La Carrière de BronzeLes Roches Sédimentaires
Agadesh suivit les indications du marchand, passa devant l'impressionnant château Harthefeld avec un bref oeil admiratif en se disant que le roi de Yarthiss devait être vraiment très riche et très puissant pour avoir une demeure pareille et tomba comme prévu sur l'auberge. Il n'eût vraiment aucun mal à la reconnaître : A quelques détails près, il s'agissait trait pour trait de la réplique de l'auberge "Entre Deux Mondes".
L'activité de la ville commençait à se faire de plus en plus rare. L'afflux de gens partout dans la rue semblait se diluer curieusement avec la nuit tombante.
Mais pas dans l'auberge, qui était noire de monde et de bruit. Les gens mangeaient bruyamment et à profusion. Agadesh trouvait ça assez indécent alors qu'à quelques lieux de là, dans le désert, lui et son peuple avait déjà dû essuyer de récurrentes périodes de malnutrition et de disette. Il s'agissait vraiment de deux univers différents...
Bien que son estomac gargouillait d'une journée de marche sans repas, ce n'était cependant pas sa priorité. Tout ce qu'il voulait maintenant, c'était une chambre dans laquelle se défaire de ses poids.
Il s'adressa à un homme derrière le comptoir, qui semblait tout entier à la cuisine.
"Bonjour, je voudrais une chambre.""Deux secondes et je suis à vous !"L'homme emporta un trio d'assiette verdâtre à une table, revient à sa place et sortit un carnet dans lequel il griffa quelques inscriptions qui ne devaient s'adresser qu'à lui.
"Bien, voici les clés. Vous montez les escaliers et c'est la deuxième porte à votre gauche. Vous dinerez, aussi ?""Oui.""Bien, je vous écoute, ce sera ...?""Vous avez de l'Hokala ?""Euh... Non.""Qu'est-ce que vous servez comme repas ici ?""Bien, nous avons un peu de tout... De l'obida, de l'urikan, du serpentin... Ah et je ne saurais que trop vous conseiller le menu du jours, des brochettes de souris cuite avec des épices de saisons et un zeste de citron, vous m'en direz des nouvelles !""Soit, je prendrais une de vos fameuse brochette alors.""Bien, et prendrez-vous une boisson avec ceci ?""Vous avez du thé ?""Bien sûr, thé simple ou tonnerade ?""Simple.""Bien, ce sera tout ?""Oui." "Bien, alors je vous en prie, installez-vous dans vos quartiers, nous préparons tout ceci..." Agadesh alla donc vers sa chambre.
Il ouvrit la porte à clé et lâcha aussitôt ses affaires au sol dans un grand soupir de soulagement.
La chambre était on ne peut plus simple : Des murs en pierres grises, un lit spartiate en coin sous lequel se cachait un bidet blanchâtre, une table sur laquelle trônait deux bougies éteintes et à moitié consumées, une petite bassine d'eau carrée et deux chaises en bois. Une fenêtre impossible à ouvrir et sans volets donnait sur une rue déserte sur laquelle jonchait quelques déchets et sur les murailles de la ville. Le contenue de la chambre était dans une géométrie horizontale et rectiligne qui ne mettait pas particulièrement à l'aise mais Agadesh n'en était pas à ce genre de délicatesse.
Il déposa Enkidu sur le lit, qui en profita pour se faufiler sous les couvertures, à la recherche d'un peu de chaleur.
Agadesh reprit son sac, l'ouvrit et troqua ces habits inconfortables contre un de ses larges pantalons et un boubou bleu. Il n'y avait pas à dire, pour le confort comme pour l'esthétique, ça lui allait largement mieux. Il bloqua quelques secondes sur le brassards aux trois yeux, qui le ramena à quelques visions ignobles de Xenaïr comme lorsque l'on se réveille d'un mauvais cauchemar. Il en fit cependant vite abstraction et remarqua que si son boubou était plus confortable, il allait peut-être y perdre en discrétion mais c'était un risque à prendre. Après tout rien ne disait que les fils des dunes étaient mal vus par ici.
Les habits varrockiens n'allaient pas être perdu, il comptait les garder pour la suite de son voyage. Les tissus s'étaient toujours révélés utiles pour ses voyages dans le désert : il pouvait aussi bien servir à panser une plaie qu'à faire des torches et pouvaient au besoin servir de tapis de sol ou de couverture supplémentaire pour les nuits d'hiver très rigoureuses.
Il posa avec beaucoup de soin l'encyclopédie sur la table en se disant qu'il la feuillèterait après son repas et remplit sa gourde avec l'eau de la bassine.
Agadesh restait cependant sur ses gardes et préférait garder avec lui sa bourse de yus et son sabre ; on ne sait jamais quand un danger peut se profiler à l'horizon.
Et s'il gardait sa gourde, ce n'était pas précisément un réflexe de fils des dunes en généralité mais une spécificité bien à lui. L'eau est ce qui prime sur toute autre chose car sans elle, on meurt. Il ne séparait donc jamais de sa gourde. S'en séparer, c'était prendre le risque de la perdre et la perdre n'était pas envisageable. Pour l'épée, il raisonnait de la même manière. Être sans arme en cas de danger, c'était être un homme mort. La garder sur soi était donc une évidence.
Il laissa donc l'animal à sa recherche de chaleur, ferma la porte et alla s'assoir à une petite table qui venait d'être débarrassé des couverts sales des précédents clients. L'aubergiste ne mit pas beaucoup de temps à le servir, bien qu'il eût un peu de mal à le reconnaître ainsi vêtu.
"Bon appétit monsieur.""Merci."Agadesh, dans son habitude de frugalité, ne s'attendait pas à cela. A son sens, une brochette était un repas plus qu'acceptable. Deux, c'était réservé aux dures journées harassantes comme celle qu'il venait de passer. Mais son assiette comportait non pas une, ni deux mais quatre brochettes et était en plus de cela accompagné d'une purée de légume ! A son sens, il y avait là dans son assiette de quoi pouvoir manger pendant presque une semaine ! C'était insensé, quel gâchis de nourriture !
Son étonnement resta cependant au stade de pensée lorsqu'il regarda autour de lui et vit que cela était la même chose pour tout le monde. Les occidentaux mangent et boivent beaucoup plus que nécessaire. Après tout, l'embonpoint de certain aurait dû l'interpeller.
Il en mangea donc une brochette et demi et quelques cuillères de purée. Le goût était certes très agréable mais cela lui suffisait largement en tant que repas. Il but ensuite avec une certaine dosé de contentement un thé réchauffant comme il s'en boit dans le désert. Dans les dunes, le thé n'était cependant pas si répandu que cela et restait un luxe réservé à l'élite. Il n'en poussait pas dans les oasis, la terre sablonneuse ne convenait pas à leur culture. Sa provenance était forcément de marchandise occidentale. Le thé avait plusieurs avantages conséquents pour les peuples du désert : Il avait bon goût et le fait de le boire chaud et donc lentement désaltérait beaucoup plus qu'une boisson froide que l'on boit rapidement et qui, en baissant la température du corps, faisait transpirer et au final donnait encore plus soif. Ce genre de subtilité comptait énormément pour des êtres en constant manque d'eau. Le thé était donc une denrée rare et cruciale. Elle resta pendant quelques temps à la portée de n'importe quel pékin, mais les marchands varrockiens avaient vite compris l'importance du marché à exploiter ici et augmentèrent les prix à l'export. De solides négociants, ces varrockiens. Les whiels ne tardèrent pas à faire de même et ce fut ainsi que le thé devint ce que l'on appelle encore dans le désert "la boisson des rois et des dieux", les autres se contentant d'eau pure et pour les un peu plus riches, de jus de fruits, principalement de dattes et de figues.
Agadesh arrêta là son repas, quelque peu consterné par le gâchis. Il pensa cependant à son nouveau petit compagnon poilu et lui apporta une de ces brochettes.
Il rentra de nouveau dans la chambre et ne le vit pas mais la boule de tissu au fond du lit ne laissait pas de doute à sa localisation.
"Enkidu ?"Agadesh se mit à penser à haute voix.
"Ah, si je dois considérer cette bête comme humaine, je dois la vouvoyer."En effet, le tutoiement était très rare dans la culture désertique. Le vouvoiement était le modèle standard de communication avec l'autre. A vrai dire, le tutoiement n'était commun que lorsqu'il s'agissait de parents s'adressant à leur descendance (Mais pas l'inverse, les enfants vouvoyaient toujours leurs parents.) et d'un maître à sa bête. Et hors les chameaux, les chevaux et autres élevages, il n'existait nulle autre animal domestiqué. Même les frères et les amis proches pratiquaient entre eux le vouvoiement, c'était ainsi.
Agadesh secoua la boule de poil enfoui qui bougea doucement jusqu'à sortir du lit pour montrer une triste mine ensommeillée.
"Enkidu ? Je me suis permis de vous amener quelques restes... Ces occidentaux mangent beaucoup trop pour un estomac comme le mien. Tenez, je vous le met ici, au coin, si cela vous dit."Le camïu ne l'écoutait évidemment pas et ne faisait que fixer la brochette avec un air curieux. Lorsque Agadesh la posa, il se rua vers elle.
Le fils du désert avait totalement abandonné l'idée de feuilleter l'encyclopédie. La chambre était noire, seul un peu de clarté nocturne s'échappait de la fenêtre et aller en bas quémander de quoi allumer ses bougies était une tâche dont il se passait volontiers. Il attendrais le lendemain pour voir ce que le livre lui réserve.
Il se débarrassa de ce qu'il juger superflu dans la literie de la chambre. Le coussin, gros et mou, lui déplaisait. Il avait l'habitude de dormir à plat et c'était ce qu'il allait faire aussi ce soir. La couverture et le draps qui se tortillaient sous son corps étaient aussi gênants et il se décida à les laisser joncher le sol de la pièce sans plus d'hésitation. En fait, seul le matelas échappa à son rejet. Les nuits étaient bien moins froides à Yarthiss et ses habits de bédouins suffisaient largement à le réchauffer.
Le camïu était encore à croquer bruyamment ses souris cuites lorsqu'il sombra dans le sommeil.
Volonté de Puissance