AvantTraversant la cité, il arriva enfin au poste de garde où le milicien à l'accueil le reconnut, ainsi que son compère qui avait guidé le précepteur plus tôt dans la journée. Effectivement, il fut fort clair qu'ils étaient de faction jusqu'à la mi-nuit, avant que la relève n'arrive, donc environ dans deux heures et demi, à vue de nez. L'été avait cela pour avantage qu'il faisait jour plus tard : quoique déjà, la nuit était tombée et le Soleil presque disparu à l'horizon.
- Vous n'avez qu'à vous joindre à nous pour la dégustation de ce bon vin, proposa le précepteur aux deux compères. Ne vous inquiétez pas, ça ne durera qu'un instant : juste un verre chacun, pour vous récompenser. Allons, j'insiste.
Et il ne fallut pas davantage les convaincre. Au fur et à mesure qu'il descendait les marches, Humbert se demandait si ce qu'il faisait était tout à fait juste. Mais il savait en revanche que Jules n'avait pas fait de mal à la petite, que le Baron se trompait souvent dès lors qu'il sentait sa famille menacée – Helboldt lui-même avait été emprisonné à tort sur un simple soupçon. Et il savait ce que Simona lui avait demandé : elle pourrait le couvrir et son plan, en principe, était sans faille.
Arrivé en bas, tous les regards se tournèrent vers lui, ravis de le voir débarquer avec son précieux chargement. Il le posa au sol et indiqua :
- Prenons chacun un verre. C'est le Baron qui offre !
Ils avaient l'habitude, sans doute, de boire du vin pendant leurs tours de garde, afin de rester éveillé, mais pas de ce type. (Ni la qualité ni l'effet ne seront semblables...) Il servit un verre à chacun, leur intimant de ne rien boire seul et d'attendre que chacun soit servi. Il restait un petit fond. Se tournant vers eux, son propre verre à la main, il le leva et s'exclama :
- À la Baronnie ! À la Milice !
Les miliciens reprirent en cœur et tous burent cul-sec le verre de délicieux vin qui leur était offert. Humbert avait bu lui aussi, mais avait pris soin de garder tout le liquide dans sa bouche sans l'avaler. Dans cette position inconfortable, il observa pendant quelques instants ses compagnons de boisson : l'effet du somnifère devait être immédiat, ou presque. Et, en effet, alors que les deux gardes invités se tournaient vers l'escalier pour remonter, ils s'effondrèrent l'un à côté de l'autre : de leur côté, après une trentaine de seconde, les dix miliciens chargés de la surveillance des détenus étaient également tous affalés. Des ronflements sonores envahirent l'espace.
Le professeur recracha son vin dans son propre verre, sentant déjà son esprit s'embrumer un peu par les quelques gouttes qu'il avait bues sans le vouloir. Il s'accroupit à côté du garde qui l'avait guidé tantôt et décrocha le trousseau de clé de sa ceinture, avant de se rendre du côté des cellules et d'ouvrir celle de Jules.
Le gamin ne dormait pas et, dès qu'il eut reconnu la silhouette qui l'attendait, il se leva et, sans bruit, quitta son cachot. Humbert referma à clé derrière lui et le guida jusqu'en haut des marches, vérifiant qu'il n'y avait encore personne. La chance devait être avec eux, mais elle ne durerait pas longtemps avant qu'une ronde ne passe par le bâtiment et ne constate l'absence des gardiens de l'entrée. Là, il le prit par les épaules et le fixa dans les yeux.
- Va vers les docks. Trouve-toi un endroit où dormir : la milice ne va pas trop chercher par là-bas, si tu fais attention, tu y seras en sécurité. Ne te fais pas de souci pour moi ou pour Simona. Et, d'ici une ou deux semaines, quitte la capitale.
- Vous vous occuperez de mamie ? Demanda-t-il, et le sang du professeur se figea. Il l'avait complètement oubliée, celle-là...
- Bien sûr, compte sur moi. File, maintenant !
Le garçon hocha de la tête, retenant un sanglot, et s'en fut dans la nuit, discret comme une ombre. Alors, Humbert hésita. Il pouvait aller voir Madame Rousselle pour vérifier si elle allait bien – elle venait de passer une journée entière sans personne... - mais cela risquait de compromettre son alibi s'il était vu. Sa respiration s'emballa, tout comme son pouls, et il retourna finalement aux cachots, replaçant le trousseau à son emplacement originel, avant de prendre son verre, le fixant durant quelques instants d'hésitation.
Et il but.
Après