.

- Il a raison. C’est la seule solution… fit la tueuse en attendant l'approbation de celle qui devait être la princesse.

- Très bien, souffla Honoka à l'adresse du pirate, je me fie à vous, étranger. Mais ne lui faites pas de mal. Et vous, pitié ne révélez jamais ce qui s’est passé ici ce soir.

L'enfant gouverneur lui, ayant sans doute espéré une quelconque aide de sa soeur, hurla à s'en étouffer pour s'échapper des bras de Sirius qui l'emmenait.

- Lâche-moi, sale traître. Tu seras pendu, ta tête sera tranchée, et on pendra tes entrailles sur les muuuuurs ! Méchaaaaaaaaaaaaaant ! Traiiiiiiitre ! A l’aiiiiiiiiiide !!!

Mais l'homme n'en avait que faire et déjà il se lançait dans les couloirs. Sur le pas de la porte je manquai de peu bousculer une jeune femme typée nosvérienne. Complètement perdue, elle nous regardait sans savoir ce qu'elle devait faire et ce qui se passait réellement. Une domestique ?

- Je ne comprends pas vraiment ce qui se passe ici, mais si vous m’indiquiez où je serais la plus utile, je m’y rendrais séance tenante !

Ou une aventurière arrivée comme moi au milieu d'affaires qu'elle ne comprenait pas ; voilà qui tombait bien.

- N'ayez crainte, je pars à sa poursuite ! hurlai-je à l'adresse des ynoriennes en me lançant effectivement après Sirius.

Puis alors que je partais dans le couloir, je m'adressai par dessus mon épaule à la nosvérienne.

- Prévenez la garde, des soldats, n'importe qui, vite, il va sûrement tenter de passer le portail magique ! Que tout le contingent soit envoyé pour sécuriser le portail voire fouiller Oranan !

Il allait dans la même direction que là d'où j'étais venue ; pourquoi donc ? Un complice l'attendait-il ? Je me remémorai les élégants chevaux ailés que j'avais pu voir un moment plus tôt. Il avait peut-être lui aussi un sifflet et dans l'idée de s'échapper vers Andel'Ys de cette manière.

Il avait rangé ses armes mais je gardai mon arc en main, prête à tirer. Je n'étais pas encore persuadée de la nature de ma cible. Ce bain de sang devant la chambre... Était-ce son œuvre ? Était-ce vraiment nécessaire ? Enlever l'enfant était une chose, massacrer de pauvres innocents en était une autre... Je m'étais vite rendue à son niveau, à distance respectable pour feindre de chercher à l'arrêter tout en pouvant lui adresser un mot. Il n'avançait pas encore très vite, prudent. Avec le gouverneur qui continuait de geindre et crier il valait peut-être mieux foncer droit devant...

- Sirius ! Je te prends en chasse et pourrai sauver la situation si des gardes vous tombe dessus. Sirius... As-tu tué ces gardes ? Es-tu sûr de ce que tu fais ? Comment compte-tu rallier Andel'Ys ?

Mon coeur palpitait. La princesse était d'accord, l'enfant était sauf, l'assassin, dont Chihiro devait être le nom, était au service d'Honoka... Ces morts ne prenaient toutefois toujours aucun sens pour moi. De la légitime défense ? Je n'y comprenais rien. Si Sirius était arrêté, il était condamné. Vu l'état du paquet qu'il transportait négligemment sur son épaule et le caractère a priori en soi déjà fort peu plaisant du gouverneur, tous les mots de la princesse n'aurait su gracier le pirate et lui éviter la pendaison, comme le promettait de bon coeur l'enfant, s'il était pris. Et à Andel'Ys ? Et pour retourner à Oranan ? Il allait bien falloir qu'il repasse par Fan-Ming un jour ou l'autre ; il était fichu.

- Aucune idée ! J'improvise au fur et à mesure !

Je lui fis les yeux ronds. Déjà nous passions l'angle d'un autre couloir, puis un escalier et nous passâmes devant une salle qui abritait ce côté-ci du portail. En une fraction de seconde je tournai mon arc vers l'embrase de la porte car une Ynorienne armée y était apparue mais elle se contenta d'un signe de tête et ferma sa porte sur nous. Perplexe, je ne perdis toutefois pas un instant car j'entendais des bruits de pas et des cliquetis métalliques qui ne venaient pas d'éventuels poursuivants au sens propre puisqu'ils montaient devant nous. Nous entamions un deuxième escalier quand Sirius fit un arrêt hésitant. Un groupe de gardes nous barraient la route, sans que je puisse réussir à cerner combien ils étaient. Ils se jetèrent sur lui à coup de lances.

- Eh ! Arrêtez-le !

L'un des gardes, me voyant aux trousses du renégat, en appelait à mon aide pour les aider à récupérer le gouverneur et punir sont enleveur. Devais-je les aider, capturer Sirius, et essayer de les convaincre de me laisser l'emmener ? C'était trop risquer ; ils n'allaient pas m'accorder autant de confiance, ils n'auraient eu aucune raison de me laisser le criminel. Foncer dans le tas avec ? Le couloir était trop étroit et la mêlée m'empêchait de pouvoir tirer sans risque. Par ailleurs je ne souhaitais véritablement blesser personne. Nous n'avions pas le choix, nous devions nous sortir de là et vite, faire machine arrière et trouver un espèce dégagé... Quelle sotte j'avais été de penser qu'il avait réfléchi plus loin que le bout de son nez !

- Hé ! Passe ! lança le pirate.

Avant même d'avoir esquissé le moindre geste je me retrouvai à moitié écroulée sous le poids soudain de l'enfant qu'il venait de jeter sur moi.

- A MOIII ! LACHEZ MOIIIII ! GAAAARDES ! GAAAAARDES !

Je refoulai le millier d'imprécations qui me montèrent à la gorge et me contentai de cracher au sol plutôt que de jurer d'ignobles choses sur les compétences intellectuelles de Sirius et son efficacité.

Je n'avais plus le choix. J'allais être démasquée. Je devais partir au plus vite avec Teruki ; au moins si je croisais d'autres personnes je pouvais toujours prétendre ramener l'enfant en sûreté ? Je pouvais aussi partir avec Teruki et laisser Sirius mais ce n'était pas ma solution préférée. Je jetai le gouverneur par dessus mon épaule, renonçant à cette occasion à me battre convenablement, et jetai un coup d'oeil autour de nous. Les sifflets étaient notre seule solution. Notre seule échappatoire était une fenêtre. A quel étage étions-nous ? Pas bien haut en théorie. On pouvait toujours appeler les chevaux dehors ; au pire, il allait fallait essayer en vol...

- LE SIFFLET ! hurlai-je en espérant qu'il en avait reçu un et sans souhaiter de détail ; jusqu'au dernier instant les gardes devaient être confus et ne pas s'attaquer à moi.

Était-ce bien la peine de prendre des pincettes ? S'il ne comprenait pas ce que j'attendais de lui c'en était fini, il ne fallait pas compter sur sa perspicacité. Tant pis pour la couverture.

- SUIS-MOI !

J'aurais mieux fais de le laisser tomber.

Le gardes l'empêchaient d'avancer mais pour l'instant nous pouvions toujours prendre nos jambes à notre cou dans l'autre sens, prendre un autre chemin. Je priai pour que la salle du portail ne soit pas elle-aussi en sous-sol comme elle l'était à Fan-Ming. Il nous fallait une fenêtre. Je n'y avais pas prêté attention. Avec la frénésie de l'adrénaline, le gamin braillant sur mon dos, je me ruai à la recherche de la première fenêtre possible, me saisissant du sifflet dans ma main libre, prête à souffler. Je doutai que l'on puisse invoquer ces créatures en intérieur.

- FAIS-MOI CONFIANCE ! cria-je pas-dessus mon épaule.


(((Si on croise une fenêtre je tente aussitôt de me jeter au travers en mettant les avant-bras devant pour briser le verre et j'appelle un cheval ailé pour nous emporter aussitôt.)))