Les deux navires enchevêtrés dansaient sur une mer de plus en plus houleuse et le leur donnaient du gîte du côté où les carreaux des balistes avaient troué la coque. Une fumée âcre couvrait par intermittence le pont du navire. L'incendie couvait dans un enchevêtrement de cordage mouillé et de voiles tombées du mât sur le gaillard d'avant. Il produisait pour l'instant plus de fumée que de flammes. Des poulies se balançaient au bout de leur boute et menaçaient les étourdis qui montaient à leur rencontre. Des espars de bois brisés, bouts de cordages et autres objets jonchaient le pont en plus des cadavres et blessés innombrables. Deux groupes d'hommes défendaient chèrement leur vie, les esclavagistes reconnaissables pour la plupart par leur cagoule de cuir. Parfois un homme sautait du haut d'une hune, accroché à un cordage et fauchait plusieurs vies, avant de tomber sous les coups d'autres. Ici un groupe d'hommes progressaient vers l'avant à grands coups de sabres et de lances courtes. Là, des insurgés encagoulés vendaient leur vie aux prix de lourdes pertes. Les armes diverses tranchaient, mutilaient, estropiaient les corps. Le sang maculait le pont comme une multitude d'éclaboussures de peinture sur une toile et le rendait aussi glissant qu'un lac gelé. Un peu partout il y avait des marins morts, d'autres agonisants et gémissants. Les cris et hurlements couvraient presque le bruit des armes. Une forte odeur, mélange de sueur, de sang, de peur et de fumée accrochait la gorge et donnait une forte envie de vomir.
Lorsque N'Kpa déboucha de l'écoutille, Sirat avait déjà assisté à certaines choses. Il avait couru au secours du capitaine et le maudit Shaakt avait disparu. Le pied de la jeune femme glissa sur une flaque de sang et elle perdit l'équilibre juste à temps pour éviter un sabre qui lui coupa une mèche.
Un cri accompagna sa surprise et dans sa chute, avec un réflexe foudroyant, elle jeta une jambe en travers de la poitrine de son agresseur qui boula par la trappe d'où elle était sortie. N'Kpa resta bouche bée, les yeux écarquillés sur l'apocalypse autour d'elle. C'était la troisième fois qu'elle se retrouvait au milieu d'une bataille. Dans sa chute elle n'avait pas échappé ses deux sabres et un coude était douloureux. Dans le capharnaüm de la bataille, il était presque impossible de discerner les membres d'équipage du navire Shaakt de ceux de leurs sauveurs.
La petite Aïshala'h montra sa tête par l'écoutille et se coula hors du trou comme un chat. N'Kpa fit un bon, se redressa sur ses pieds pour rattraper la jeune fille et d'un air implorant lui dit : 
 Aïshala'h, non, ne te mêle pas de ça, met toi plutôt à l'abri des coups, s'il te plaît ! 
 La demoiselle jeta un regard souriant à N'Kpa, et l'étreignit avec affection. Elle sortit de sa ceinture deux poignards et toute courbée se faufila entre les corps. Rapidement elle disparut au milieu de l'enfer. Alors N'Kpa promena son regard pour trouver son compagnon, effrayée de le découvrir gisant au milieu des cadavres. Mais au lieu de ça, le géant roux sur le gaillard arrière, tirait sur une corde qui passait par dessus le bastingage. Un marin à cagoule venait l'attaquer dans son dos. N'Kpa allait crier, le géant échappa la corde, esquiva le coup, juste le temps de s'en ressaisir dans une souffrance lisible sur son visage. L'agresseur dans sa maladresse avait planté son arme dans le bois et peinait à l'en sortir. Soudain, le spadassin se dégagea et fondit sur le géant qui se laissa tomber en dégainant une longue épée. L'arme dessina un arc de cercle carmin et l'homme s'effondra criant sa douleur, un genou à jamais perdu. Sirat courut au bastingage et aida le capitaine Haak'Man à reprendre pied sur le pont. Mais trois furieux les encerclaient et fonçaient sur eux.
N'Kpa jeta un œil autour, personne n'avait fait attention à elle, le temps était compté. Dans le vacarme environnant, sa voix n'aurait pas porté assez loin pour que le couple assiégé soit prévenu. Alors, elle affirma sa prise sur les poignées de ses deux sabres et fonça vers les marches qui permettaient de monter au gaillard arrière. La nouvelle armure épousait ses mouvements, collait à son corps comme une seconde peau. Les sabres vibraient dans ses mains comme deux bourdons, assoiffés d'un nectar attendu.
Toute son attention était focalisée sur le groupe en haut. Dans sa course, elle esquiva un coup, roula sur le dos d'un homme qui tombait se rétablit sur ses pieds, les griffes de ses pieds griffant le plancher, elle bondit par-dessus un cadavre et sans comprendre comment, para un coup de sabre d'abordage.
Sa route était barrée. Un géant la toisant de deux bonnes têtes, armé d'un long sabre et d'un long crochet l'empêchait de grimper à l'échelle.
Derrière sa cagoule, elle pouvait voir ses yeux porcins ricaner. 
 Ch'sais pas d'où tu sors, beauté, vient donc avec moi j'te propose un p'tit jeu bien plus plaisant. mais c'est le ciel qui t'envoie à m… 
 Il n'eut pas le temps de terminer son laïus, un pied cueillit les parties intimes de l'imbécile. Fou de douleur, il se courba et les deux sabres ouvrirent un large sillon dans la gorge de l'homme qui s'écroula dans un borborygme bouillonnant de liquide écarlate. 
(Plus vite ma fille, par Zewen j'vais arriver trop tard.) 
 Elle sauta par-dessus le cadavre et grimpa les marches en courant d'air. Un sabre tenta de l'empaler, elle para le coup d'estoc et allait répondre... L'homme était différent des gens du navire esclavagiste. La surprise du jeune homme de se retrouver nez à nez avec une Humoran qui plus est fort jolie, était lisible sur sa face. Il salua la jeune femme d'un signe de tête et changea de cible.
Les trois esclavagistes encagoulés se rapprochaient du capitaine et de Sirat.
N'Kpa fonça, alors qu'à cet instant l'un des trois hommes sentit le danger et se retourna. Il para le premier sabre de la jeune femme, esquiva le second et riposta.
N'Kpa tenta l'esquive, cependant la pointe de l'arme dessina une estafilade sur sa joue. Elle recula, alors que l'homme d'un certain âge se rapprochait. Sa bouche s'ouvrit sur un rictus édenté et malsain.
L'homme torve avait une grande expérience du combat maritime. Il affichait sa confiance dans l'issue du duel contre la jeune femme. Même si l'étrange "chose" qu'il avait devant lui l'impressionnait, dans sa beauté et dans son côté animal sauvage ; l'apitoiement et la conciliation n'étaient pas à l'ordre du jour. Cette humanoïde avait sciemment choisi un camp qui n'était pas le sien. Il appréciait trop les largesses du commandant Shaakt pour se laisser prendre facilement. L'oiseau devant lui pourrait bien faire parti d'un joli butin, s'ils arrivaient à bouter ces importuns qui les avaient abordés. Il aurait peut-être droit à s'amuser un temps avec elle. Il se demandait tout de même d'où elle sortait, ainsi que son compagnon roux de race, qu'il chargeait précédemment. Malgré son accoutrement étonnant et ses deux sabres courts, il voyait bien qu'elle n'était pas du métier. Dans un geste sadique et de provocation, il vint lécher la petite goutte écarlate qui glissait le long de la pointe de son arme ; pendant que la jeune femme d'un revers de sa main essuyait le filet qui coulait sur sa joue. Il se rapprocha d'elle doucement l'air décontracté, le sabre baissé. 
 "Alors ma mignonne, on veut jouer dans la cour des grands ? Harf ! harf! harf! On va s'amuser ensemble n'est-ce pas ? Pendant que mes compagnons s'occupent du ton collègue." 
 Il lui fit un clin d'œil et sourit, il avança de quelques pas, menaçants. N'Kpa recula pour garder une distance, mais buta contre la roue de gouvernail. 
Par Zewen, tu crois que j'ai envie de jouer?
 L'homme sans prévenir sauta sur la jeune femme, le large et lourd sabre s'abattit avec force. N'Kpa acculée, releva son bras gauche dans une posture de protection. Un sifflement retentit, une rafale de vent soudaine, détourna l'arme de l'agresseur qui fila le long de l'âme de son sabre avec une douceur et un silence déconcertant. Elle se contorsionna et, dans un geste rapide frappa de toutes ses forces avec la main droite. Une déflagration étrange, comme un coup de tonnerre éclata, la pointe et le dernier tiers de l'arme découpa la chemise crasseuse et le pourpoint de cuir, pénétra les chairs comme une lame de rasoir. L'homme cracha un hockey les yeux exorbités, la bouche entrouverte. Il ne comprit pas ce qu'il s’était passé, pas plus que la jeune femme devant lui. Le marin réalisa qu'il était paralysé ou ralenti et le doute se lisait dans son regard. N'Kpa n'attendit pas, elle se redressa et fendit l'air de ses deux armes dans un mouvement en croix. Le marin estomaqué bougea avec difficulté avec un temps de retard fatidique, étrangement, sans réussir à parer. Il encaissa les deux attaques, lâcha son arme et porta ses deux mains sur son ventre ouvert pour retenir ses entrailles. Un coup d'estoc en plein sous le diaphragme stoppa son cœur en deux secondes. Le temps semblait avoir ralenti, il s'affala mort…
La jeune femme se tourna en direction de Sirat et du capitaine, son sang battait ses tempes, sa poitrine se soulevait avec frénésie, elle haletait, tout étonnée de tant de réussite et des effets étranges des armes qu'elle tenait. Elle ne comprenait pas comment elle avait pu savoir avec précision, en une fraction de seconde, les gestes à faire et où frapper. Mais dans son esprit l'image avait été claire et précise. Elle allait prendre son envol pour venir au secours de son ami, quand un choc foudroyant la plongea dans l'inconscience...
L'homme qui avait assisté à l'agonie de son compagnon avait opté pour l'attaque sournoise et muni d'une manille, il avait fracassé le crâne de la belle. Il se tenait debout et allait l'occire de son épée dans les entrailles, il n'en eut pas le temps. Le jeune homme qui avait accueilli N'Kpa sur le gaillard, empala le pirate sur une lance et profita de son élan pour le propulser par-dessus bord. Le combat semblait s'être déplacé, il jeta un regard désintéressé à son capitaine qui luttait avec un grand animal roux contre deux pirates. Il se pencha sur la forme inanimée de la jeune femme, tâta la blessure d'où perlait un filet de sang à travers les nattes rouges. Il fit une moue, jeta un œil aux alentours pour voir où la mettre à l'abri et la prit dans ses bras pour l'emmener plus loin… Il huma le parfum de son cou, apprécia le touché duveteux de son pelage sur sa propre joue. Elle était attirante, si différente des femmes qu'il côtoyait lors de leurs relâches. Il ne savait pas comment expliquer ce qu'il ressentait. Elle était apparue devant lui comme un fauve sauvage et il avait failli commettre l'irréparable en l'embrochant. Dans ses yeux brillait une étincelle juvénile... Il traversa le pont comme un mirage, oubliant la bataille autour d'eux et la déposa avec précautions sous une échelle à côté de la porte, par où le capitaine esclavagiste avait disparu...