Les réactions fusèrent dans tous les sens. Salymia et Oryash, à ma grande surprise, trouvèrent un terrain d’entente en affirmant suivre sans soucis Cromax mais doutant du reste de la guilde, notamment en la personne de Pulinn. J’étais assez étonné d’une telle verve à son égard. Cette elfe était certes entourées de mystères qu’elle entretenait de son mieux et semblait parfois en savoir plus sur nous que nous même, mais de là à l’imaginer comploter dans notre dos ou nous manipuler ! J’avais en estime la dame blanche qui avait toujours montré beaucoup d’attention, ainsi qu’un grand respect en ne me mentant pas et me révélant quelques secrets du temple des plaisirs lorsque les questions avaient effleurées mes lèvres. Les deux membres de l’équipe présents étaient par contre plus inclut à une tolérance sur les cachoteries des dirigeants de la guilde et ils se contentèrent d’affirmer leur confiance et leur allégeance envers Cromax.
Mais là où Mathis se contenta d’une parole simple, Duncan eu le geste surprenant de se mettre à genou pour sceller un serment de manière très protocolaire. Une grandiloquence très ynorienne que je trouvais un peu surfaite, même si elle avait le mérite de montrer la noblesse d’esprit du guerrier. Cromax semblait déstabilisé par la situation, car il pria vite Duncan de se relever avant de nous remercier pour la confiance qu’on lui donner. Il continua dans une tirade dévoilant ses intentions de direction des Amants de la Rose Sombre. Il appuya à nouveau la notion de liberté de chacun, sans contrainte dans nos actions, ainsi qu’une égalité entre tous, malgré une légère différenciation pour Pulinn et lui qui, par leur statut, sont maîtres de secrets qu’ils ne peuvent dévoiler pour la protection de la guilde. Ce discours revigorant, avec pour but d’adoucir les rancœurs de certaines et nous rassembler, se termina sur la question du sort du prisonnier shaakt, un dénommé Onyx, que Mathis avait défendu un instant plus tôt en mettant en valeur l’utilité d’un érudit présent depuis longtemps dans la guilde. Cromax approuva la volonté d’arrêter le massacre, justifiant la conduite du shaakt comme une digression sur ses opinions, et non une trahison envers nous.
(Cromax va vraiment faire un bon chef… Il arrive à nous fédérer et gérer les cas délicats.)
Admiratif, je le dévorai des yeux pendant qu’il invitait le groupe au repos, m’imaginant goûtant les parfums mâles de son cou dénudé, qui se gorgeait de sa toute nouvelle puissance souveraine. Il s’approcha alors de moi et déjà je m’aventurais dans des scènes éthérées où je lui prouvais à corps perdu, ou au contraire retrouvé, toute l’étendue de ma vassalité. Mais l’heure n’était pas encore au banquet du pouvoir et je dus freiner les ardeurs qui dressaient ce qu’on ne pouvait voir…
(hum…)
Cromax vint me chuchoter à l’oreille un précieux conseil sur quelques trésors cachés qui dépendraient de mon domaine. J’acquiesçai, avant de répondre brièvement.
« Je vais y jeter un coup d’œil. Je reviens vite. »
Je lui adressai un clin d’œil, avant de m’éloigner pour rejoindre le seuil de la chambre. Je souhaitai rapidement un bon repos à tous, puis rejoignis le couloir dans lequel régnait un calme si étrange après tant d’animation.
Avant d’aller chercher un quelconque artefact mystique dans le bureau de Grantier, je me décidai à retourner en arrière pour récupérer mes affaires cachées dans la salle du passage secret. Je traversai les lieux d’un pas lent, contemplant la débâcle du combat. Le corps de l’aquamancien gisait ensanglanté contre le mur, et une elfe blanche inanimée reposait un peu plus loin. En me rapprochant de la salle des escaliers, je vis quelques cadavres de soldats, sûrement des gardes supprimés pendant l’infiltration auxquels je n’avais pas accordés d’attention quand je poursuivais Cromax pour le rattraper. La mort s’incrustait entre les pierres de ce palais, marque indélébile d’un affrontement terrible. J’atteignis le pallier de l’escalier et entrai dans le hall, vide de toute vie, qui était à nouveau éclairé par le lustre encore suspendu.
(Un serviteur a du le rallumer pour apporter un peu d’ordre.)
Le château était anormalement silencieux. Il n’y avait plus de flashs lumineux maintenant, plus de heurts ou de cris ou même d’hurlements. Les dalles du hall d’entrée désert étaient tâchées de sang. Les cristaux du lustre chu étaient toujours éparpillés partout sur le sol parmi les morceaux de marbre et les éclats de bois. Une partie des rampes avaient été brisée.
(Où est passé tout le monde ?)
Je descendis les marches pour rejoindre le couloir juste en face. Il restait encore des corps sans vie et des membres tranchés dans ce vestibule de l’enfer où l’ire mortuaire avait éclaté d’une puissance dantesque. Au centre de ce massacre trônait le chef étêté d’un chevalier destitué pour son outrecuidance à entacher l’immaculation de notre secrète société. Dans l’arène que fut son palais, il ne put goûter plus longtemps à la vie car l’écho de la lame de mon cœur lui coupa la tête sans autre jugement dans la lice des guerriers. Sans attendre, je quittais ce paysage vermeil dont les affres sanguinaires jetaient l’opprobre sur mon âme.
Je songeais alors, en pénétrant le couloir, à la vie épargnée qui avait éclairé mon combat enragé d’une once d’humanité. A ce moment là, je perçus une présence discrète, qui sourdait finalement après une accalmie bien trop pesante. Avant même que des mots puissent être formulés, mon cœur bondit en une gaie cavalcade au contact de l’esprit doux et taquin de la faera de mon passé qui enfin me revient.
(Kristal ! Tu es là ! Tu es revenue !) (Voyons Lillith, je pensais avoir eu des mots plus marquants dans ton esprit quand j’avais brièvement surgit au clocher kendran jadis. Je n’étais jamais loin, mais te mettais à l’épreuve ; car seul tu devais avancer pour te vaincre toi-même. Mais tu as réussi à te montrer digne de ma foi et c’est éperdue de joie que je reviens enfin vers toi.)
J’étais interloqué. Déconcerté, mais heureux. Je m’appuyai contre le mur pour converser à mon aise.
(Me vaincre moi-même ? En quoi ai-je accompli cet exploit dont tu me médailles ?) (Tu devais contrôler ta magie qui envahissant ta tête en devenait le maître et te montrer digne de tes dons, sans oublier les responsabilités qui t’échoient. Tout d’abord, il y a un an…) (J’ai démontré mon talent : en trouvant le grimoire secret et en survivant au gel abyssal du permafrost piégeur qu’on libéra sur moi.) (Exactement. Tu as du manipuler avec minutie et rapidité les fluides qui te parcouraient pour en faire un écran salutaire. Ce prodige était exemplaire ! Ensuite, il y a peu de temps, tu accomplis l’apanage des puissants…) (… Comment ça ?)
Cette fois-ci, je ne compris l’acte qu’elle révérait et dus briser l’élan de synchronicité de notre échange débridé.
(Une tâche qui incombe aux Grands de ce monde : la transmission du savoir et des leçons de vie. Enseignements capitaux un futur grandi…) (Ah oui, j’ai appris à Salymia à exploiter ses fluides, et à faire de la glace une arme pour se défendre.) (Mais ce n’est pas le seul précepte auquel tu peux prétendre. Tu as transmis à Oryash ton expérience pour l’aider dans la sienne, prodiguant par là même les conseils d’une illustre consœur qui t’avait aidé par le passé.) (C’est bien vrai… Mais je sous-estimais le fait de l’avoir ainsi marquée. Heureux de savoir que ça l’aura aidée.)
Kristal sourit mentalement et je reçu cette humeur comme une pluie d’arc-en-ciel. Elle s’apprêtait à ajouter quelque chose, mais j’en avais désormais deviné la cause. Aussi je lui coupais l’herbe sous le pied en déclamant la troisième action qui à ses yeux m’avait valu la rédemption.
(Et tout à l’heure, au beau milieu du combat, j’ai su taire la froide colère qui était mienne dans la mêlée, pour laisser échapper le jeune démuni, dévoyé, terrifié…) (Oui, tu as fait preuve de compassion, malgré la furie ambiante qui par le passé aveuglait tout ton être. Désormais, de ta magie tu es enfin le maître.)
J’étais sur un doux nuage dont le moelleux divin effaçait les douleurs de toute une année. Je restais là hagard, jusqu’à ce que la petite voix, d’un ton calme et enjôleur me rappela la situation et son aigreur.
(Bon, il serait temps de soigner tes blessures, tu perds trop de sang. Tu es aussi blanc que la neige ! Ks ks ks)
Baissant les yeux, je pus constater que le tissu faisant office de bandage sur mon flanc avait déjà rougi entièrement.
(Oui mais comment ? Ma magie est épuisée, je ne saurais pas fermer la plaie. Et les autres non plus.) (Tu as dans tes affaires de quoi parait ce soucis. Encore quelques mètres et tu seras guéri.)
Faisant confiance à Kristal, je repris ma marche vers la salle d’entrainement, dans un couloir étrangement vide. Il devait y avoir ici quatre cadavres et seules les traces de sang en faisaient rappel. J’eus ma réponse en passant l’embrasure de la porte. Deux hommes avaient rassemblé les corps, leur faisant une dernière toilette par respect pour ces morts. Ils se retournèrent en m’entendant arriver, mais le spectacle qu’ils contemplèrent ne tarda pas à les terrifier. Et on pouvait les comprendre : Ils venaient de voir apparaitre derrière eux le haut du corps nu d’un homme au flanc et au bras sanglants, avec pour seuls traces de jambes qu’un bout de cuisse tout autant rougeoyant. Il ne fallait pas grand-chose pour imaginer un fantôme vestige du massacre cherchant à étancher une soif inextinguible de fureur et de sang.
(Le genre d’horreur qui malheureusement arrive souvent en temps de guerre…)
Ne désirant pas m’appesantir avec Kristal sur une discussion philosophique sur les créatures maléfiques qui parcourent Yuimen, je regardais les deux hommes en pleine thanatopraxie. Ils étaient bouche-bée et l’un d’eux, après avoir dégluti, parvint à articuler une supplique chevrotante.
« N… ne nous faites… pas de mal… s’il vous ppll….. »
Je voulus les rassurer, mais ne pouvais m’afficher mièvre. Il fallait asseoir notre ascendance et je ne me serais pas pardonner d’être la faille dans l’autorité de Cromax. Je pris un air neutre et répondit sans attendre.
« L’obéissance au nouveau maître sera votre meilleur bouclier. Maintenant, laissez-moi seul un instant. »
(Tu es dur quand même !) (Bah, ils auront de toute façon un mauvais souvenir de cette nuit. Mais tant qu’ils ne contestent pas la place de Cromax, ils seront tranquilles dans leur travail au palais. )
Les deux hommes acquiescèrent puis se levèrent pour quitter rapidement la pièce, non sans se coller au mur pour ne pas risquer un contact avec moi. Je les laissai passer, puis me dirigeai vers le fond de la pièce, au niveau des râteliers d’armes pour récupérer mon sac tassé contre l’un d’eux. Je l’ouvris et commençai à farfouiller à l’intérieur, ne sachant trop quoi faire.
(Alors ? Quel est le moyen de soigner ?) (J’ai vu que tu avais trouvé une fiole en forme de stalactite intitulée « larmes de gel », c’est une potion de soin.) (Tu m’as vraiment espionné tout du long ! Bon, elle doit être quelque part par là dans du tissu…)
Mes doigts passèrent sur les différentes fioles que j’avais dans mon sac, bien emballées dans une toile légère pour éviter un bris au moindre choc. Pendant ce temps, Kristal se lança dans un petit exposé.
(J’en avais déjà vu une fois. La légende dit que ce sont des larmes de Yuia et que leur condition divine leur confère un pouvoir curatif. Mais c’est en réalité un philtre de facture humaine où la magie des soins puise une partie de sa force dans les fluides de glace. Ca devrait être suffisant pour arrêter les hémorragies et la nature fera le reste avec le temps. )
Trouvant enfin le fameux flacon, je le débouchai, enlevai mon bandage, puis écoulai quelques gouttes sur la large blessure. L’effet fut immédiat et un apaisement survint après quelques secondes d’une douleur aigue due à la brûlure d’un froid figeant les chairs meurtris. La blessure s’était réduite et un mélange de sang coagulé et de glace achevait de la fermer. La peau tirait un peu et c’était encore sensible, mais ça pouvait bien guérir tant que je ne rouvrais pas la plaie.
(Efficace… Merci.)
J’en profitai pour laisser perler une goutte sur mon bras et une autre sur ma cuisse pour arrêter les saignements. J’avais presque utilisé la moitié du philtre, mais mes blessures n’étaient plus une menace. Je remontais mon sac sur mon épaule pour m’apprêter à partir. J’aurais bien remis mes vêtements, mais ils étaient encore humides. J’allais donc garder l’invisibilité de mes jambes jusqu’à mon coucher, ou jusqu’à faucher de nouveaux vêtements dans les chambres à l’étage.
(Bon, il faut que je remonte, Cromax m’a conseillé de jeter un œil dans une pièce qui pourrait bien cacher quelques babioles magiques intéressantes.) (En route alors, mon petit cryomancien !)
Je repris la direction de l’étage, traversai le hall sanglant, gravis les marches et rejoignis le couloir des chambres.
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* Lillith, humain, Aurion et Cryomancien nv23 * En mission pour les Amants de la Rose SombreFeu Ellana : morte dans les flammes du Purgatoir, hantant les lieux à jamais et arborant ses tendancieux 6969 messages dans les archives de Yuimen
Dernière édition par Lillith le Jeu 19 Juil 2012 18:08, édité 1 fois.
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