Comme une huître qui se referme après nous avoir laissé entrevoir la délicate perle qu’elle dissimule jalousement dans son for intérieur, Hallena s’est tue et se contente d’en dire le minimum. La femme qui s’était confiée à moi pendant le court moment du souper est reléguée aux oubliettes pour faire place à un froid soldat. C’est donc en silence que notre petite marche nous a conduit jusqu’à l’écurie royale de Kendra Kâr. Nom adéquat pour cet endroit qui traite ses locataires comme de véritables héritiers de hautes lignées qui ne sauraient se contenter d’étroites stalles comme il est courant d’observer dans d’autres écuries.
Dès notre arrivée, un charmant homme d’âge mûr se dirige vers nous et nous salue gentiment. Hallena ignore les salutations du maître des lieux, se contentant d’examiner les animaux occupant les différents box. Je comble donc son manque d’égard envers notre sympathique hôte en répondant aimablement.
« Bonjour à vous également ! »Après avoir jeté son dévolu sur un magnifique étalon noir arborant une petite lune sur le front, Hallena tente de marchander son achat. Honnête, le marchand refuse catégoriquement la proposition de la dame aux yeux noisette malgré l’insistance de celle-ci, prétextant, avec raison, que ce cheval appartient déjà à un elfe gris prénommé Cromax.
Contrairement à ce je croyais, ma compagne s’est rendue dans cet établissement dans le but de faire un achat et non une location. Cette brillante idée m’enchante. Posséder un vaillant cheval a longtemps fait partie de mes rêves d’enfants. Et puis, avec l’argent que je viens d’acquérir, je peux largement me payer ce petit luxe.
Voyant l’insistance de l’archère pour l’achat de cet étalon, l’homme aux cheveux grisonnants, probablement expérimenté dans de telles ventes, nous emmène dans une autre aile de l’écurie où il garde, d’après ses dires, ses meilleurs spécimens. Stratégie concluante, puisqu’en peu de temps, la dame tatouée choisit un étalon arborant une robe châtain.
Alors que je m’apprêtais à faire mon choix, Hallena se tourne vers moi et me fait part de son intention de m’offrir une monture. Un sourire éblouissant apparaît aussitôt sur mon visage. Bien que cette jeune femme manque quelques fois de manière, elle semble reconnaissante envers les gens qui lui viennent en aide, ce que j’apprécie beaucoup, surtout si c'est moi qui en bénéficie.
« Lorsque je vous ai offert mon aide, je n’avais aucunement l’intention de vous demander de paiement en retour. »En fait, mon geste n’est pas le moindre du monde gratuit, j’en tire déjà profit. Je suis en effet prêt à l’aider aussi longtemps que possible, si cela peut me permettre d’éviter la solitude comme compagne.
« Je n’ai jamais refusé un cadeau, et je ne commencerai pas aujourd’hui, je ne vous ferai pas cet affront. » (De sa générosité par conséquent, je vais profiter sans gêne.)Ce disant, je m’approche d’elle, lui prends délicatement la main droite et lui appose un petit baiser, tout en la regardant dans les yeux.
« Votre geste est très apprécié, je vous remercie de tout cœur. »Je la relâche ensuite galamment et fais deux pas en arrière. Je commence à la connaître suffisamment pour savoir que je ne dois pas trop insister dans les rapprochements. De son côté, elle devra s’habituer également à mes bonnes manières, je n’ai pas l’intention de changer ma façon de faire.
Il ne me reste donc qu’à choisir la monture qui me conviendra le mieux. Je ne connais pas grand-chose aux chevaux. Certes à l’adolescence il m’arrivait d’emprunter, en cachette et avec la complicité de ma mère, le cheval de mon père, mais ces quelques randonnées clandestines se sont avérées insuffisantes pour faire de moi un cavalier hors pair et encore moins un connaisseur de l’espèce chevaline. Ce dernier point n’a tout de même pas lieu de m’inquiéter puisque le maître d’écurie qui nous a accueillis est sans contredit un expert en la matière. Le regard bleu bienveillant qu’il porte sur ses protégés me confirme son amour pour les chevaux. C’est sans doute à la sueur de son front passablement ridé et à l’aide de ses muscles entraînés qu’il s’évertue à les soigner. De plus, les box sont propres et bien entretenus, chaque cheval dispose d’une mangeoire, d’un abreuvoir et le sol de terre tapée est recouvert de paille fraîche exempte de crottin.
Après avoir ramassé quelques pommes dans le panier probablement destiné aux pensionnaires chouchoutés, je m’approche d’un éblouissant cheval, noir de la queue jusqu’au bout de son museau. Roméo, si j’en crois le nom tracé sur l’écriteau de son box, est un cheval de fière allure quoi qu’un peu nerveux. Je tente de le faire approcher en lui présentant le beau fruit charnu. Rien à faire, il préfère rester à l’écart, devenant de plus en plus agité. Afin de ne pas l’effrayer davantage, je recule de quelques pas, et m’adosse contre le demi-mur du box faisant face à celui de Roméo. Quelques secondes passent. Alors que j’allais faire une seconde tentative, je sens d’abord un souffle dans mon cou, puis je me sens pousser par le museau d’un autre cheval sans doute intéressé par la pomme. Je l'ignore, mais cet animal insiste et me touche encore une fois l’épaule, je me tourne alors prestement afin de voir quel est ce cheval importun.
Révélation ! Devant moi se tient fièrement une sublime jument. Calme, mais énergique, elle ne semble pas intimidée par ma présence. Moins craintive que le mâle, elle est intéressée par la collation que je tiens dans ma main gauche. Subjugué par cette beauté à la soyeuse et longue crinière, je m’approche doucement. Sans hésitation, elle s’empare du fruit souhaité et demeure là, à ma portée, se laissant frotter le chanfrein. Tout en la caressant, j’en profite pour mieux l’examiner. De haute stature, Anabella, comme l’indique son affichette, arbore noblement un robe entièrement rousse si ce n’est quelques touches blanches aux pattes plus précisément de la couronne jusqu’à la pointe de ses jarrets .
Les yeux pétillants, je lui susurre:
« Pour moi, tu seras Bella »Me tournant ensuite vers le marchand, je lui adresse enfin la parole :
« Je vais vous départir de votre plus belle jument. Je veux également vous acheter un sac et une selle. Pour cette dernière, je suis prêt à payer le prix afin d’avoir une selle confortable. »Je jette ensuite un bref regard vers Bella avant de poursuivre :
« Et pour finir, j’aimerais aussi me procurer un nécessaire de toilettage afin de la brosser et la peigner adéquatement. »