Une odeur de plus en plus persistante de défections équestres s’oppose à mon doux parfum de rose lorsque j’approche des écuries royale de la Capitale. Quelques sons caractéristiques des chevaux et autres équidés s’accrochent à mon ouïe comme autant de souvenirs lointains. Un peu naïvement, je tente de reconnaître Lune parmi ces hennissements, chocs de sabots ferrés contre la paille sèche des boxes, ou autre rabrouements divers. En vain, je dois vite m’en faire raison. Et je me remets à ma vue, lorsqu’impatient et nerveux, je passe la porte de l’établissement royal. Ici, je sais que Lune a été bien traité, même s’il n’a pas fait de longues chevauchées depuis bien longtemps. Il est temps, désormais, de remédier à ça, et je m’avance, scrutant tout autour de moi, pour repérer mon canasson.
Instinctivement, je fouille mes souvenirs pour me rappeler le box qui lui avait été alloué, mais lorsque les réminiscences de ma mémoire m’indiquent sa position, et que je me tourne vers lui, il ne contient plus le fier étalon que j’ai laissé là. Il est vide, d’ailleurs. Quelque peu déçu, je m’avance un peu plus, et un garçon d’écurie finit par venir à ma rencontre. Je le surplombe de ma haute taille, et mon regard noir sans doute trop sévère se pose sur lui et semble l’impressionner. Il m’adresse cependant la parole, écartant d’une main nerveuse deux mèches châtain qui lui barrent le visage, et révélant à ma vue un visage plus juvénile encore que je ne l’avais cru, marqué de petites taches de rousseur.
« Bonjour m’sieur, j’peux vous aider ? »
Soucieux de ne pas paraître pour plus que je ne suis, un simple être vivant aux abords, je crois, agréables, je me pare d’un sourire poli avant de lui répondre d’un ton aimable.
« Bonjour, je crois que tu peux m’aider, oui. Je cherche un étalon nommé Lune que j’ai laissé en pension ici voilà plus d’un an. Je me nomme Cromax. »
Le regard que le petit me jette malgré lui est teinté de reproches muets. Abandonner un canasson ainsi sur une si longue période n’est pas digne d’un bon propriétaire, et je vois là tout le respect qu’il voue à ce noble animal. Je ne cherche cependant pas à me justifier devant lui, et c’est à son tour qu’il prend la parole, d’un ton un peu trop soupçonneux à mon goût.
« Cromax comment ? »
La question me frappe de plein fouet. Cromax comment… J’ignore tout de mes origines, et ce petit est sans doute le premier à me faire prendre conscience de l’absence de tout nom de famille. Aucune attache, à rien ni personne, en ce bas monde. Voilà le sort auquel j’ai été, dès ma naissance, destiné. Mon cœur se serre, tout comme ma mâchoire, mais je ne veux pas accabler ce petit de mes problèmes internes. Je tâche de reprendre un sourire correct avant de répondre sur le ton de la conversation.
« Juste Cromax. Le registre de l’écurie ne devrait rien contenir de plus. »
Il darde vers moi un regard douteux, avant d’esquisser un petit geste de la main.
« Je n’ai pas besoin de registre, c’est moi qui me suis occupé de votre cheval. C’est un bel animal que vous possédez là. »
Je sens tant le respect poindre dans sa voix que le regret de devoir bientôt se séparer de son compagnon d’une année. Il se détourne cependant de moi sans plus un commentaire, et m’emmène plus loin dans la rangée de boxes. Assez vite, à travers les barreaux de bois, je perçois la présence de Lune, non loin. Je m’approche, aux suites du petit, et un petit hennissement retentit, alors que mon étalon tourne la tête vers moi. Je souris, satisfait qu’il m’ait reconnu. Il n’a pas l’air nerveux, et semble en parfaite santé, le poil lustré et la queue tressée. Le petit s’en est bien occupé, et j’en suis pleinement satisfait. Le garçon attire d’ailleurs mon attention vers lui en émettant une ultime injection :
« Voilà, il est à vous, je vous le laisse. »
Je perçois un peu de rancœur dans son ton, et je glisse la main dans ma bourse pour en sortir quelques pierres précieuses, que je tends au jeune homme.
« Tu t’en es bien occupé, voilà pour toi. Je te promets de venir te rendre visite en compagnie de Lune au plus vite. »
Surpris, il regarde les pierres, hésitant à les prendre, et finit par les accepter avec un sourire retrouvé sous le coup de ma promesse. Il me salue silencieusement de la tête avant de déguerpir à d’autres tâches, me laissant en compagnie de mon compagnon d’antan, le plus fidèle que j’ai eu jusqu’ici. Son matériel est accroché dans un coin de son box, et je lui enfile patiemment, tout en caressant lentement son encolure ébène. Il frémit sous mon contact, et je le devine heureux de me retrouver. Sans doute n’est-ce qu’une transposition de mon propre bonheur. Sans m’en apercevoir, je me suis mis à sourire.
Une fois fin prêt, j’attire Lune vers la sortie des écuries, et je jette un dernier regard au jeune garçon d’écurie, déjà occupé à d’autres tâches. Je ne connais même pas son nom… mais ce n’est pas l’heure de s’en soucier. Des choses bien plus graves m’attendent, et sitôt sorti, j’enfourche mon canasson, sous le regard jaloux du garçon d’écurie…
Et je m’éloigne au pas, dans les rues pavées de Kendra Kâr, me dirigeant vers les portes de la ville.
_________________
|