Une petite clochette retentit lorsque la porte d’entrée se referma. Algar et Toralgam se rapprochèrent du comptoir, puis patientèrent quelques instants. Une femme, âgée et de petite taille, vint alors à leur rencontre.
Fridriche! s’écria t-elle, des clients sont arrivés!
Elle esquissa un bref sourire aux visiteurs, puis disparut dans l’arrière boutique.
Ca, c’est sa femme, glissa Algar d’un air amusé au jeune garçon. Elle perd un petit peu la boule… elle ne m’a même pas reconnu.
La pièce retrouva brièvement le silence dans laquelle elle avait accueilli les deux hommes. Cette dernière était coquettement décorée et un agréable jeu de lumière, lui donnait une atmosphère joviale.
Le parquet de la salle voisine grinça soudainement et Algar recula de deux pas.
J’espère que tu sais courir Toralgam, rétorqua le vieil homme, d’un brun moqueur.
La porte de derrière s’ouvrit et une gigantesque ombre apparut. Un homme immense entra alors dans la pièce et les fixa longuement. Il était complètement chauve et anormalement gros. Il semblait légèrement plus jeune que sa femme, mais ses capacités physiques étaient sans doute tout autant altérées. De nombreuses rides lui rongeaient le visage et ses yeux, partiellement cachés par d’épais sourcils grisâtres, lui conféraient un air songeur.
Bonsoir messieurs, lança faiblement Fridriche en regardant Toralgam.
Puis, il se figea en apercevant Algar.
Quel culot tu as à pénétrer chez moi espèce d’ingrat!
Le visage de l’éleveur se ferma et il se mit à frapper viollement le sol avec ses pieds.
Du calme Fridriche, si tu t’énerves tu risques de tout casser!, cria Algar.
Je pensais ne plus te revoir par ici jusqu’à la fin de ma vie. Comment oses-tu te présenter à nouveau devant moi!
Le grand homme continua son étrange gestuelle si bien que quelques lattes commencèrent à se fissurer. Ensuite, il s'arrêta et couru en direction d'Algar, qui l'esquiva sans difficulté. L'hôte de ces lieux ne fut arrêté que par le mur opposé à sa course. sonné et endolori, Fridriche fit un bref mouvement de tête, puis se retourna à nouveau en direction des visiteurs.
Mais que se passe t-il Algar? Qu’avez vous fait à cet homme pour le mettre dans cet état?
Je t’expliquerai ça tout à l’heure Toralgam, mais pour l’instant il vaut mieux que tu te prépares à quitter la ferme. Je ne pensais pas que Fridriche réagirait de cette manière après tant d’années.
Algar et Toralgam se rapprochèrent doucement de la sortie. Fridriche, quant à lui, bondit à nouveau sur le vieillard.
Tu vas me le payer goujat!
Fridriche rata une nouvelle fois sa cible et s'écrasa contre un mur porteur qui s'effondra, accompagné d'une partie de la ferme.
Les deux hommes qui étaient sortis juste à temps, restèrent immobile devant un tel spectacle.
Mon dieu Algar… cet homme vient de se tuer.
Ne t’inquiète pas Toralgam, Fridriche est plus résistant que ne laisse le supposer son âge.
Mais pourquoi vous attaque t-il comme cela?
Eh bien une vieille histoire lui est toujours restée au travers de la gorge. Il y a de ça une trentaine d’années, j’avais de graves problèmes d’argent. La Smerald était alors en plein recrutement et c’est à ce moment que j’ai décidé de rentrer dans leurs rangs. Une seule chose était alors demandée pour valider l’adhésion; il fallait que je possède une monture de qualité, capable de prendre part à de rigoureux combats. N’ayant d’autre choix, il m’a fallu en dégoter une et peu importe la manière. Malheureusement, je n’avais pas les moyens d’acheter un spécimen en toute légalité et s'ajouta à ça le fait que la Smerald ne me laissait pas le temps d’en apprivoiser une.
Vous avez donc décidé de dérober une monture à Fridriche. Ai-je tort?
Tu as tapé dans le mille mon garçon. Je lui ai volé un cheval alors qu’il labourait ses pâturages; juste devant ses yeux. Il n’a jamais oublié mon visage et des mois durant, décidé à me retrouver, il m’a recherché activement. Des affiches ont même été déposées dans la ville et il m’a fallu la quitter quelques temps. Depuis le monde m’a oublié, excepté Fridriche, qui n’a jamais digéré ce revers.
Mais alors, pourquoi êtes-vous revenu le voir?
J’ai toujours regretté mon geste. Je suis un homme qui aime les principes et cet épisode est un des plus noirs de ma vie. Fridriche est connu pour considérer ses montures comme ses enfants. Chaque fois qu’il se sépare de l’une d’entre elles, c’est un véritable déchirement pour lui. Ce jour là, je lui ai volé bien plus qu’un animal: je lui ai pris une partie de son âme.
Et de quelle manière comptiez-vous vous excuser après une si longue période?
Je possède toujours ce cheval qui est devenu un de mes plus importants symboles. Il commence à se faire vieux mais il est toujours en bonne santé. J’ai dans ma poche une bourse de trois cent yus que j’aimerais donner à Fridriche, comme une sorte de mea culpa.
La carcasse de la maison trembla tout à coup et le corps de Fridriche s'éleva au dessus de cette dernière. Il semblait s'être calmé, mais son regard, perçant et songeur, ne rassurait pas Toralgam pour autant
Attend moi un peu plus loin Toralgam; je vais m’excuser auprès d’Algar et de sa femme pour le mal que je leur ai causé pendant tout ce temps.
Toralgam se retira quelques minutes et partit observer les montures qui s’abreuvaient non loin de là, à un petit point d’eau. Il y avait de nombreux chevaux, ainsi que quelques poneys. Un cheval attira tout particulièrement les yeux du garçon. Il se trouvait à l’écart du groupe, de l’autre côté du pâturage. Sa robe était d’un noir sombre et enivrant. paradoxalement, sa crinière ainsi que sa queue, étaient d’un blanc écarlate et brillantes comme de la soie. De plus, sa taille était légèrement plus importante que ses congénères. Le jeune garçon était émerveillé par la beauté de l’animal et l’observa pendant un long moment avant d’être interrompu par Algar, qui le rappelait au loin. Il rejoignit le vieil homme ainsi que les deux propriétaires de la ferme.
L’affaire est arrangée Toralgam. Je me suis profondément excusé auprès de Fridriche et ce dernier a accepté de nous venir en aide.
En effet, j’ai simplement demandé à Algar, ici présent, de me prouver que la monture, qu’il m’avait dérobée il y a de ça une trentaine d’années, était toujours en vie. Il m’a donné sa parole et m’a en contrepartie donné une bourse de trois cent yus, qui équivaut au tarif que nous proposons dans notre lieu d’élevage. Je peux donc considérer qu’il vient enfin d’en faire l’acquisition, légalement. Algar m’a fait mal, mais aujourd’hui, il vient de suturer les dernières cicatrices qui alimentaient cette blessure.
Les deux hommes rirent longuement, comme pour effacer une bonne fois pour toute les vieux démons qui les hantaient.
De toute manière, je n’ai plus l’âge pour garder enfouie en moi une rancoeur éternelle envers des faits aussi anciens.
C’est tout à votre honneur, lança alors Toralgam.
Mais trêve de plaisanteries. Revenons à nos moutons, enfin… à nos montures. Algar m’a dit que tu en recherchais une.
Oui effectivement, j’aimerais acquérir une monture, enfin plus exactement un cheval pour m’aider dans mon périple.
Tu as frappé à la bonne porte, même si elle est actuellement en dessous de ce tas de gravas.
Les trois hommes se mirent à rire suite à la boutade de Fridriche.
Mes montures sont parmi les plus robustes du continent. Quelque soit le cheval que tu choisiras, il saura t’accompagner valeureusement dans ton voyage. Néanmoins, Algar m’a fait part de ta situation économique et je ne peux pas me permettre de te léguer une de mes bêtes gratuitement. C’est pour ça que j’ai pensé à une autre solution. As-tu eu l’occasion d’observer l’enclos derrière toi, demanda Fridriche au jeune garçon.
Oui, je l’ai contemplé tout à l’heure et de magnifiques chevaux y sont entreposés.
Exactement, les bêtes présentes dans cet enclos sont superbes… malheureusement, je ne les ai pas mises ici pour leur plaisir, mais parce que se sont des cas compliqués qu’il m’est difficile de gérer. Blessures, problèmes comportementaux ou encore anomalies génétiques sont de bons exemples des soucis que connaissent ces animaux. Lorsque l’un de ces problèmes touche un spécimen de mon élevage, il le rend invendable. De plus, n’ayant pas le coeur à m’en séparer brutalement, je le place dans cet enclos où il peut vivre à peu près normalement avec la compagnie de montures lui ressemblant. A cause de toutes ces choses, j’ai une proposition à te faire: je te laisse choisir une de ces montures et si elle t’accepte, je te laisserai partir avec. Je dis bien si elle t’accepte, car à cause de cette mise à l’écart forcée, ces animaux sont très difficiles à monter et il faut parvenir à gagner leur confiance. Te sens-tu prêt à tenter ta chance?
Je le suis!
Bien, alors allons jusqu’à l’enclos.
Ils se dirigèrent à proximité de ce dernier, puis observèrent les bêtes.
L’une d’entre-elles te plait mon garçon?
A vrai dire, un des spécimens m’a tapé dans l’oeil à la seconde où je l’ai aperçu; il s’agit de ce cheval noir là-bas.
Tu parles de Démos?L’éleveur se mit à glousser d’une voix rauque. C’est un pur sang et comme tu as pu le remarquer, il est en parfaite santé physique. Tu te doutes donc que ce qui cloche chez lui se situe en son comportement.
Oui effectivement, j’avais fait le rapprochement et je me demandais d’ailleurs de quel genre de problème pouvait bien souffrir ce fantastique animal.
Démos a été abandonné par sa mère à la naissance. Suite à un manque d’affection dès son plus jeune âge, il a développé un problème d’ordre sentimental qui a eu pour incidence, une fois devenu adulte, de le rendre craintif à l’égard de tout être extérieur. Comme tu peux le voir, il est à l’écart dans cet enclos, tout simplement car Il refuse toute tentative de rapprochement avec ceux qui l’entourent; qu’ils s’agissent d’hommes ou d’autres animaux. Si ton choix est porté sur Démos, sache que ce sera très compliqué de gagner sa confiance.
Je suis décidé à relever le défi.
Bien, si tu parviens à monter sur Démos, tu pourras te considérer comme son nouveau maître.
L’éleveur se retira un instant et revint avec une selle en cuir marron.
Il faudra que tu places la selle sur son dos et que tu parviennes à grimper dessus. Bonne chance mon garçon.
Toralgam prit les outils que lui tendait Fridriche et se dirigea vers l’entrée de l’enclos. Il fixa ensuite Algar qui lui sourit brièvement avant de détourner le regard. Le jeune homme porta alors son attention sur Démos qui broutait de l’herbe au loin. Il referma délicatement la porte de l’enclos puis s’approcha lentement de l’animal. Sa présence n’avait pas l’air de déranger les bêtes qui se trouvaient autour de lui. Les pas du jeune homme étaient légers comme des plumes. Il approcha toujours plus près de Démos, d’une démarche lente et prudente dans le but de ne pas apeurer l’animal. Il déposa son arc et la selle au sol, puis s’assit en tailleur à une vingtaine de mètres de lui. Il ferma ensuite les yeux et respira profondément. Les deux spectateurs ne comprirent pas de suite ce que faisait le jeune garçon, mais l’observèrent plusieurs minutes.
Bien je pense que ça va prendre du temps, rétorqua Algar. Fridriche, allons ensemble remettre ta maison sur pied.
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Dernière édition par Le Toralgam le Mar 19 Aoû 2014 20:10, édité 4 fois.
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