Si elle ne peut lui accorder confiance au sujet de ses motivations, elle peut tout de même la suivre et l'aider dans ses recherches, dans sa traque. Dans cette cave sombre et humide, les deux femmes accordent un regard insistant au cadavre. Qui sont ces types ? Comment ont-ils su pour le coffre ? Cette mission, confiée dans le soupir d'une dernière volonté, protégé par le secret d'une chambre mortuaire.
Gez' s'avance enfin vers le corps sanglant et le palpe jusqu'à lui prendre sa ceinture qu'elle brandit tel un trophée. Elle déclare alors :
"Grâce à cela ! J'ai un ami qui peut nous aider… suis-moi."
Elle place un bref instant l'objet sous les yeux d'Inès, qui n'a que le temps de voir un morceau de tissu gris, puis remonte quatre à quatre les escaliers. Elle se retourne avant d'ouvrir la porte d'entrée et constate que la jeune elfe la suit, tout en se rhabillant du mieux qu'elle le peut, son pourpoint est à peine fermé, ses bottes trop grandes claquent sur chaque marche, sa corde autour du cou tel un collier d'animal de bât et son sac balançant dans sa main gauche, elle-même protégée par la targe clinquante. Cela n'affecte pas l'humaine qui ouvre grand la porte et inonde la pièce de lumière, de chaleur et de bruit. Sans attendre, elle s'engage dans la première rue et commence à expliquer les détails et l'importance de cette ceinture, tout en slalomant entre les badauds.
"Il y a quelques temps, une magicienne ou semi-déesse est apparue. Elle a troublé tous les fluides de Yuimen rien qu'en débarquant."
Inès trottine derrière et boit les paroles de la rousse sans en saisir véritablement la portée. Les passants détournent leur regard et leurs pas au passage de ce duo un peu spécial : Une humaine très légèrement vêtue et à l'apparence belliqueuse accompagnée d'une hiniönne débraillée et chargée comme un baudet. La première ne ralentit le pas que lorsque le passage ne se libère pas assez vite et son flot de parole suit la cadence de ses jambes.
"Quoi qu'il en soit, depuis son arrivée, elle et sa horde de sbires gris foutent un bordel monstre. Ils volent des artéfacts anciens, prônent une religion différente visant à renier les autres dieux... Officiellement ils n'existent pas, mais officieusement certaines cités les ont déjà remarqués et les font surveiller."
Gezabelle poursuit sa route sans hésiter, elle longe les écuries et l'hippodrome, où règne une ambiance survoltée par la passion des parieurs et une atmosphère chevaline et de crottin, pour enfin s'arrêter brièvement devant la milice kendrane. Le bâtiment est massif, il représente à lui seul la puissance de la loi et son application dans les rues de la cité blanche. Les miliciens en poste à l'entrée les laissent passer, sans piper mot mais leur regard se montre insistant. La sauvageonne ne leur accorde pas un seul regard ou sourire et continue sur le même rythme, comme si elle déambulait dans sa propre maison. Inès, quant à elle, leur adresse un sourire poli et gêné mais ne lâche pas les talons de sa guide. Elles tournent à droite, puis prennent le deuxième couloir de gauche où l'elfe blanche aperçoit par les portes à peine ouvertes des miliciens ou habitants en pleine conversation, elles traversent finalement un troisième couloir avant d'échouer devant une porte close. Gezabelle se redresse et toque franchement. La réponse, d'une voix ferme mais jeune, ne se fait pas attendre et le duo entre dans une pièce aux murs recouvert d'étagères débordantes de dossiers et parchemins et où trône en son centre un bureau tout aussi chargé de documents divers et variés. Derrière ce bureau, un jeune humain à la stature guerrière esquisse un sourire en reprenant place dans son siège.
"Diantre, Emma, que fais-tu là ?"
Inès écarquille légèrement les yeux tout en serrant les bords de son pourpoint de cuir. Les deux semblent se connaître mais le prénom employé ne correspond pas à celui qu'on lui a donné. D'ailleurs, son accompagnatrice marque une légère moue avant de le reprendre :
"Gezabelle."
Le sourire de l'homme se transforme en un éclat de rire soudain et un tantinet moqueur qu'il parvient tout de même à calmer rapidement pour répliquer :
"Oui, comme tu veux… Que viens-tu demander ?"
Inès n'a plus aucun doute, les deux se connaissent suffisamment pour faire fi des conventions. Le gradé qui se tient devant les deux femmes est aussi grand qu'Inès, brun aux yeux perçants, le port altier et l'assurance d'un jeune homme doué et respecté. Ce qui n'impressionne pas un instant Gezabelle…
"Qui dit que je viens te soutirer quelque chose ? Je peux vouloir être avec toi…"
Le soldat l'interrompt sans plus de cérémonie :
"Gezabelle, Emma ou Lilyana… peu m’importe le nom que tu lui as donné." Il désigne Inès d'un rapide et léger geste de la main. "Je te connais et tu le sais. Viens en droit au but."
La rousse perd son sourire enjôleur et dépose la ceinture grise à bordure noire sur une pile de papier, sous les yeux de son interlocuteur, sans ajouter un mot. Il fronce les sourcils et s'en saisit pour l'observer avec attention. Inès, quant à elle, ne rate aucun détail de cette scène qu'elle comprend à peine. Tout ceci est bien loin du confort des habitudes quotidiennes de Cuilnen, elle se retrouve plongée dans un monde inconnu, au cœur d'une intrigue dont elle tient un rôle d'importance, sans même s'en rendre compte, pour un coffre au contenu qui lui est inconnu. Il l'est probablement que pour elle. Elle soupire et dépose son sac et sa corde à ses pieds, en silence, laissant l'humain dans sa contemplation. Il finit par relever la tête et fixer ses deux visiteuses.
"Que leur veux-tu et qui est-elle ?"
Il scrute Inès de la tête aux pieds. Celle-ci maintient son regard et le jauge à son tour, sans hésitation ou gêne.
"Elle… Elle, elle vient de Cuilnen et aimerait bien récupérer le coffre qu'elle s'est fait voler par un de ces types qu'elle ne connaît ni de Gaia, ni de Yuimen. Et vous ? Vous êtes qui ? Vous pouvez m'aider ? C'est qu'elle m'a prétendu mais je ne sais pas si je peux encore la croire avec tous ces mensonges…"
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