Pas de bruit ou mouvement suspect ne suit le contact avec la plateforme. Pas mal de détails que je n'avais pas vu me sautent aux yeux, en revanche. Des dessins bizarres parsèment le sol, mélange de lignes multiples et de symboles tous plus ou moins reliés les uns aux autres. Une nouvelle création d'un esprit dérangé ? Qui pourrait être assez débile pour tracer autant de choses sur une surface qui n'est pas destinée à être regardée ? Ma peau sombre se hérisse lorsque le sol s'illumine en bleuté. Du bleu, encore et toujours ! Mais malgré la soudaineté de l'apparition, pas de déflagration, pas de gardien métallique sortant d'un sarcophage planqué, aucune menace. Rien.
Ou presque, encore une fois. Car à mesure que je contemple les symboles s'éclairant spontanément, une vague idée me vient. Puis une impression qui se clarifie et prend petit à petit du sens jusqu'à ce que je réalise avec stupéfaction que, pour une fois, je
sais ce dont il est question. Cette plaque... Est comme un amoncellement de missives servant à donner des ordres, qui n'attendent qu'à être envoyées à des destinataires évidents. Parce que là encore, je
comprends inexplicablement de quoi il retourne. Les autres pièces auxquelles la salle ronde donne accès contient des régiments de ces autres statues mouvantes. Dormantes. Qui ne répondront que si l'un des cristaux de commande alimente l'espace de commande et... Je sais à quoi l'objet ressemble, puisque Dae'ron l'a transporté jusqu'à la salle des vasques.
Je n'ai plus qu'à informer le Protecteur de ce que je viens de découvrir.
"
Je n'aime pas ça...", dit mon compagnon sur un ton distant, mon regard rencontrant le sien. Il fronce lentement les sourcils en me regardant, semblant chercher quelque chose sur mon visage. "
Cet endroit ne te réussit vraiment pas... Ou trop peut-être."
Face à une nouvelle hausse de sourcil de ma part, Dae'ron pousse un léger souffle contrarié.
"
Tu... Tu ne t'en es pas aperçu ? Tu viens simplement d'expliquer à voix haute le fonctionnement de cette... Chose... Comme si elle n'avait aucun secret pour toi.", lâche-t-il avec un regard méfiant envers la plateforme, l'accompagnant d'un geste m'incitant à m'en éloigner.
Je demeure sur place un instant, confus. J'ai vraiment dit ça à voix haute ? Si maintenant ces ruines me poussent à vocaliser mes pensées, qu'est-ce qui va encore m'arriver dans les prochaines heures ?! Je décolle promptement, laissant mon expression se durcir. Est-ce que cette zone de commande m'a offert cette connaissance en vertu de mon sang aldryde ou, plus grave, est-elle prête à offrir ce savoir au premier venu ? Des régiments de golems, prêts à obéir à des ordres donnés d'ici... Une véritable armée à portée de main. S'ils sont aussi fragiles que ceux du tombeau, ils constitueraient une plaie mais qu'une armée et quelques mages bien entraînés pourraient abattre. Mais s'ils sont aussi impressionnants que ceux des portes, c'est une autre histoire.
Je songe au chemin parcouru, certain qu'aucun des imbéciles d'aventuriers ne devrait être en mesure de parvenir jusqu'à cette salle. Mais dans le cas contraire... Il suffit que l'un deux ait la folie des grandeurs pour avoir les moyens de la concrétiser. Sauf si ces soldats endormis ne peuvent pas sortir d'un certain périmètre.
Lentement, j'incline la tête, frottant mon casque distraitement. J'avise le Protecteur, qui ne m'a visiblement pas lâché du regard pendant toute ma réflexion.
"
Allons chercher ce cristal."
Dae'ron ne se défait pas d'une visible inquiétude et avise encore une fois la console d'un air méfiant. Je crois deviner ses pensées et pousse un souffle agacé.
"
Je préfère le savoir dans nos mains que dans celles d'un grand abruti qui pourrait, s'il est moins gauche que la plupart de ses semblables, arriver vivant jusqu'ici.", déclaré-je en relevant et inclinant la tête. Le Protecteur hésite visiblement à partager sa pensée, ce qui me fait siffler entre mes dents. "
Pourquoi te musèles-tu encore ?"
Le brun m'observe de longues secondes, semblant peser le pour et le contre derrière ses yeux sombres, avant de répondre froidement.
"
Pour ne pas te donner d'idées regrettables, c'est tout."
Mon esprit revient brièvement sur l'échange que nous avons eu, cherchant ce qui a pu déclencher un tel commentaire. J'ai beau attendre une précision de la part de mon interlocuteur, rien ne vient. Le silence n'est troublé que par le battement de nos ailes respectives. Agacé, je jette un regard à la paroi au sol, me remémore ses capacités, et finis par faire un rapprochement simple.
"
C'est vrai que face à ces régiments, ces imbuvables aventuriers et les occupants du campement là-dehors n'auraient aucune chance... Sans parler de ces femelles horripilantes, si le sang magique se fait arme aussi facilement... Tentant...", dis-je en reportant toute mon attention sur un Protecteur extrêmement tendu, dont je vois le poing tressaillir et la mâchoire se serrer. Je plisse les yeux, venant me poster résolument face à lui. Je soutiens son regard à mon tour, laissant filtrer toute la satisfaction que me procure cette idée à l'air d'un sourire glacial et amer. "
Sache, Protecteur, que oui... Je profiterais de cette aubaine pour massacrer toutes ces créatures trop grandes, qui ne devraient pas exister...", continué-je résolument avant d'atténuer ma voix pour prendre un ton de confidence, l'accompagnant d'une légère poigne sur son épaule raide, tandis que je me rapproche pour poursuivre au niveau de sa spirale auditive. "
Si je ne t'avais jamais rencontré."
Je lui laisse le temps de digérer le brin d'honnêteté que je viens de lui lancer à la figure et finis par lui donner une légère tape amicale du revers de la main contre le bras, apercevant du coin de l’œil une expression surprise sur ses traits. Tout son visage s'adoucit lentement, mais je ne m'attarde pas davantage.
J'ai beau m'y refuser, je pense tout de même aux autres explorateurs et à ce qu'ils ont pu dénicher de leur côté. Rien d'intéressant, sans doute. Ou peut-être un piège qui en aura enfin épinglé un ou deux à mort sur une paroi poussiéreuse. Sans une parole, je prends la décision de revenir sur nos pas, retenant ma main qui semble vouloir agripper ma poitrine sans mon consentement lorsque mes pensées bifurquent contre mon gré vers Dae'ron.
[Suite]
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